Le dispositif le plus connu, lancé par le président Cardoso mais repris et démultiplié par l’administration Lula est la Bolsa Familia (Bourse Famille), un mécanisme de «transfert sous conditions» peu coûteux pour les finances publiques (5,8 milliards d’euros cette année) et doté d’un fort effet de levier.
Les familles les plus défavorisées reçoivent une allocation mensuelle allant jusqu’100 euros — versés à la mère — à condition de scolariser les enfants et de tenir leurs vaccinations à jour. Aujourd’hui 13 millions de foyers en bénéficient. «C’était une promesse électorale de Lula, raconte un proche du gouvernement. Au début, nos détracteurs nous ont taxés de clientélisme, persuadés que la mesure prendrait fin un ou deux ans après les élections. Mais elle a perduré et les femmes ont commencé à prélever une partie de cette somme pour acheter un peu d’électro ménager, puis du matériel pour se lancer dans un petit job ou un petit commerce».
Tout en réduisant la malnutrition et le travail des enfants, Bolsa Familia a stimulé l’économie locale, puis l’économie tout court. Un effet d’entraînement parfois spectaculaire dans des petites villes isolées. «On pourra toujours aménager, faire évoluer Bolsa Familia, mais il parait impossible aujourd’hui de la supprimer. Elle est devenue un acquis social», ajoute-t-il.
Des programmes ciblés se sont superposés, tels que «Lumière pour tous» destiné à installer l’électricité dans les zones difficiles d’accès ou, plus récemment un plan d’aides d’accession à la propriété, portant sur 1 million de logements.
Le président métallo a d’autre part veillé à relever régulièrement le salaire minimum, qui a progressé, hors inflation, de quelque 55% en 8 ans à 210 euros, profitant à près de 30 millions d’employés et à 18 millions de retraités. Quant au taux de chômage, sous l’effet de l’investissement public et des mesures contracycliques prises au plus fort de la crise, il est tombé en août dernier au niveau historiquement bas de 6,7%. Si l’on ajoute une explosion du crédit, passé en quelque années de 25% à 45% du PIB, on a les clés de l’émergence de cette classe moyenne brésilienne avide de consommer, qui représenterait aujourd’hui, selon Brasilia, la moitié de la population (contre 30% il ya 8 ans).
Indéniablement , on vit mieux dans le Brésil d’aujourd’hui qu’il y a 10 ans.
Pour autant, les inégalités se sont-elles pour autant réduites? A première vue oui. Le coefficient de Gini (qui mesure la concentration des richesses sur une échelle de 0 à 1) s’est d’ailleurs réduit à 0,548 en 2008 contre 0,583 en 2003. Mais selon l’lPEA, ce chiffre est trompeur puisqu’il n’inclut pas ni les fortunes placées à l’étranger, ni les revenus du capital.
Or, selon toute vraisemblance, ceux-ci ont progressé beaucoup plus vite que ceux du travail. João Sicsú, un chercheur de l’institut cité par l’éditorialiste brésilien Clovis Rossi, estime même que les 20.000 familles les plus riches du pays empochent chaque année 80% des intérêts de la dette publique (soit plus de 100 milliards d’euros). La réduction des inégalités, même légère serait donc illusoire. Selon l’ONU, le Brésil est d’ailleurs toujours neuvième au palmarès des inégalités sociales.
Certes, Lula a toujours été soucieux de ne pas s’aliéner les catégories les plus riches du pays, à commencer par les fameuses 20.000 familles, acteurs majeurs de l’économie, et principaux bénéficiaires, chaque année, des énormes intérêts de la dette publique.
La fiscalité brésilienne, qui taxe lourdement le travail, mais reste très légère pour les revenus du capital, n’a été modifiée qu’à la marge. L’éducation, particulièrement défaillante au Brésil, est une autre source du maintien des inégalités. Jusqu’à l’absurde puisque les fils de famille, passés par les meilleures écoles privées, sont ensuite admis dans les universités d’Etat gratuites, tandis que les plus modestes, pénalisés par le niveau médiocre de l’enseignement primaire et secondaire public, sont recalés et contraints, s’ils veulent poursuivre leurs études, de se rabattre sur des établissements payants.
Certains regrettent que Lula, fort de sa popularité et de ses origines ouvrières, n’ait pas davantage secoué le cocotier, ou du moins initié un processus. D’autres rappellent qu’on ne met pas fin, en huit ans, à une situation historique.
Anne Denis