Décidément, il y a des gens qui n’ont pas le sens du «timing». Le vendredi 9 juillet, l’AMF (Autorité des marchés financiers), publie son sixième rapport annuel sur les agences de notation. Dès le premier alinéa, son président, Jean-Pierre Jouyet, met l’accent sur les sujets qui fâchent:
«Leur responsabilité dans la crise du subprime avait été mise en exergue. Aujourd’hui, c’est le rôle amplificateur de la notation de la dette souveraine et le calendrier de leurs annonces qui prêtent à polémique».
Le mardi 13 juillet, dans un entretien accordé à Libération, le président de la BCE (Banque centrale européenne), Jean-Claude Trichet, reprend la même idée:
«Les agences de notation en général ont tendance à amplifier les mouvements à la hausse ou à la baisse des marchés financiers». Il «est probablement opportun de ne pas continuer d’avoir un oligopole mondial de trois agences».
Et que croyez-vous que fait aussitôt Moody’s, l’une des trois agences incriminées : elle annonce ce même 13 juillet qu’elle baisse de deux crans la note accordée à la dette du Portugal! Comme s’il n’y avait rien de plus judicieux et de plus urgent à faire.
Evidemment, tout le monde le sait, le Portugal ne va pas très bien: comme la Grèce et l’Espagne, il fait partie de ces pays du sud de l’Europe dont la dette publique est jugée trop élevée. Et les mesures d’austérité prises par le gouvernement pèsent sur la croissance, ce qui rend encore plus difficile le rétablissement des finances publiques. Ce même mardi 13 juillet d’ailleurs, la banque centrale du Portugal a relevé sa prévision de croissance pour 2010, mais abaissé davantage celle pour 2011, en expliquant qu’il y avait «un risque de nouvelle récession». Fallait-il en rajouter en abaissant encore la note du pays, comme l’a fait Moody’s? La question peut se poser.
En effet, comme le souligne l’AMF à propos de la crise grecque, «l’action des agences de notation et la perception du marché vis-à-vis de la dette grecque semblent inter-réagir». D’un côté, on voit le marché s’inquiéter pour les finances publiques du pays et l’obliger à payer des taux d’intérêt plus élevés, parce que les investisseurs s’attendent à une baisse des notes attribuées par les agences; de l’autre côté, on voit les agences baisser effectivement leurs notes, ce qui accroît l’inquiétude des marchés… Et ce qui a été constaté dans le cas de la Grèce l’a été ensuite pour les autres pays. «On observe ainsi une entrée en résonance entre les marchés et l’action des agences qui a contribué à une augmentation de la crise en mai 2010».
En décidant d’abaisser une nouvelle fois la note du Portugal, Moody’s a pris de façon délibérée la décision d’accroître les difficultés de ce pays et de justifier les critiques déjà émises contre les agences de notation.
Faut-il en conclure que les deux grandes agences Standard & poor’s et Moody’s, qui détiennent ensemble 80 % du marché mondial (avec la troisième, Fitch, l’oligopole contrôle 94 % du marché) ne se soucient aucunement de ces critiques et continuent d’agir comme avant? Ce ne serait pas exact. Même si la coopération internationale n’est pas en ce domaine aussi forte et efficace que l’organisation de sommets du G20 à grand spectacle pourrait le laissait espérer, des progrès ont été accomplis au cours de la dernière période.
Aux Etats-Unis, en Europe, au Japon, en Australie, de nouvelles règles du jeu ont été adoptées ou vont l’être prochainement. Par ailleurs, les agences de notation ont-elles-mêmes apporté des améliorations à leur mode de fonctionnement.
Cela dit, on est très loin d’arriver à des résultats vraiment satisfaisants. Pour plusieurs raisons.
D’abord, on n’a pas encore trouvé le moyen de briser ce fameux «oligopole». Faut-il rappeler que Moody’s, par exemple, c’est environ 4.000 personnes présentes dans 22 pays? On ne bâtit pas du jour au lendemain une grande agence de notation, avec du personnel compétent et une méthodologie éprouvée. L’idée de créer une agence publique européenne qui évaluerait la dette des Etats est sympathique, mais on voit mal quel crédit pourrait avoir une agence publique financée plus ou moins directement par les Etats avec pour mission de surveiller ces mêmes Etats. L’actualité politique française nous rappelle avec une certaine brutalité que, pour ne pas éveiller les soupçons, il est préférable de ne pas se mettre en situation de conflit d’intérêt.
Ensuit et surtout, les agences de notation ont su se rendre indispensables. Jean-Claude Jouyet met le doigt sur le problème:
«Pour l’AMF, la priorité doit être à la désintoxication à la notation : il faut donc encourager les investisseurs à conduire eux-mêmes leurs propres diligences».
Mais, sur ce point, on en est aux vœux pieux. Comment réduire le rôle des agences de notation quand des réglementations imposent à des investisseurs de ne détenir en portefeuille que des titres ayant obtenu un certain niveau de notation? Dans le schéma actuel d’organisation des marchés financiers, il est important pour des investisseurs institutionnels de communiquer avec leurs clients sur la note des produits qu’ils détiennent. Et on peut se demander comment feraient ces mêmes investisseurs si on leur demandait du jour au lendemain de se passer des services des agences de notation et de faire évaluer par leurs propres services les risques qu’ils prennent. En fait, c’est tout simplement inimaginable en l’état actuel des choses.
C’est pourquoi il est absurde de vouloir chercher des boucs émissaires: agences de notation, fonds spéculatifs ou marchés de produits dérivés. Ce serait trop simple s’il suffisait de réformer ou d’éliminer un des acteurs ou une des institutions, de nationaliser Standard & Poor’s et Moody’s ou d’enserrer leur action dans un corset. C’est le fonctionnement global du système qui pose un problème. Le réformer suppose qu’on trouve un accord international sur quelques points importants. Cela prend nécessairement du temps, même en supposant que tous les participants aient un intérêt égal à promouvoir des réformes, ce qui est très loin d’être le cas…
Gérard Horny
Photo: Flickr CC by DaveBleasdale