Les marges de manoeuvre de Nicolas Sarkozy, qui appelle à un " nouvel ordre monétaire " mondial, sont étroites
ANALYSE
Ce fut le sujet numéro un du sommet Europe-Asie : le grand désordre monétaire, avec, dans le rôle de l'accusée, une Chine arc-boutée sur son refus de laisser s'apprécier librement le yuan. Les dirigeants européens ont emboîté le pas aux Etats-Unis en signifiant mardi 5 octobre à Pékin qu'ils commençaient à perdre patience.
De prime abord, le débat ne pouvait pas mieux tomber pour l'Elysée, à cinq semaines du début de la présidence française du G20. En janvier 2010, à Davos, le président de la République Nicolas Sarkozy avait lancé l'idée d'un " Bretton Woods II " dans l'indifférence générale. A la faveur des tensions grandissantes sur le marché des changes, ses appels en faveur d'un " nouvel ordre monétaire " sont désormais largement relayés.
Remontée brutale de l'euro, durcissement du bras de fer entre les Etats-Unis et la Chine sur la question du yuan, intervention unilatérale du Japon pour freiner l'envolée du yen... " Il y a clairement cette idée qui commence à circuler que les monnaies peuvent être utilisées comme une arme de politique économique ", indique le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, dans le Financial Times mercredi.
" Nous vivons dans un monde où les déséquilibres monétaires font peser un risque sur toutes nos économies ", a souligné de son côté M. Sarkozy, lundi, à Bruxelles. Les symptômes du " mal " sont désignés : volatilité excessive des taux de change, déséquilibres aggravés des comptes courants, accumulation par certains pays émergents de réserves de change colossales...
Tout en repoussant l'idée d'un retour à l'ère des changes fixes, abandonnée avec l'explosion de Bretton Woods en 1971, M. Sarkozy veut poser les jalons d'une réforme du système monétaire international lors de sa présidence du G20. Mais au-delà des intentions, le projet, pharaonique, semble encore bien confus. Et pour le moins difficilement réalisable.
Le président français est favorable à un système qui verrait la suprématie du dollar réduite au profit de monnaies alternatives. Pourtant, existe-t-il seulement un actif de réserve susceptible de détrôner le billet vert à l'échelle mondiale ? L'idée des droits de tirages spéciaux (DTS) a déjà été évoquée, sans conviction. Cette unité de compte du FMI, établie sur un panier de monnaies, s'utilise uniquement entre banques centrales.
Parmi les grandes devises, l'euro constitue aujourd'hui 27 % des réserves de change contre 62 % pour le dollar. Mais l'Europe ne pousse surtout pas à une internationalisation accrue de sa monnaie, par crainte de la voir s'apprécier fortement. Quant au yuan chinois, il n'est tout simplement pas convertible.
" Dans l'état actuel des choses, vouloir reconstruire complètement le système est irréaliste. Ni les Etats-Unis ni la Chine ne le souhaitent vraiment ", estime l'économiste Jean Pisani-Ferry.
Paris se heurte d'ailleurs au scepticisme de ses plus proches partenaires, Berlin en tête. " Ce que l'on entend par "nouvel ordre monétaire" reste particulièrement flou ", a commenté le secrétaire allemand aux affaires étrangères, Werner Hoyer, mardi, en marge du sommet Europe-Asie. " De ce fait, personne ne s'est engagé " à ce sujet, a-t-il précisé. Très attachée à la stabilité de l'euro, l'Allemagne est hostile à toute tentative de croisade contre le dollar qui pourrait ébranler le système.
L'idée d'un grand " chamboulement " est donc jugée peu crédible. Tout comme la proposition de M. Sarkozy de pouvoir mobiliser des " sommes colossales " pour parvenir à contrer une " spéculation irrationnelle ". Un leurre, estiment les experts, sur un marché où s'échangent chaque jour 4 000 milliards de dollars (2,8 milliards d'euros).
Pour autant, " la situation est propice au lancement d'une discussion sur l'élaboration d'instruments de surveillance et de coordination ", affirme Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis. Le renforcement du rôle d'arbitre du FMI est une piste évoquée par l'Elysée.
M. Sarkozy propose aussi d'instaurer le G20 comme cadre international de concertation sur les monnaies. Le sujet était autrefois confié au G7. Ce forum est désormais jugé obsolète puisqu'il ne compte pas la Chine, colosse financier, avec ses 2 500 milliards de dollars de réserves de change. Mais Pékin refuse de parler du yuan. M. Sarkozy veut contourner cet écueil en impliquant les dirigeants chinois à sa présidence du G20 : il envisage notamment l'organisation d'un colloque en Chine sur les questions monétaires.
Faute de marges de manoeuvre, le président français devra-t-il se contenter de poser des questions ? " Ça ne va pas être le grand soir, estime l'économiste Christian de Boissieu. Mais ce serait déjà une réelle avancée que les grandes puissances parlent ouvertement de ces sujets qui fâchent et qui ont été soigneusement évités depuis deux ans autour de la table du G20. "
Marie de Vergès