Georges Papandréou, le premier ministre grec, a déclaré que le moment était " unique ". Làszlo Andor, le commissaire européen à l'emploi, l'a qualifié " d'historique ". Moins lyriques, Dominique Strauss-Kahn, directeur général du Fonds monétaire international (FMI), et Juan Somavia, son alter ego de l'Organisation internationale du travail (OIT), les deux coprésidents de la conférence sur la croissance et l'emploi qui s'est tenue à Oslo, lundi 13 septembre, ont estimé que cette manifestation représentait un " pas important " pour que la croissance profite enfin à tous.
La tenue de cette conférence, son thème même, représentent une petite révolution pour le FMI, qui s'était acquis une réputation de " Père Fouettard " imposant aux pays en difficulté de tailler dans leurs dépenses, notamment de protection sociale. Comme l'a souligné José Luis Rodriguez Zapatero, le premier ministre espagnol, le Fonds a " changé de visage ".
Il ne s'occupait que de macroéconomie et la pratiquait façon " consensus de Washington ", c'est-à-dire sur un mode ultra-libéral. Le voici qui cosigne avec l'OIT un document soulignant les dégâts humains provoqués par une crise qui a fait basculer 34 millions de travailleurs dans le chômage depuis 2007 : l'espérance de vie des demandeurs d'emploi réduite de 1 à 1,5 année ; le redoublement en cours de scolarité pour leurs enfants qui gagneront, en moyenne, 10 % de moins que ceux des non-chômeurs ; l'impossibilité de tirer de la misère 1,3 milliard de personnes vivant avec moins de 2 dollars par jour, etc.
Thème cher à l'OIT qui en a fait l'un de ses chevaux de bataille, l'annonce publiée au soir de la conférence d'Oslo qu'ensemble, les deux institutions " exploreront le concept d'un plancher de protection sociale pour les populations pauvres ou vulnérables ", achève de brouiller l'image d'un FMI au coeur sec.
Tel était le but poursuivi par M. Strauss-Kahn qui, mois après mois, s'emploie à tirer de sa gangue comptable un " nouveau FMI " plus soucieux d'humain. " La croissance n'est pas tout ; encore faut-il qu'elle procure des emplois décents, a-t-il souligné. C'est le début d'une nouvelle façon de voir l'économie. "
Un défi de taille
Ce souci va jusqu'à pousser le FMI à se poser, avec l'OIT, une question iconoclaste : " Les inégalités de revenus nées de la mondialisation ne constituent-elles pas un obstacle à la croissance et à la stabilité économique ? " Encore sans réponse, cette interrogation est une " première " pour le Fonds dont l'alpha et l'oméga étaient le laisser-faire.
M. Somavia n'est pas peu fier de son coup. Il y a deux ans, il avait persuadé l'Organisation mondiale du commerce (OMC) de mettre du social dans son libre-échange. Avec la complicité de M. Strauss-Kahn, il promeut encore un peu plus son objectif de prédilection. " Il faut faire figurer l'emploi décent parmi les objectifs macroéconomiques au même titre que la maîtrise de l'inflation ou l'équilibre des comptes publics, nous a-t-il déclaré. Et non le considérer comme une résultante des politiques macroéconomiques. Nous voulons changer les priorités et mettre l'homme au coeur de nos économies. "
La prochaine " victime " de son combat en faveur de cette croissance recentrée ? La Banque mondiale, dont le rapport " Doing Business " juge les codes du travail comme un obstacle à l'investissement et qui note mal les pays dotés d'une solide législation en la matière.
Le FMI est-il devenu social-démocrate pour autant ? C'est aller un peu vite. Certes, au cours de ses derniers sauvetages, il a conseillé aux gouvernements de protéger les plus défavorisés, comme au Pakistan ou en Hongrie. Pourtant, il demeure un " médecin ", selon la métaphore de M. Strauss-Kahn, celui qui administre des potions amères et prescrit une diète sévère aux pays malades de leurs excès, comme la Grèce.
Les syndicats présents à Oslo ne s'y sont pas trompés. Certes, ils applaudissent la mutation de l'institution de Washington, mais demandent à voir. Echaudée par les promesses non tenues des G20 de Londres et de Pittsburgh (Etats-Unis), Sharan Burrow, secrétaire général de la Confédération syndicale internationale (CSI), a donc " mis au défi le FMI et l'OIT " de mener à bien leur projet de défendre ensemble une croissance riche en emplois. Un défi de taille : sont en jeu les 440 millions d'emplois qu'il faudra créer dans les dix ans seulement pour accueillir les jeunes arrivant sur le marché du travail.
Alain Faujas (Oslo, envoyé spécial)