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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

La drôle de guerre de la pomme de terre OGM allemande

La drôle de guerre de la pomme de terre OGM allemande

«Amflora» illustre l'absence de toute politique européenne - et française - en la matière.

Armflora de BASF. Photo BASF.

Une pomme de terre d'un nouveau genre nous est offerte et voici le Vieux Continent à feu et à sang. Fruit des recherches génétiques du groupe allemand BASF, Amflora est là, tubercule génétiquement modifié mais officiellement autorisé, mardi 2 mars, à la culture dans les champs de l'Union européenne par la Commission du même nom. Aussitôt, c'est le réveil des vieux démons, les cris d'orfraies des écologistes, les atermoiements du gouvernement français et l'apparition d'une nouvelle et curieuse frontière entre les pays du nord et du sud de l'Europe.

Principaux éléments d'une controverse moderne: un affrontement né de l'incapacité chronique des responsables nationaux et européens de traiter la question des organismes végétaux génétiquement modifiés. Face aux angoisses écologiques contagieuses, ces responsables se révèlent impuissants (depuis plus de deux décennies déjà) à organiser une politique homogène et cohérente d'évaluation et de gestion des risques environnementaux et sanitaires.

Débat et positions connus

A Bruxelles, la Commission européenne vient donc de donner son feu vert à la culture d'Amflora. Après un maïs transgénique américain de Monsanto, c'est la première autorisation de ce type donnée depuis douze ans par l'Union européenne. Amflora n'est pas destinée à être introduite dans les circuits alimentaires humains mais à l'alimentation animale ainsi qu'à des usages industriels: élaboration de papiers glacés, de bétons et d'adhésifs. Il s'agit ici d'utiliser ses précieuses concentrations en amidon (en amylopectine plus précisément) qui résultent de la modification de son patrimoine génétique.

Mais pourquoi accorder une telle autorisation quand on sait qu'elle va susciter l'ire (médiatiquement amplifiée) des écologistes et, corollaire, durablement embarrasser nombre de gouvernements des Etats membres? Bruxelles n'est pas avare d'explications. Il s'agit, en substance, de ne pas rester sur la voie en refusant de monter dans le train mondial des nouvelles technologies. Et, en l'espèce, il s'agit de ne pas pénaliser plus longtemps BASF et sa pomme de terre européenne face à l'hydre planétaire Monsanto. Que dit le Maltais John Dalli, tout nouveau commissaire européen à la Santé et à la protection des consommateurs:

Des réponses ont été apportées à toutes les questions scientifiques, particulièrement celles concernant la santé. Notre devoir est d'utiliser tous les conseils professionnels à notre disposition pour rendre des décisions, mais nous devons continuer à aller de l'avant dans la nouvelle ère des nouvelles technologies. Tout délai [supplémentaire pour l'autorisation] aurait été tout bonnement injustifié.

La décision de la Commission a été prise au vu des avis de l'Agence européenne de sécurité des aliments.

Et tout devrait désormais aller très vite. Aussitôt le feu vert annoncé, le groupe BASF a expliqué qu'il comptait commercialiser Amflora dès cette année. Du moins dans les pays qui autoriseront sa culture. Car d'ores et déjà l'Europe est radicalement divisée sur la question. Selon BASF, la Suède, les Pays-Bas, la République tchèque et l'Allemagne sont favorables à la culture du tubercule génétiquement modifié qui ne sera pas proposée à la France.

A Bruxelles et Strasbourg, les écologistes tempêtent et se disent «choqués» de voir la nouvelle Commission soutenir de manière aussi rapide et aussi ostentatoire des intérêts industriels au mépris des intérêts sanitaires. Corinne Lepage, vice-présidente de la commission Environnement du Parlement:

Cette décision constitue une véritable déclaration de guerre José Manuel Barroso à l'égard des citoyens européens majoritairement opposés aux cultures OGM.

José Bové, député européen et fer de lance bien connu de la contestation:

La Commission européenne doit sortir de sa tour d'ivoire et revenir sur cette décision. Elle doit entendre enfin les citoyens qui ne veulent pas d'OGM. Elle doit en outre accepter la position des 27 Etats membres (de l'UE) qui en décembre 2008 avaient majoritairement souhaité une réforme radicale des procédures d'évaluation.

