Les frontaliers seraient-ils moins égaux que les autres au Luxembourg ? C'est la question que se posent les 145 000 travailleurs lorrains, belges et sarrois qui, chaque matin, traversent la frontière pour embaucher au grand-duché. La crise n'a pas épargné ce petit pays de 500 000 habitants réputé pour ses 140 banques et sa place financière. Le gouvernement table en 2010 sur un déficit de seulement 3 % et s'apprête à lancer un " paquet fiscal " visant à réaliser un milliard et demi d'économies.
Ce plan de rigueur n'épargnera personne, mais certaines dispositions visent particulièrement les frontaliers. Il en va ainsi de l'abattement pour frais de déplacement, qui sera divisé par deux, ou de la suppression des allocations familiales pour les ménages dont les enfants sont devenus étudiants. Pour compenser les effets de cette mesure, le gouvernement versera aux familles une bourse d'études réservée aux seuls résidents.
" Ça fonctionne comme ça dans tous les pays ", se défend Guy Schuller, du service d'information du gouvernement. " Discrimination déguisée ", lui répond Jean-Claude Reding, président de l'OGBL, premier syndicat du pays, qui a déposé devant la Commission de Bruxelles une plainte en violation des directives européennes. Un rassemblement est prévu le 16 septembre sous les fenêtres du premier ministre, Jean-Claude Juncker.
" Des autochtones pour faire le boulot "
Dans les provinces, une pétition circule tandis que bourgmestres et échevins sont appelés à la rescousse. " Nous ne sommes pas des manifestants professionnels mais là, c'est malsain. La paix sociale, l'image du pays et la motivation dans les entreprises sont en jeu ", estime Jean-Claude Reding. " Les syndicats plombent l'ambiance. Si ça continue, le gouvernement révélera tout ce que le pays fait pour les frontaliers, en matière d'infrastructures et de transport, notamment ", prévient Guy Schuller. Ce porte-parole rappelle que les salaires sont " bien plus élevés ici qu'en France et même en Allemagne " : 30 % de plus en moyenne, avec un salaire minimum à 1 683 euros et un impôt prélevé à la source.
Employée dans une banque de la place depuis vingt et un ans, Aurore Collignon, qui vit à Longwy, a fait ses comptes : ce coup de rabot fiscal lui fera perdre 3 600 euros par an ; une " injustice ". Sur Internet, la communauté frontalière s'en donne à coeur joie. On y étrille M. Juncker, " bien content d'avoir bénéficié du système universitaire français lorsqu'il étudiait le droit à Strasbourg ".
Dans un édito au vitriol titré " Lululand contre Fronfronland ", Geneviève Montaigu, du journal francophone luxembourgeois Le Quotidien, évoque sur son blog un " climat pourri ". " Trop gâtés, les frontaliers ? Au train où vont les choses, ils considéreront bientôt que cela ne vaudra plus la peine d'avaler chaque jour des kilomètres d'autoroute archisaturée pour venir bosser (...). Il faudra alors trouver des autochtones pour faire le boulot. "
Nicolas Bastuck (Metz, correspondant)