La crise de 2008 a été jugulée grâce aux formidables moyens déployés par les autorités publiques du monde entier. Politiques monétaire et budgétaire agressives, renflouement généreux des établissements financiers ont permis de limiter rapidement les dégâts. Officiellement, selon le National Bureau of Economic Research, la crise se serait ainsi achevée en juin 2009 aux Etats-Unis... Deux ans après son déclenchement, toutefois, les incertitudes reviennent. Dans ses dernières prévisions de croissance, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) met en garde les pays riches contre tout optimisme prématuré. Sans évoquer le spectre du " double dip ", le retour à une croissance négative, elle prévoit un second semestre médiocre pour les pays du G7, le dernier trimestre s'établissant à un rythme annuel de 1 % seulement...
Sans nécessairement partager le pessimisme de l'OCDE, la plupart des analystes sont taraudés par la même question : en cas de rechute, qui sauvera le monde ? Les instruments classiques de politique économique ont tous été usés. La politique monétaire est déjà au plancher avec des taux d'intérêt quasiment nuls. Or le taux d'intérêt souhaitable pour soutenir la croissance aujourd'hui devrait être négatif, et valoir - 2 % selon la règle dite de Taylor, qui fait autorité en ce domaine....
Des mesures " non conventionnelles " sont prévues, mais leur efficacité restera à prouver. Dans le domaine budgétaire, nul ne peut dire à quelle vitesse les autorités réduiront vraiment leurs déficits, mais il semble acquis qu'ils ne pourront plus les augmenter, même en cas de rechute... La crise grecque est passée par là, qui a fait rentrer les Etats sous leur tente. En bref, les cartouches de la politique économique ont été tirées, et il ne semble pas que les autorités puissent recharger leurs fusils rapidement...
D'aucuns misent sur l'Asie en général et la Chine en particulier pour redonner du tonus à l'économie mondiale. Les pays émergents ont de fait renoué avec leur croissance d'avant-crise, la Chine et l'Inde retrouvant des taux proches de 10 %. La Chine est officiellement devenue la deuxième économie mondiale, dépassant en taille le Japon, au cours de l'été. Mais le problème fondamental que la Chine pose au monde n'a pas évolué. Ses excédents récurrents (aujourd'hui à 5 % de son produit intérieur brut) créent une situation d'excès d'offre planétaire, à l'heure où l'économie mondiale a surtout besoin d'une demande plus forte...
Le problème est en effet que la contrepartie " habituelle " des excédents chinois, les Etats-Unis, peine à se rétablir. L'une des mauvaises nouvelles de l'été a précisément tenu au surcroît imprévu d'importations américaines, qui a conduit à réviser à la baisse les chiffres du deuxième trimestre. Le nombre de chômeurs et de travailleurs en sous-emploi stagne à un niveau élevé (supérieur à 17 % de la population active). La dette des ménages reste à un niveau préoccupant, surtout si on la rapporte au prix de l'immobilier. Les entreprises s'en sortent mieux. Elles ont géré la crise en temps réel, licenciant à proportion exacte de la chute de la production, et ont retrouvé leurs niveaux de bénéfices d'avant-crise. Mais Wall Street ne sait plus s'il doit se réjouir des profits retrouvés ou s'inquiéter de la dégradation du marché de l'emploi, qui est l'envers de la même pièce.
L'Europe donne également des signaux ambivalents. Les résultats du deuxième trimestre ont surpris les analystes par leur vigueur. La croissance moyenne a été meilleure que prévu, l'Allemagne affichant une santé insolente au second semestre, avec une croissance de 9 % en rythme annuel ! Ce rebond tient en partie aux causes techniques, liées notamment à la reconstitution des stocks. L'économie européenne profite aussi d'un euro affaibli par la crise grecque (bonne nouvelle paradoxale). Mais ce gain est fragile : l'euro pourrait remonter rapidement si l'économie américaine patinait. Autre problème : l'Allemagne joue au sein de la zone euro le même rôle que la Chine à l'échelle du monde. Elle est redevenue une source récurrente d'excédents (5 % de son PIB également...) et pèse sur l'offre au moment où la contraction budgétaire diminuera la demande en Europe.
Quand elle va bien, l'économie mondiale s'apparente à un jeu à somme positive : les excédents des uns financent la dépense des autres, salaires et profits peuvent croître ensemble, tirés par un troisième terme, le progrès technique. En période de crise, quand tout va mal, les règles s'inversent. Chacun redoute que le ralentissement des autres ne se propage chez lui. Le monde ressemble alors à un jeu à somme nulle. Les profits forts sont l'envers de salaires bas et réduisent la demande finale. L'excédent commercial des uns est une mauvaise nouvelle pour les autres pour la même raison...
La tentation politique devient alors celle du chacun pour soi. Dans les années 1930, on parlait de " beggar my neighbor policy " : on traite " le voisin comme un mendiant ". Tel est le mal qui menace à nouveau, on oserait dire : dans tous les domaines... A défaut de s'entendre sur des nouvelles mesures, les pays du G20 doivent au moins se convaincre qu'en dépit des apparences, leurs destins restent solidairement liés entre eux.
Daniel Cohen