Dans ces temps d’été, qui devraient être , en France comme dans le reste de l’Occident en crise, un peu suspendus, entre une première partie de l’année particulièrement lourde , et une deuxième qui le sera plus encore, il est peut être utile de faire le point sur le chemin que nous empruntons : devrons-nous, à la rentrée, continuer comme avant ? Ou simplement essayer de faire mieux ? Ou, au contraire, tout changer, pour se préparer à de nouvelles phases, plus aigues, de la crise ? Devrons-nous continuer à servir les mêmes valeurs ou en inventer d’autres ? Devrons-nous, pour cela, nous inspirer des valeurs venues d’ailleurs ?
Au moment où l’Occident se pose ainsi tant de questions sur lui-même, le reste du monde le regarde au mieux avec la commisération des enfants voyant vieillir leurs parents, ou au pire avec la jubilation de prisonniers observant leurs geôliers s’affaiblissant. Partout, on entend vanter les valeurs propres de chaque civilisation et traiter avec mépris ce qui vient d’Europe et d’Amérique : les Chinois font l’éloge des valeurs confucéennes. Les Indiens se réfèrent à l’indouisme et à Gandhi. Les Indiens d’Amérique fondent leurs revendications politiques sur les sagesses de leurs ancêtres. Les Africains revisitent leurs cosmogonies et mettent en avant leur conception de la vie communautaire, comme un substitut au modèle occidentale. L’Occident semble au bout de sa course.
Et pourtant, la réalité est tout autre : la plupart des gens, dans le monde, pensent en réalité que l’Occident represente le paradis qu’ils recherchent et ne rêvent que de l’imiter.
Nous avons déjà connu cela : A partir du premier siècle de notre ère, les Romains se mirent à se détester eux-mêmes. Pour tenir face à leurs ennemis, ils commencèrent par attirer des talents du reste du monde. De certains, ils firent des généraux, des philosophes puis même des empereurs. Puis, devenus par trop individualistes, ils déclinèrent, et furent les victimes de ceux qu’on appelait alors les « Barbares », et qui ne l’étaient pas du tout. Ceux là n’eurent en réalité de cesse que de se fondre dans les valeurs et les institutions du vaincu.
C’est exactement ce qui se passe aujourd’hui. Les valeurs de l’Occident sont aujourd’hui, pour le meilleur et pour le pire, en train de devenir universelles : l’individualisme, et tout ce qui en découle (la démocratie formelle, les droits de l’homme, l’économie de marché, la propriété privée) sont aujourd’hui partout triomphants ou recherchés. Chacun, en Inde, en Chine, au Nigéria, veut avoir aussi accès aux bienfaits matériels, qui en découlent, et dont l’Occident se repait depuis plus de cinquante ans : la maison, l’automobile, la machine à laver, la télévision.
De fait, nous n’assistons pas au déclin de l’Occident, mais à l’Occidentalisation du monde : Et si, selon le général Sertorius cité par Corneille, « Rome n’est plus dans Rome, il est partout où je suis », de même l’Occident n’est plus en Occident ; il est partout où triomphe se trouve le rêve individualiste ; qui justement conduisit au déclin de l’Empire Romain. Et qui, demain, conduira au déclin du monde entier, victime de son occidentalisation.
Ce qui veut dire que c’est sans doute de l’Occident, une fois de plus nourri par le reste du monde, que devraient surgir des valeurs nouvelles, celles de l’altruisme et du bonheur de faire plaisir.