Les mauvais chiffres de l’économie américaine font remonter les craintes d’une retombée dans la récession et, au-delà, resurgir le spectre japonais de « la décennie perdue ». L’Amérique est-elle condamnée à son tour à entrer dans une longue période de croissance faible avec un chômage élevé ? L’Europe n’est pas à l’abri de cette menace. Par influence américaine d’abord, mais surtout parce que, derrière cette « décennie perdue », image favorable au romantisme, il y a l’idée du déclin. Le Japon n’aurait été que le premier des pays riches vieillissants à inexorablement voir sa puissance s’émousser et traverser la mer pour la Chine. Tous les autres pays développés seraient, peu ou prou, menacés de connaître le même sort.Que s’est-il passé au Japon ? Pourquoi ce pays phare des années 1980 se remet-il si mal de la crise immobilière et financière qui l’a subitement frappé en 1990 ? Souvenez-vous : le premier des Tigres asiatiques semblait capable de tout dévorer. Toyota dépassait General Motors, Hitachi reléguait IBM, Sony inventait le Walkman et Mitsubishi rachetait le Rockfeller Center à New York. Le modèle nippon, appuyé sur l’exportation, organisé autour de grandes entreprises accolées à des banques et soutenues par le gouvernement, qui finance la recherche, était imbattable.Le vice est venu de la monnaie. Pour éviter une hausse du yen, la banque centrale abaisse ses taux, ce qui inonde le pays de liquidités. Le prix des immeubles flambe, la Bourse aussi. Quand le pouvoir veut refroidir, le système financier, gorgé de prêts dévalués, s’effondre. Pour sortir de la crise, le gouvernement sauve les banques et relance par des grands travaux (beaucoup d’hôtels de ville refaits en marbre) et la banque centrale passe à des taux quasi négatifs. Mais peine perdue. De 1991 à 2000, la croissance ne dépasse pas 0,5 %, les prix baissent. Le Japon, qui rattrapait les Etats-Unis depuis la guerre, est encalminé.Pourquoi ? Pourquoi les gouvernements valsent-ils sans qu’aucun ne trouve à surmonter la crise ? Les économistes se disputent encore sur les causes et leurs travaux ne peuvent nous laisser indifférents. Pour certains, il faut voir l’origine du mal dans la baisse de la productivité (l’investissement privé est en chute relative et le temps de travail hebdomadaire passe de 44 heures en 1988 à 40 heures en 1993 et 38 heures aujourd’hui). Message passé aux Français. Pour d’autres, c’est tout le modèle qui n’a pas été suffisamment libéralisé malgré les décisions du gouvernement Koizumi (2001-2006) : le commerce, les relations banque-industrie, les barrières à l’entrée des investissements étrangers (le Japon reste le pays le plus fermé de l’OCDE). Message passé à tout le monde. Pour une majorité, le problème se centre sur la politique monétaire : la baisse des taux est captée par le système bancaire pour se refaire une santé et ne passe pas dans l’économie. Message aux Américains. Pour les derniers, enfin, le modèle tourné vers l’export ne pouvait suffire ; il eût fallu quand il était temps, le réorienter vers la consommation intérieure. Message aux Chinois.L’Amérique est-elle menacée à son tour ? En février 2009, à son arrivée à la Maison-Blanche, Barack Obama faisait voter son plan de relance (5,7 % du PIB) pour repousser le spectre de la décennie perdue. Aujourd’hui que l’effet de ce plan se dissipe, le fantôme revient. Les plus inquiets font valoir que la politique budgétaire est au taquet – le président ne pourra plus faire adopter un deuxième plan, et certainement pas après les élections de novembre – et que la politique monétaire l’est aussi : les caisses de la Fed sont bourrées de mauvaises créances et on ne voit plus ce qu’elle peut monétiser (racheter) pour injecter encore des crédits dans l’économie. Comme le Japon, mais dans l’autre sens, l’Amérique doit reconstruire son modèle, abandonner la vie à crédit pour produire et exporter. Cela prendra forcément du temps. Une décennie ? Oui.Seulement, l’Amérique a des atouts, comme le Japon, l’innovation, mais en plus beaucoup d’autres : une flexibilité dans tous les domaines, une démographie favorable et un système financier hors banques qui fonctionne. La croissance américaine devrait, en conséquence, s’établir autour de 1,5 % au lieu des 3 % d’avant la crise. Ce n’est pas suffisant pour résorber le chômage. Mais ce n’est sûrement pas le déclin. Reste à savoir si le même constat rassurant vaut pour l’Europe.