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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Le Mezzogiorno à la dérive

Le Mezzogiorno à la dérive

Avec la crise, chômage  et pauvreté ont atteint  un seuil critique en Italie du Sud. Au point d’en faire une région sous-développée.

Michele Rosco | Left

Il y a peu de raisons d’espérer. Ce n’est pas faute d’avoir lu at­tentivement le rapport 2010 de la SVIMEZ (association pour le dé­veloppement de l’industrie dans le Mezzogiorno, dont le rapport annuel fait autorité en ce qui concerne la situation économique de la région). Nous y avons cherché en vain une donnée favorable, un tournant positif, un facteur qui marque une inversion de tendance. Selon tous les indicateurs, le Sud est en totale régression, économique et sociale.

La crise qui a éclaté à Wall Street a frappé le Mezzogiorno [partie méridionale de la péninsule italienne, qui s’étend des Abruzzes à la Sicile] bien plus durement que le centre et le nord du pays, avec lesquels l’écart s’est encore creusé. En 2009, la région a perdu environ 88 000 emplois et son PIB a chuté de 4,5 % (une baisse inquiétante par rapport à celle de 2008, de 1,5 %).

Deux causes principales à cette récession : les investissements ralentissent et les ménages ne consomment pas. Lors des crises précédentes, le Mezzogiorno s’était mieux défendu, en jouant sur ses faiblesses : son industrie, vouée principalement à la consommation locale, avait tenu bon face à la crise globale ; son économie – peu industrialisée dans son ensemble – n’avait pas subi les effets de la récession aussi nettement que celle du Nord, industriel et tourné vers les échanges internationaux.

Cette fois, la chute est dramatique. Aux six années de résultats inférieurs en pourcentage à ceux des régions Centre et Nord s’ajoute le ralentissement de ces dernières années de crise. Depuis maintenant huit ans, la croissance du Sud est inférieure à celle du Centre-Nord. Cela ne s’était jamais produit depuis l’après-guerre.

Aucun secteur n’est épargné : de­puis 2009, même l’agriculture est touchée et, pour la première fois depuis la fin de la guerre, la valeur ajoutée dans le secteur des services a baissé pendant deux années consécutives, avec des effets plus lourds encore sur le commerce. Même recul dans le tourisme et les transports (– 3 %), ainsi que dans le domaine du crédit et de l’immobilier. Mais le point le plus critique reste l’industrie. La valeur industrielle ajoutée a connu en 2009 une chute vertigineuse de 15,8 %, tandis que la production manufacturière s’est proprement effondrée (– 16,6 %). Si cela continue, on risque d’assister à une désertification de l’activité manufacturière du Sud, qui ne parvient à attirer aucun investissement national ou international.

Les conséquences sociales de la crise, notamment sur l’emploi, sont gravissimes. En grande partie à cause du Mezzogiorno, l’Italie est l’un des pays d’Europe où le taux du chômage des jeunes est le plus élevé. En 2008, le taux d’emploi des 15-24 ans était de 24,4 % en Italie, contre 37,5 % en moyenne dans les 27 pays européens (soit 13 points de moins). Et l’écart dépasse 20 points pour le seul Mezzogiorno, où 17 % seulement des jeunes travaillent. On assiste en conséquence à une paupérisation inquiétante de la population : 14 % des familles méridionales vivent avec moins de 1 000 euros par mois, une proportion presque trois fois plus élevée que dans le reste de l’Italie. Et 47 % d’entre elles – 54 % en Sicile – vivent avec un seul salaire. Cette pauvreté pèse surtout sur les dépenses du quotidien : en 2008, trois familles sur dix ont manqué d’argent pour l’achat de vêtements d’usage courant et les factures d’électricité, d’eau et de gaz ont été payées en retard dans 16,7 % des cas.

Renforcer l’orientation méditerranéenne de la région

Les ressources du Sud servent donc de plus en plus à répondre aux exigences quotidiennes – les dépenses courantes – et de moins en moins à produire de la valeur à long terme. Cette tendance est visible dans l’utilisation qui a été faite des financements extraordinaires provenant de fonds européens et de fonds nationaux (à travers le Fonds pour les zones sous-utilisées) destinés, précisément, à réduire l’écart entre les régions.

Pour sortir de cette situation, le Sud a besoin d’une politique industrielle fondée sur deux piliers : le développement durable et le binôme recherche et développement. Il faut que le secteur manufacturier, peu internationalisé et axé sur des produits à faible valeur ajoutée, se tourne vers les nouvelles valeurs de l’économie afin de mettre sur pied des entreprises d’un type nouveau, orientées vers l’innovation. De tout cela aucune trace dans les politiques gouvernementales, qui ignorent jusqu’à l’expression “politique industrielle” et qui réduisent systématiquement les ressources affectées à la recherche et à l’université.

Il faudrait par ailleurs favoriser l’orientation méditerranéenne de la région et l’ouvrir aux échanges avec les “pays du Sud” – et plus particulièrement avec l’Extrême-Orient, au développement très dynamique – en offrant à ceux-ci une porte vers l’Europe. Pour cela, le Mezzogiorno doit rester une frontière ouverte, et non pas une barrière comme l’entendent nos gouvernements, qui ont ramené les relations avec l’autre rive à un problème d’ordre public. Le Sud, enfin, a besoin d’une prise de conscience de sa situation et d’une nouvelle classe dirigeante. Sans ces deux éléments, sans une mobilisation de ceux qui luttent contre cette dérive du sous-développement, sans une classe dirigeante compétente et honnête qui interprète les besoins du Sud, aucun espoir n’est possible.

Note :Michele Rosco est professeur d’économie à la faculté de sciences politiques de l’université de Salerne.

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