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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

La réforme des retraites pénalise d'abord les femmes

La réforme des retraites pénalise d'abord les femmes

L'avertissement lancé par la Halde s'ajoute aux nombreuses mises en garde déjà adressées au gouvernement

 

 

Elles seront sans doute les premières victimes de la réforme des retraites. Les femmes, qui peinent, aujourd'hui, à réunir les trimestres nécessaires, auront beaucoup de mal, demain, à satisfaire aux nouvelles exigences posées par le gouvernement. " Le relèvement progressif de l'âge du départ à taux plein de 65 à 67 ans risque de pénaliser les femmes plus que les hommes ", estime la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), dans une délibération datée du 13 septembre.

Cet avertissement lancé par la Halde s'ajoute aux multiples mises en garde adressées, depuis juin, au gouvernement. A la veille de la mobilisation du 7 septembre, l'Observatoire de la parité affirmait ainsi que les femmes étaient les " grandes incomprises de la réforme des retraites ". " Une réforme juste suppose de donner plus à celles qui ont moins, soulignait cette instance dirigée par la députée (UMP) Chantal Brunel. Si le gouvernement ne fait pas plus aujourd'hui, les femmes resteront les pauvres de demain. "

Au nom de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée nationale, la députée (UMP) Marie-Jo Zimmermann se disait, elle aussi, inquiète. " Globalement, le système de retraite, tel qu'il est conçu, favorise les carrières longues, linéaires et ascendantes, notait-elle en juillet dans un rapport sur la réforme. De ce fait, les femmes ayant une activité d'une durée plus courte, plus souvent interrompue, plus précaire et moins progressive que les hommes, subissent plus que ceux-ci le durcissement des paramètres. "

Parce qu'elles affichent des parcours professionnels plus hachés que ceux des hommes, les femmes abordent la retraite dans des conditions difficiles : selon le Comité d'orientation des retraites, 86 % des hommes parviennent à valider une carrière complète, contre seulement 44 % des femmes. En raison de ces difficultés, elles partent à la retraite plus tard que les hommes : 61,5 ans contre 60,1 ans.

En matière de pension, les inégalités sont, elles aussi, très fortes : les femmes retraitées touchent en moyenne 1 020 euros par mois, soit seulement 62 % de la somme perçue par les hommes (1 636 euros). Hors pension de réversion et minimum vieillesse, les écarts sont plus élevés encore : les femmes bénéficient d'un revenu moyen de 780 euros, soit 48 % de celui des hommes. En raison de ces difficultés, elles représentent près des deux tiers des bénéficiaires du minimum vieillesse.

Congés parentaux, interruptions d'activité, temps partiel subi : les déséquilibres hommes-femmes qui apparaissent à l'âge de la retraite sont le reflet des inégalités qui règnent dans le monde du travail. " Les femmes sont plus souvent touchées par la précarité que les hommes, elles ont des parcours professionnels marqués par des interruptions plus longues et elles sont victimes d'inégalités salariales ", reconnaît Eric Woerth.

Pour lutter contre les disparités de retraite, le ministre du travail propose d'intervenir en amont : il souhaite prendre en compte, lors du calcul de la pension, les indemnités maternité, mais surtout imposer des pénalités financières aux entreprises qui ne respectent pas l'égalité salariale. M. Woerth, qui souligne volontiers que les écarts de pension sont le fruit - tardif - des inégalités salariales, espère ainsi, au fil des générations, réduire peu à peu les discriminations hommes-femmes à l'âge de la retraite.

