Serions-nous en train de changer d'ère? La réduction du train de vie du gouvernement est une nouveauté dans le sarkozysme.
Nicolas Sarkozy a donc décidé de réduire «vigoureusement» le train de vie du gouvernement. Et c'est vrai, comme le dit le député Dosière, célèbre chasseur de gaspi de la République, c'est vite fait, on sent que c'est improvisé, il y a beaucoup de com' dans cette opération. Il y a aussi visiblement du trompe-l'œil et un tri très sélectif dans ces dépenses. Mais là n'est pas l'essentiel.
Ce qui compte, c'est que la philosophie change. Et elle change, même si c'est un peu au forceps et sous la pression. Les premières «remontées de terrain», les premiers sondages sur la question, le déferlement des révélations de la presse en sont la cause. Nous ne sommes, bien sûr, pas du tout dans le cadre de la réduction des déficits, mais dans le symbole et le message. Il s'agit d'économiser simplement quelques millions, d'éteindre la lumière en sortant de la pièce. C'est une logique de gouvernement qui n'est pas dans la nature première du sarkozysme. Nicolas Sarkozy considérait que la politique était un métier et que la politique de haut niveau était un métier de haut niveau. Le standing et les avantages, sans être bien sûr comparables à ce qui se pratique dans le privé, devaient tout de même être en rapport avec le professionnalisme et les compétences des acteurs de la politique. C'était la culture du résultat: on veut les meilleurs, on ne peut pas trop bien les payer, alors on les traite bien. On était à cent lieux de la notion de service ou de mission qui aboutissaient (on prend toujours cette image) à ce que le général de Gaulle fasse détailler sa facture d'électricité de l'Elysée pour payer ce qui correspondait à son appartement de fonction. Avec Valéry Giscard d'Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac, on avait déjà changé d'époque et ces présidents de la fin du XXe siècle étaient aussi ceux de l'ère consumériste et d'un temps, certes de crise, mais également de croissance. On ne faisait pas trop attention au train de vie des hommes d'Etat, d'autant que les grands patrons affichaient, plus que jamais, leur opulence. Nicolas Sarkozy est un homme politique des années 1990; de la fin de cette ère-là. La différence avec ses prédécesseurs, c'est qu'il cumulait le goût des avantages liés à la fonction, le goût de l'apparat un peu désuet et fastueux de la République et cette culture de capitaine d'industrie appliquée à la politique.
Mais ça ne tient plus parce que, quand on demande des sacrifices, il faut donner le sentiment d'en faire aussi soi-même. Ça ne tient plus parce que la culture du capitaine d'industrie, c'est la culture, aussi, normalement, des conséquences. Le fait qu'il n'y ait eu aucune réprimande après les affaires d'appartements, d'avions ou de cigares de fonction est en contradiction avec une logique responsabilité qui était pourtant bien présente dans le discours du candidat de 2007.
Nous allons donc, si la lettre du Président est réellement suivie d'effets, changer de façon de gouverner. Il faudra bien sûr vérifier à l'usage, comme toujours, mais prenons par exemple la suppression des chasses présidentielles... voilà qui est un signe encourageant. Ça ne fera pas d'économie, parce que les chasses présidentielles ne sont plus du ressors de la présidence depuis Jacques Chirac. Mais cette pratique de battue grand style digne des républiques bananières ou des monarchies d'opérette avait été réactivée par Nicolas Sarkozy qui avait placé son homme des réseaux Pierre Charon à la tête de l'organisme qui s'occupe du parc du Château de Chambord. Les chasses étaient faites pour entretenir les réseaux, ces liens entre grands patrons, chef d'Etats africain, élus... une certaine idée de la politique entre puissants. Il ne s'agit pas d'être naïf, ça se passera peut-être ailleurs, mais le signe est là. On change d'époque. Et c'est peut-être contraint et forcé que le Président finira par s'approcher un peu de sa promesse du 13 avril 2007: la promesse d'une République irréprochable.
Thomas Legrand