Le statisticien danois Bjorn Lomborg rompta avec les climatosceptiques et défend la recherche dans les énergies vertes
ENTRETIEN
Le statisticien danois Bjorn Lomborg, 45 ans, a connu la notoriété mondiale en 2001 avec son livre The Skeptical Environmentalist (L'Ecologiste sceptique, Le Cherche Midi, 2004). Cet ouvrage entendait démontrer que nombre de problèmes environnementaux - dont le changement climatique - étaient exagérés. Ses thèses ont été combattues par de nombreux écologistes et scientifiques, mais soutenues par des personnalités comme Claude Allègre, qui a préfacé la traduction française de l'ouvrage.
Mais dans Smart Solutions to Climate Change (" Des solutions intelligentes pour le changement climatique "), ouvrage collectif qu'il dirige et qui paraît en Grande-Bretagne aux Cambridge University Press, celui qui est devenu le directeur du Consensus de Copenhague (un centre de réflexion danois) cesse ses attaques contre la théorie du changement climatique. Il propose maintenant d'autres solutions que celles usuellement avancées.
Vous ne mettez plus en avant les réserves sur le changement climatique. Le changement climatique est-il une réalité ?
Oui, il est réel, il découle de l'activité humaine, et c'est un phénomène important. Les estimations économiques nous indiquent que le dommage lié au changement climatique sera de 2 % à 5 % du produit intérieur brut mondial à la fin du siècle. Ce n'est pas la fin du monde, mais ce n'est pas rien. Le changement climatique est définitivement un problème important. Mais ce n'est pas le seul, si l'on pense que la moitié de la population mondiale manque d'eau, d'un bon système de santé et d'éducation, et même de nourriture suffisante.
Que pensez-vous de l'offensive des climatosceptiques contre le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), à l'hiver 2009-2010 ?
Le GIEC est la meilleure source d'information que nous ayons sur le changement climatique. Cependant, il n'est pas à l'abri des erreurs, et il devrait être politiquement neutre. Il a parfois été très loin pour recommander des actions, et, comme on l'a vu avec les glaciers de l'Himalaya, il a parfois exagéré. Mais le point fondamental est que le GIEC est correct à 90 %.
Le livre que vous dirigez observe qu'il " est peu probable que tous les impacts du changement climatique pourront être évités ". Quels pourraient-ils être ?
Le changement climatique va surtout frapper les pays en développement : ils devront faire face à plus de précipitations, à des fortes températures, à des ouragans plus violents, subir des impacts négatifs sur l'agriculture, etc. Mais quand cela se produira, ces pays seront beaucoup plus riches qu'aujourd'hui et pourront mieux y faire face. Par exemple, on prévoit que le Bangladesh sera à la fin du siècle plus riche que les Pays-Bas d'aujourd'hui : il sera à même de faire face à l'élévation du niveau des mers.
La croissance économique mondiale va-t-elle se poursuivre durant tout le XXIe siècle ?
Oui. Si elle ne se poursuivait pas, beaucoup des problèmes liés au réchauffement global seraient atténués, parce qu'il y a un lien très fort entre les émissions de gaz à effet de serre et l'enrichissement des pays.
Donc, une façon de réduire les émissions serait de réduire la richesse des pays ?
Absolument. Mais aucun responsable politique ne sera réélu s'il conduit son pays à moins de richesse. D'autant plus que le changement climatique n'est pas le seul problème à résoudre : devenir plus riche est le seul moyen de répondre aux problèmes d'eau, d'alimentation, de santé ou d'éducation. Le défi est de trouver un moyen tel que les nations s'enrichissent tout en n'émettant pas de CO2.
Quelles solutions au changement climatique préconisez-vous dans le livre ?
Il faut abandonner la politique de réduction des émissions de CO2 mise en oeuvre par le protocole de Kyoto et promue par l'Europe. Cette stratégie ne marche pas : on a promis de réduire les émissions et on a échoué de manière spectaculaire. En ce qui concerne l'avenir, les économistes que nous avons réunis estiment que limiter le réchauffement global à 2 °C est incroyablement coûteux.
Il faut développer d'autres pistes : réduire les émissions de méthane, les particules de suie, capter et stocker le CO2, planter plus d'arbres, étudier la géo-ingénierie - techniques de manipulation de l'atmosphère permettant de limiter l'effet de serre en limitant l'ensoleillement de la Terre, par exemple - , faire de la recherche en technologies vertes et transférer les technologies entre les pays. Les deux priorités sont la recherche sur la géo-ingénierie et la recherche sur les technologies d'énergie verte. Investir dans l'énergie verte est la solution à long terme du réchauffement global. Si ces énergies sont moins chères que le pétrole et le charbon, tout le monde les adoptera. Il faut investir 100 milliards de dollars par an (78 milliards d'euros) dans cette recherche.
Faut-il développer aujourd'hui les énergies renouvelables ?
Ce n'est pas une bonne idée tant qu'elles ne sont pas compétitives. Par exemple, l'Allemagne dépense 75 milliards de dollars en subventions pour des panneaux solaires qui ne fournissent que 0,1 % de la production électrique du pays. De même, le Danemark a installé depuis les années 1970 10 000 éoliennes qui sont largement inefficaces. Cela crée des emplois - d'une manière très coûteuse - et de belles séances photo pour les politiciens. Mais cela n'a que très peu d'effet sur le climat. Il ne faut pas dépenser des sommes énormes sur des moyens inefficaces, mais dépenser moins en concentrant l'investissement sur la recherche pour obtenir des technologies qui seront efficaces dans la prochaine décennie. La réduction massive des émissions dans le monde ne se produira que quand la technologie sera si bon marché que l'Inde et la Chine en voudront.
Que pensez-vous de la théorie du pic pétrolier ?
Elle est fausse. Il reste énormément de pétrole à découvrir, notamment dans les sables bitumineux et les schistes bitumineux. Et même si on manquait de pétrole, il y a des centaines d'années de réserves de charbon, qui est moins coûteux. Le monde polluerait simplement plus avec le charbon.
Vous promouvez la géo-ingénierie ?
On ne dit pas qu'il faut l'appliquer maintenant, mais qu'il faut l'étudier vraiment. C'est le seul moyen qui nous permettrait d'agir rapidement - en années plutôt qu'en décennies -, s'il arrivait quelque chose de vraiment négatif en matière de
climat. La taxe sur le carbone est-elle un dispositif efficace ?
C'est le moyen le plus efficace pour changer le comportement des gens à court terme. Les estimations dont nous disposons indiquent qu'une tonne de carbone émise aujourd'hui causera un dommage climatique d'un coût de 5 euros. Je soutiens une taxe de 5 euros : elle serait encore insuffisante pour changer le comportement des gens, mais permettrait de financer la recherche.
Comment joue l'inégalité entre le Nord et le Sud ?
Quoi que fassent les pays du Nord pour lutter contre le réchauffement climatique, cela aura peu d'effet, parce que la grande majorité des émissions attendues va se produire dans les pays en développement. Il faut donc que ces derniers disposent de technologies vertes à bon marché.
Propos recueillis par Hervé Kempf