Pour la Halde comme pour l'Observatoire de la parité ou la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée, c'est pourtant le coeur même de la réforme qui pose problème. Bien que les carrières des femmes se rapprochent peu à peu de celles des hommes, le report des bornes d'âge - de 60 à 62 ans pour l'âge légal, de 65 à 67 ans pour le taux plein - risque de frapper les femmes de plein fouet. " Elles sont plus nombreuses à devoir travailler jusqu'au seuil de départ à taux plein, note la Halde. Le relèvement progressif risque donc de pénaliser les femmes plus que les hommes. "

Pistes écartées

Pour éviter de creuser encore les inégalités, la Halde demande donc le maintien de l'âge de départ à taux plein à 65 ans pour les personnes " ayant pris un congé parental ou pour soins apportés à un enfant ou un parent malade ". Au nom de l'Observatoire, Chantal Brunel propose, elle, de maintenir à 65 ans l'âge de départ à taux plein pour les femmes ayant deux enfants. Quant à la délégation aux droits des femmes dirigée par Marie-Jo Zimmermann, elle suggère de maintenir l'âge du taux plein à 65 ans pour tous les salariés.

Le président du Sénat, Gérard Larcher, s'était déclaré ouvert à ces propositions mais elles ont été écartées par Eric Woerth : pour le ministre du travail, le temps finira par avoir raison des écarts de pension. " Les femmes âgées de 54 ou 55 ans partiront à la retraite avec autant de trimestres que les hommes (...), note-t-il dans Le Parisien. La vraie question n'est donc plus celle de la durée de cotisation ou de l'âge de départ mais celle de la différence de salaire. " Cette conviction est loin d'être partagée par ses opposants : ils craignent que le développement massif du temps partiel et de la précarité, qui touchent plus particulièrement les femmes, aille à l'encontre de ces évolutions.

Anne Chemin

" Les hommes trinquent. Mais nous, les femmes, qu'est-ce qu'on ramasse ! "

TéMOIGNAGES

Ils n'y sont pas encore, mais ont l'âge d'y penser. Elles, surtout. " Les hommes trinquent, enfin certains. Mais nous, les femmes, qu'est-ce qu'on ramasse ! ", résume Pascale S. (elle n'a pas souhaité donner son nom), 57 ans. La maladie génétique qu'on lui a découverte, au début des années 2000, lui a valu d'être reconnue invalide - ce qui lui interdit tout travail déclaré, mais lui assure un minimum d'indemnités. Jusqu'à quand ? 62 ans ? Et après ? Elle n'en sait rien.

Avec son parcours professionnel en confettis, jobs au noir par-ci, arrêts maternité par-là, et seulement dix années de travail déclaré sur toute une vie de labeur, cette Lyonnaise d'adoption, deux fois divorcée et mère de quatre enfants, ne se fait pas d'illusions. " On m'a calculé que j'aurai 700 euros de retraite par mois ", indique-t-elle. C'était avant le projet de réforme. Son minuscule pactole ne risque-t-il pas, désormais, d'être revu à la baisse ? D'y penser, ses " poils se hérissent ", s'exclame-t-elle. " On se donne à fond pour élever les enfants, faire vivre le foyer. Et quand le mec s'en va, c'est un cataclysme ", s'énerve la divorcée.

Fathia Z. (qui souhaite également rester anonyme ), elle non plus, n'a " pas beaucoup cotisé ". Cette Marocaine de 50 ans, arrivée en France en 1988, est caissière depuis onze ans chez Monoprix, dans l'Est parisien. Elle touche " 1 100 euros net par mois - avec le 13e mois et les primes en plus ". Elle a élevé seule sa fille, aujourd'hui âgée de 17 ans - qu'elle rêve de voir poursuivre des études. Le recul de l'âge de la retraite à taux plein, désormais prévu à 67 ans, est pour elle une " catastrophe ". Fathia, comme la majorité de ses collègues, est (très) loin d'avoir réuni toutes ses annuités. " Déjà, à mon âge, je me sens fatiguée. Le matin, il faut que je me tire par le nez. Je m'assois sur mon lit, je me dis : tu y vas ou pas ? ", raconte-t-elle. Comme la plupart des caissières de son âge, elle souffre d'arthrose - " De la nuque, des coudes et des épaules ", dit-elle en mimant les gestes qu'on fait à la caisse, sept heures durant.

