Malgré la publication d'excellents résultats du secteur en France, l'économiste Olivier Pastré reste prudent
ENTRETIEN
Les résultats des banques françaises BNP Paribas et Société générale, mais aussi de la britannique HSBC, très supérieurs aux attentes des analystes, ont suscité un regain de confiance à l'égard du système bancaire européen. L'économiste Olivier Pastré, professeur à l'université Paris-VIII, souligne la résilience des banques françaises mais appelle à la prudence : la situation macroéconomique reste incertaine et la crise n'est pas finie.
La Société générale a publié, mercredi 4 août, de très bons résultats, tout comme BNP-Paribas lundi. Les banques françaises sont-elles tirées d'affaire ?
Ces performances et la résilience dont elles ont fait preuve à l'occasion des stress tests - tests de résistance effectués sur les banques européennes, dont les résultats ont été publiés le 23 juillet - démontrent que les banques françaises sont plutôt plus solides que la moyenne des banques des pays développés. Mais attention : ces bons résultats s'expliquent en partie par la rentabilité des activités de marché. Or celle-ci est assez volatile. Ce que l'on observe aujourd'hui ne veut en aucun cas dire qu'on en a fini avec la crise en général et les tensions sur les systèmes bancaires en particulier.
Les établissements français, notamment la BNP, diminuent fortement leurs provisions pour faire face aux défauts de crédit. N'est-ce pas un peu prématuré ?
Il me semble que les prévisions macroéconomiques officielles - sur lesquelles se basent les banques - sont assez optimistes par rapport à la réalité des entreprises. Je pense que la sortie de crise ne pourra se faire qu'en forme de racine carrée. C'est-à-dire avec un taux de croissance des économies développées durablement faible.
Les banques jouent-elles suffisamment leur rôle de financement de l'économie ?
On le verra dans les mois qui viennent. Mais on peut déjà distinguer trois catégories d'entreprises. Les très grandes entreprises qui n'ont pas, ou peu, besoin des banques ; les moyennes entreprises qui sont assez bien financées par les banques ; et les toutes petites entreprises qui ont beaucoup de difficultés de financement. Notamment les entreprises en création, les entreprises à fort contenu technologique et celles qui travaillent dans le secteur de l'immatériel. Or ce sont elles qui sont le plus créatrices d'emplois et les plus adaptées à la préparation de l'avenir.
Le système bancaire en Europe fonctionne-t-il à deux vitesses ?
Oui, et même doublement. On a, d'un côté, des industries bancaires relativement bien structurées, comme au Royaume-Uni ou en France. Et d'un autre côté, des systèmes bancaires plus fragiles, en Allemagne par exemple, à un moindre degré en Italie, et à un grand degré dans les pays d'Europe de l'Est. Mais il y a de fortes disparités au sein même de certains pays. En Espagne par exemple, il y a deux grandes banques qui, grâce à leur implantation internationale, en Amérique latine notamment, sont très rentables. Elles coexistent avec un tissu de banques généralement non privées, archaïques et fragiles.
Les stress tests ont-ils donné, selon vous, une photographie fidèle du système bancaire européen ?
Le verre est à moitié vide et à moitié plein. L'effet positif de ces stress tests est d'avoir fourni des informations aux marchés sur la solidité du système bancaire européen. Et le bilan est globalement positif. D'un autre côté, les hypothèses utilisées pour ces tests sont, selon moi, relativement peu " stressantes ".
Par exemple, on n'a pris en compte qu'une partie des dettes souveraines qui sont dans les portefeuilles des banques. On a aussi laissé de côté un élément central de la crise bancaire, révélé avec la faillite de Lehman Brothers, c'est le risque de liquidité. Enfin, les hypothèses macroéconomiques retenues dans le scénario catastrophe auraient pu être encore plus pessimistes.
Les banques vont-elles voir leurs conditions de financement s'améliorer ?
Tout ce qui va dans le sens d'une meilleure connaissance des forces et des faiblesses des banques contribue à rassurer les marchés et facilitera le financement interbancaire. Mais la confiance n'est pas à ce jour complètement rétablie et la méthode Coué ne fonctionne pas durablement en économie. Il ne suffit pas de dire que tout va bien pour que tout aille bien.
Que pensez-vous des réformes réglementaires en cours réclamant aux banques d'augmenter leurs fonds propres ?
Il faut se réjouir que certains aspects de Bâle III - réforme de la réglementation bancaire applicable à partir de 2012 - aient été assouplis. Les nouvelles dispositions sont moins pénalisantes pour les banques, en particulier les mutualistes. Mais Bâle III risque malgré tout de décourager le financement des PME - petites et moyennes entreprises - , aussi bien en crédit qu'en fonds propres, ce qui est particulièrement inadapté à la situation de crise actuelle. Ensuite, cette réglementation n'a de sens que si elle est appliquée partout dans le monde afin de ne pas créer de distorsion de concurrence. Or je suis moyennement optimiste sur la volonté américaine de l'adopter. Les autorités bancaires européennes doivent veiller à ne pas faire preuve d'un zèle qui pénalise leur industrie bancaire.
L'Europe doit-elle s'inspirer de la réforme de Wall Street ?
Il faut porter un regard mesuré sur la réforme dite Volcker. Je suis heureusement surpris que Barack Obama ait résisté en partie au lobby bancaire américain. Néanmoins, cette réforme est très éloignée du projet d'origine. Elle va dans le bon sens mais pas assez loin. Et puis, les enjeux bancaires sont très différents aux Etats-Unis et en Europe.
Là-bas comme ici, on a fait quelques modestes pas en avant. Mais il reste d'immenses chantiers qui n'ont pas été véritablement traités, comme la régulation des agences de notation ou des marchés de gré à gré. De ce point de vue, les G20 ont été très décevants. Seul celui de Londres, l'année dernière, a permis quelques avancées sur les paradis fiscaux et la rémunération des traders. Les autres G20 - Washington, Pittsburgh et Toronto - n'ont débouché que sur des déclarations de bonnes intentions.
Propos recueillis par Marie de Vergès