Le complot des «bousculés»
Plutôt que de s'en prendre aux coalisés de «l'anti-réforme», le chef de l'Etat aurait dû fixer un cap.
«On veut me nuire parce que je réforme». Tel est le fond de l’analyse qu’a développée Nicolas Sarkozy pendant une heure lundi sur France 2. Les réformes «bousculent les intérêts acquis» et donc les «bousculés» se sont coalisés contre moi.
Cette analyse a la justesse première de l’évidence. Oui, les réformes bousculent les acquis. Oui, les Français sont profondément conservateurs, ils ne veulent le changement que chez leur voisin. Oui, le pays s’est enfermé depuis 25 ans dans un immense ni-ni: ni libéralisme, ni socialisme disait Mitterrand, ni-en avant, ni-en arrière, a traduit l’immobiliste Chirac. Quand le monde file à toute allure, quand les technologies forcent au changement, quand la mondialisation bouscule tout, bouleverse tout, révolutionne tout, la France s’est plu à faire de la «résistance», défendant son «modèle», croyant crânement avoir raison contre tous les autres. La gauche extrême a lié partie avec Jacques Chirac contre le mouvement: ne rien changer c’était une victoire du peuple!
Nicolas Sarkozy a voulu «la rupture» et il avait raison. L’immobilisme n’est pas la victoire, mais la défaite pour les chômeurs, pour les jeunes repoussés du marché du travail, pour les seniors mis de côté et pour l’immense armée des «précaires», puisque le capitalisme nouveau ne s’est pas arrêté aux frontières de la France. Il fallait adapter le modèle aux nouvelles injustices, aux nouvelles réalités, aux nouvelles misères. A défendre le modèle ancien, la France a multiplié les vrais pauvres.
Tout cela est de l’histoire ancienne. Cela date de 2007, le moment de l’élection. En 2009, des réformes ont été engagées, limitées, abandonnées. Les critiques ont tort: de l’université aux représentations syndicales, du nombre de fonctionnaires aux retraites, le bilan de Nicolas Sarkozy est loin d’être nul.
Seulement, le président n’en tire aucun crédit. Pour beaucoup, il n’a fait que des demi-réformes et à peine. Pour beaucoup d’autres, il a fait des réformes pour les riches. Le problème est double: la profondeur de l’action et la répartition des efforts. C’est à ces deux questions qu’il fallait répondre sur France 2. Pourquoi ces efforts doivent-ils être accrus avec la crise? Comment les «bousculés» vont-ils néanmoins y gagner?
Malheureusement, le Président n’a pas répondu. Il n’a pas dit où en était la France dans la compétition mondiale. Il a choisi curieusement de rester sur des thèmes où il est mal à l’aise. D’abord, la «République irréprochable». Ensuite l’argent, en défense du bouclier fiscal. Enfin, le discours budgétaire sur «la France n’a pas les moyens». Il n’est convaincant sur aucun de ces points. Que nous a-t-il tracé une voie de sortie de crise pour la France, bref un avenir, qui, lui, justifie les efforts. Il serait temps, pour sortir de la morosité, de redonner un élan.
Il n’a pas dit, non plus, comment il entendait lutter contre les injustices. Défendre «le fait de gagner de l’argent» est aujourd’hui inverse aux attentes. La France sarkozyste est vécue comme favorable aux riches, c’est ce qu’il devait démonter. Plutôt que de s’en prendre au complot des «bousculés » par les réformes, il devait dire comment ces réformes allaient permettre un rebond de croissance et d’emplois, comment il voulait changer les choses en profondeur, pour les jeunes, pour le futur là aussi.
Les Français ne savent pas où ils vont, ils voient les coupes de l’austérité arriver, ils s’inquiètent légitimement et regardent suspicieusement les coupes faites chez le voisin. Ce qui manque à Nicolas Sarkozy, ce n’est pas le dynamisme, il en est bien doté. C’est une vision forte de l’avenir du modèle social français vers lequel son dynamisme nous conduit.
Eric Le Boucher
Photo: Flick CC by believekevin