Il n'y a guère que " celles qui ont commencé jeunes et qui ont les quarante et une annuités " qui peuvent rêver de partir avant l'heure légale, explique une déléguée CGT, amie de Fathia : la " rupture conventionnelle ", prévue dans le code du travail, autorise les licenciements à l'amiable - " Ça permet d'avoir le chômage pendant deux ans, pour faire la soudure jusqu'à la retraite. " Jusqu'ici, certaines caissières pouvaient donc partir à 58 ans. Désormais, il leur faudra attendre deux années de plus. Fathia, elle, devra patienter bien au-delà.

Ce qui est vrai des salariées à revenus modestes - les deux tiers sont des femmes, selon les estimations de l'inspection générale des affaires sociales - l'est aussi, souvent, pour les femmes cadres, aux salaires plus élevés. Susane (prénom d'emprunt), 58 ans, directrice communication de l'activité internationale d'une grosse société américaine, a fait ses comptes. Pour toucher sa retraite à taux plein, il lui faudrait travailler " jusqu'à 65 ans et 8 mois ". Or, dans son entreprise, les cadres de plus de 61 ans, " ça n'existe pas ". Pour les femmes, " c'est pire : on nous pousse vers la sortie bien plus tôt ".

Pragmatique, Susane imagine le scénario le plus probable pour elle : " Si je suis virée à 60 ans, j'obtiendrai une indemnité de départ. Avec laquelle je suis censée vivre... pendant presque six ans - c'est-à-dire jusqu'à l'âge de la retraite à taux plein. Impossible : je serai donc obligée de prendre ma retraite avant, avec une décote de 10 % par an... " Elle qui gagne aujourd'hui quelque 5 000 euros par mois devrait se retrouver avec " 2 000 euros maximum " de retraite mensuelle.

Dominique Arcuri, solide gaillard de 49 ans, semble avoir plus de chance. Pensez ! La seule chose dont se plaint cet ouvrier-tourneur des chantiers navals de Cherbourg, c'est de devoir partir à la retraite à 54 ans, au lieu de 53 ans. Il habite en famille une jolie maison sur les hauts de la ville. Il a tout ce qu'il faut. Tout - et même une chose en plus, hélas, qui ne se voit pas à l'oeil nu : l'ombre mortelle de l'amiante. Il pèse sur son avenir un " risque différé ", selon le jargon officiel. Celui de mourir avant l'heure.

Le nombre des décès liés à l'amiante pourrait atteindre les 100 000 à l'horizon 2025, prédisent des experts. La maladie se déclare souvent tardivement - à l'âge de 63 ans, " en moyenne ", rappelle l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva). " La moindre bronchite, on a la trouille ", lâche Dominique Arcuri, dont le propre père et plusieurs collègues " de la navale " ont été " balayés en quinze jours " par un cancer. Fixée à 65 % du salaire brut, la " préretraite amiante ", baptisée allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Acaata), ne concerne que les salariés d'entreprises reconnues " à risque ". C'est le cas des chantiers navals de Cherbourg. Encore faut-il que les ouvriers qui travaillent dans ses ateliers n'aient pas eu le statut d'intérimaires...

Ce fut le cas, durant deux ans, de Dominique Arcuri. Résultat : il perd un an et demi de préretraite. " Et je ne suis pas le plus à plaindre !, concède-t-il. Certains ont bossé pendant six ans en intérim ; eux, ils perdent trois ans. " La menace de limiter l'accès à l'Acaata aux seuls malades fait bondir Dominique Arcuri, qui a décidé de rejoindre l'Andeva. Celle-ci organise, le 9 octobre, à Paris, une manifestation. " Prendre sa retraite avant les autres, ce n'est pas un cadeau, insiste l'ouvrier. On préférerait partir avec des poumons sains. "

Catherine Simon

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