Et dans cette drôle de guerre, les Verts ne sont pas seuls. Membre du parti populiste de la Ligue du Nord (par ailleurs ministre italien de l'Agriculture) Luca Zaia vient d'appeler les autres pays de l'Union à faire  alliance avec l'Italie contre les OGM en général, contre Amflora en particulier :

Le fait de rompre la prudence d'usage qui était respectée depuis 1998 est un acte qui risque de modifier profondément le secteur primaire européen. Non seulement, nous ne nous reconnaissons pas dans cette décision mais nous tenons à répéter que nous ne permettrons pas que cela remette en question la souveraineté des Etats membres en la matière.

Et, déjà, l'Italie dispose d'un allié voisin: Alois Stijger, ministre autrichien de la Santé autrichien, va faire légiférer en urgence pour interdire la culture d'Amflora sur l'ensemble du territoire de son pays. L'Autriche avait déjà mis en place en 1999 une «clause de sauvegarde» pour interdire l'importation et la culture de maïs génétiquement modifiés. Face aux décisions de la Commission, la «clause de sauvegarde» est prévue pour permettre à chaque Etat membre qui le juge nécessaire de «protéger son environnement et la santé de ses citoyens».

Quels risques?

En 2008, la France (comme cinq autres pays européens dont l'Allemagne) avait fait valoir cette clause pour suspendre la culture d'un maïs transgénique de Monsanto.

En France, l'organisation Greenpeace appelle le gouvernement à faire de même et ce au motif que la commercialisation de ce nouveau tubercule expose à «un risque inacceptable pour la santé humaine et animale et l'environnement». Qu'en est-il précisément? Comme presque toujours dans les controverses alimentées par les OGM le flou et les incertitudes prévalent. Greenpeace observe qu'Amflora contient dans son patrimoine génétique des gènes étrangers qui lui procurent une faculté de résistance aux antibiotiques kanamycine et néomycine.

Et une nouvelle fois ce sont les risques de «dissémination» dans l'environnement qui exposent à des risques potentiels: ceux d'augmenter la résistance de certaines bactéries à des antibiotiques. Greenpeace évoque notamment le danger de la perte de l'efficacité d'antibiotiques aujourd'hui actifs contre le bacille de Koch responsable de la tuberculose; une maladie qui — hasard ou pas — tire son nom du fait que les lésions qu'elle provoque ont la forme de tubercules.

Que va faire la France à qui BASF ne proposera pas Amflora? Le gouvernement va, une nouvelle fois, demander leurs avis à des institutions et des experts qui les ont déjà donnés. Ainsi le ministère de l'Agriculture a-t-il annoncé la prochaine saisine du Haut Conseil de biotechnologies, organisme chargé notamment «d'éclairer le gouvernement sur toutes questions intéressant les organismes génétiquement modifiés ou toute autre biotechnologie». Et pour l'avenir, Paris a exprimé le souhait qu'il n'y ait plus de feu vert donné à des OGM sans «un renforcement  de l'expertise scientifique communautaire». Ce qui revient ipso facto à remettre en cause la compétence et/ou l'indépendance de l'Agence européenne de sécurité des aliments.

Sciences et principe de précaution

Incapacité chronique à articuler évaluation scientifique et gestion politique du risque à l'échelon communautaire; présence d'une «clause de sauvegarde» invoquée au choix pour calmer l'opinion ou protéger des intérêts nationaux; lobbying écologique d'autant plus puissant que fort du principe triomphant de précaution et sous couvert de bon sens il agite des peurs (la «dissémination» à fait place à la «contamination») que la démarche scientifique ne peut à elle seule raisonnablement calmer...

Tous les éléments sont aujourd'hui en place pour que l'Union européenne ne puisse, en matière d'organismes végétaux génétiquement modifiés, mener une politique coordonnée et cohérente,  englobant les aspects sanitaires et industriels. Or selon l'organisation européenne des industriels des biotechnologies agricoles Europabio, dix-sept OGM sont actuellement en cours de procédure d'autorisation.

Après avoir choisi de ne pas inaugurer mais de clore le salon de l'Agriculture peut Nicolas Sarkozy trouvera peut-être opportun, le 6 mars, de s'exprimer sur ce thème.

Jean-Yves Nau

Journaliste et docteur en médecine, Jean-Yves Nau a été en charge des questions de médecine, de biologie et de bioéthique au Monde pendant 30 ans. Il est notamment le co-auteur de «Bioéthique, Avis de tempête».

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