Shanghaï Correspondant
En créant, le 1er janvier, avec les dix pays de l'Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean), la plus vaste zone de libre-échange du monde, la Chine se trouve en position de promouvoir un rôle élargi pour sa devise nationale, le yuan. Cette étape est susceptible de faciliter la réévaluation à petit pas souhaitée par ses dirigeants.
Les programmes lancés en 2009 par Pékin montrent la voie : les exportateurs des provinces du Yunnan et du Guangxi frontaliers du Vietnam, du Laos et de la Birmanie peuvent se faire payer en yuans. Comme les exportateurs de la province du Guangdong avec Hongkong. L'accord de libre-échange à l'étude entre Taïwan et la Chine pourrait conduire à l'adoption de mécanismes de ce type.
Cette régionalisation du rôle du yuan fonctionnerait sans doute ainsi : l'importateur Asean paie avec des yuans achetés auprès de la banque centrale du pays, elle-même bénéficiant de facilités de swaps (produits dérivés financiers) de la part de la banque centrale chinoise. Les importations chinoises se feraient dans la devise du pays de l'Asean concerné.
D'ici à la création d'une véritable zone yuan, il y a toutefois un certain nombre d'inconnues, constate Claude Meyer, professeur d'économie internationale à Sciences Po. Un usage optimal du yuan dans la zone de libre-échange suppose, à terme, une libéralisation des marchés financiers et une levée du contrôle des changes sur les mouvements de capitaux. La Chine, qui limite la convertibilité du yuan aux transactions commerciales, est réticente à franchir cette étape. " Ce n'est pas une priorité pour le pouvoir actuellement. D'une part, la Chine cherche d'abord à stabiliser son économie après la crise (éviter la surchauffe, les bulles, etc.). De l'autre, une libéralisation des mouvements de capitaux entraînerait une appréciation substantielle du yuan en raison de la taille des excédents de sa balance courante ", explique-t-il.
Autre dilemme pour la Chine, une zone yuan " renforcerait son influence stratégique, mais affecterait l'autonomie et l'efficacité de sa politique monétaire et financière. Elle implique en effet que se créent hors de Chine d'importantes balances yuan, susceptibles d'alimenter la spéculation sur les marchés boursier et immobilier chinois ".
L'obstacle japonais
Dernier obstacle, le Japon : " Cela touche à la question de la rivalité Chine-Japon. Le Japon a lancé son propre accord de libre-échange avec l'Asean, dont l'entrée en vigueur s'étale jusqu'en 2012, et qui aura logiquement les mêmes effets de stimulation de l'usage régional du yen, cette fois. Or, cela se fera à plus grande échelle puisque le yen est déjà convertible et détenu par les banques centrales concernées ", fait remarquer M. Meyer, dont le dernier ouvrage, Chine ou Japon : quel leader pour l'Asie ?, qui doit paraître le 25 février aux Presses de Sciences Po, se penche sur les destins des deux premières puissances économiques asiatiques.
L'expérience japonaise est d'autant plus éclairante que le pays était, dans les années 1970-1980, à la place de la Chine d'aujourd'hui : ses excédents commerciaux mettaient en difficulté les économies occidentales. " On était en présence d'une sous-évaluation structurelle du yen, comme c'est le cas pour le yuan depuis 2006. Les Japonais avaient pour atout leur compétitivité technologique et organisationnelle, la Chine, elle, bénéficie de ses faibles coûts de production. Mais c'est une illusion de penser qu'avec une réévaluation du yuan, la balance commerciale des pays occidentaux va fortement s'améliorer ", estime M. Meyer.
La réévaluation du yen imposée par les Etats-Unis en 1985 lors des accords du Plaza (New York) fut une " victoire à la Pyrrhus ", écrit l'économiste, qui était alors directeur adjoint d'une banque japonaise à Paris : " L'effet retard de cette correction brutale sera de plonger le Japon dans une crise profonde, avec des lourdes conséquences non seulement pour le pays, mais aussi pour l'économie mondiale. "
Brice Pedroletti
En librairie
" La Liquidité incontrôlable. Qui va maîtriser la monnaie mondiale ? ", de Patrick Artus et Marie-Paule Virard, à paraître le 26 février, éd. Pearson, coll. " Les temps changent ", 144 p., 18 euros.
" La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? ", de Philippe Cohen et Luc Richard, 2005, éd. Mille et une nuits, 144 pages, 15 euros.