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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Les banques centrales peuvent-elles encore influer sur les taux de change ?

Les banques centrales peuvent-elles encore influer sur les taux de change ?

Howard Davies

LONDRES – Le 16 septembre 1992, date restée dans les mémoires comme l’affreux « Mercredi noir », la Banque d’Angleterre a renoncé à maintenir le cours de la livre sterling dans la bande de fluctuation prévue par le régime de change du système monétaire européen. Cette journée fut en revanche extrêmement lucrative pour le financier George Soros.

Depuis lors, la Banque d’Angleterre s’est bien gardée de toute intervention sur les marchés des changes. Et l’épisode servit à renforcer le consensus international sur le fait que la politique monétaire d’un pays devait s’attacher avant tout à la stabilité des prix sans vouloir contrôler les taux de change flottants.

Après le Mercredi noir, il a communément été admis qu’il était purement et simplement impossible de fixer en même temps le taux de change et les conditions monétaires nationales. Dans cette perspective et dans une économie de marché avec une devise convertible et une libre circulation des capitaux, le taux de change ne peut être manipulé sans ajustements importants des autres dimensions de la politique monétaire. Chercher à influer sur les taux de change en utilisant le contrôle des capitaux ou par une intervention directe sur le marché des changes est, à l’exception du très court terme, voué à l’échec.

Ce consensus s’est maintenu pendant une longue période au cours de laquelle les taux de change entre les principales devises occidentales trouvèrent d’elles-mêmes leur cours. Mais ce constat ne s’est pas appliqué à l’Asie.

La crise financière asiatique du 1997-1998 a convaincu les gouvernements et les banques centrales que les pays qui avaient conservé un contrôle du taux de change de leur devise s’en étaient mieux sortis que les pays ayant opté pour une libéralisation financière. Il a également été admis que le maintien de ce contrôle nécessitait de disposer de réserves de change très importantes.

Plusieurs pays d’Asie ont donc adopté un taux de change fixe depuis une décennie ou plus, un contrôle plus ou moins important des flux de capitaux, et un accroissement massif des réserves de change. Les autorités ont en conséquence toléré une plus grande volatilité des taux d’inflation.

Des signes laissent aujourd’hui penser que le consensus en vigueur parmi les banques centrales occidentales depuis vingt ans commence à s’éroder. Certains économistes considèrent que les banques centrales ne devraient pas se montrer aussi circonspectes.

Paul De Grauwe, de l’université de Louvain, a par exemple estimé que la Banque centrale européenne devrait intervenir lorsque l’évolution des taux de change ne reflète plus la réalité économique, de manière à envoyer un signal aux marchés. Il souligne tout particulièrement la forte volatilité du taux de change euro/dollar au cours de la décennie écoulée et ses conséquences négatives pour la croissance en Europe.

Les politiciens commencent eux aussi à montrer des signes d’inquiétude. Le président français Nicolas Sarkozy se plaint régulièrement des effets néfastes d’une volatilité excessive des taux de change et a demandé que cette question et les conditions monétaires internationales en général soient en tête de l’ordre du jour du G20 lorsque la France en assumera la présidence en novembre prochain. La rhétorique du président français suggère qu’il rêve de nouveaux accords internationaux sur les taux de change, voire, pourquoi pas, d’une nouvelle monnaie de réserve internationale.

Certaines paroles se sont traduites en actes. A partir de mars 2009, la Banque nationale suisse est devenue la première banque centrale occidentale à vouloir influer sur le taux de change de sa monnaie par des interventions. Les autorités helvétiques s’inquiétaient de l’appréciation du franc suisse, face à l’euro en particulier, et sont intervenues massivement pour tenter de faire baisser son cours.

Il est toujours difficile, même en rétrospective, de déterminer l’efficacité d’une stratégie interventionniste. Les Suisses ont toutefois fait état d’une perte de 14 milliards de francs suisses au premier semestre 2010, sans être parvenus à empêcher l’appréciation du franc. Cet épisode, suivi de très près par les autres banques centrales, a tendu à renforcer le point de vue des sceptiques quant à la capacité des autorités monétaires à contrôler les taux de change.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Nul doute que les discussions se poursuivront, au sein du G20 et ailleurs. Le problème sous-jacent reste que même si les banques centrales et les ministères des Finances sont mécontents de la volatilité excessive des taux de change réel et nominal, ils ne sont pas sûrs de savoir ce qui la provoque. Ils pensent peut-être qu’au long terme, les parités refléteront l’évolution du coût unitaire de la main d’ouvre. Mais le long terme peut être vraiment long et l’influence des flux de capitaux spéculatifs peut se faire sentir fortement et sur la durée.

Pour ces raisons, les adversaires de l’intervention restent majoritaires. Même s’ils admettent que l’Asie a connu une situation différente, ils l’attribuent à des marchés de capitaux différents. Ils reconnaissent toutefois que dans certaines circonstances, une intervention, ou du moins la volonté d’intervenir, peut être efficace mais seulement à condition que d’autres conditions annexes existent.

En particulier, un pays qui compte intervenir doit faire la preuve qu’il détient des réserves de change colossales et qu’il est prêt à s’en servir. Un engagement politique sans faille en faveur de l’intervention est également nécessaire, ainsi qu’une volonté explicite d’accepter les conséquences de l’intervention sur les conditions monétaires, avec notamment un taux d’inflation plus haut ou plus bas que souhaité, pour un certain temps en tout cas. Et il est probable qu’il faudra envisager un contrôle des taux de change, en particulier sur les flux de capitaux à court terme, de manière permanente ou occasionnelle.

Ces conditions ne s’appliquent pas spécifiquement aux pays occidentaux. Les Suisses ont des réserves de change considérables, mais sont tellement interconnectés avec les marchés de capitaux mondiaux que le contrôle des taux de change n’est pas une option réaliste. La plupart des autres pays occidentaux, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en particulier, ne sont pas en mesure d’investir massivement pour maintenir un taux de change donné. Les marchés londoniens attendent depuis 18 longues années que la Banque d’Angleterre se manifeste sur leurs écrans, et je crains qu’ils devront attendre encore un peu.

Howard Davies, ancien directeur général de la Banque d’Angleterre, est directeur de la  London School of Economics. Son dernier ouvrage, rédigé en collaboration avec David Green, est : Banking on the Future: The Fall and Rise of Central Banking (Tabler sur l’avenir : la grandeur et décadence des banques centrales – ndlt.)

Copyright: Project Syndicate, 2010.
www.project-syndicate.org
Traduit de l’anglais par Julia Gallin
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