Londres – Le comique de génie britannique Spike Milligan a déclaré un jour qu'il serait ravi d'avoir l'occasion de découvrir que l'argent ne fait pas le bonheur. On dit que ceux qui gagnent le gros lot finissent misérablement, bien que la réalité montre qu'ils sont aussi heureux que vous et moi si nous empochions un chèque d'un million de dollars. Néanmoins l'argent peut déclencher toutes sortes d'émotions – la colère par exemple.
C'est de cette façon que beaucoup de gens ont réagi en apprenant le niveau des primes des cadres financiers, quand la crise de 2007-2008 a frappé les banques, les entreprises, les économies des actionnaires, la croissance et l'emploi. Ainsi que l'a reconnu à sa manière un banquier, il y avait une certaine dissymétrie entre les revenus des banquiers et les pertes des banques.
Dans son dernier livre, un ouvrage magistral intitulé The Idea of Justice [L'idée de justice], le prix Nobel Amartya Sen souligne qu'un système est généralement jugé équitable quand les récompenses qu'il attribue sont liées à l'effort fourni. Cela n'a manifestement pas été le cas pour les banquiers.
Nous nous sommes pincé le nez et au nom de la survie de l'économie nationale nous avons approuvé les plans de sauvetage de l'Etat venant au secours des banques avec l'argent public. Aussi choquant que cela ait pu paraître, c'était une mesure nécessaire pour éviter une catastrophe économique.
Ayant accepté de collectiviser les pertes des banques alors que leurs gains sont privatisés, notre colère est montée encore d'un cran quand nous appris que les banquiers dont nous venions de sauver la mise plongeaient avec avidité leurs mains dans les coffres qui recommençaient à se remplir. Le caractère outrageux de ce comportement a de quoi nous faire soulever nos sourcils et provoquer une montée de notre tension artérielle. Comment peuvent-ils avoir un tel culot ?
Mais la colère ne doit pas nous entraîner dans la dénonciation tout azimut des fortunes personnelles. Il arrive que leurs propriétaires en mettent une énorme partie au service de l'intérêt général. A titre d'exemple prenons le cas des deux plus grands philanthropes, George Soros et Mo Ibrahim.
George Soros, le brillant investisseur, a utilisé une grande partie de sa fortune pour créer l'Open Society Institute qui a soutenu les révolutions démocratiques en Europe centrale et en Europe de l'Est et agit en faveur des droits de l'homme partout dans le monde.
Mo Ibrahim est l'un des entrepreneurs africains les plus remarquables. Il a construit un empire fondé sur la technologie, les programmes informatiques et la téléphonie mobile. Il a créé une fondation dont l'objectif principal est d'améliorer les normes de gouvernance en Afrique. Ce continent devrait profiter de l'occasion.
Avec un milliard de personnes réparties dans plus de 50 pays, l'Afrique est frappée par la pauvreté et bien trop souvent déchirée par la guerre. Paul Collier, un économiste d'Oxford spécialisé dans les questions de développement, estime que 75% des personnes les plus pauvres de la planète vivent dans des pays en guerre ou qui ont été en guerre récemment - la plupart de ces pays sont en Afrique. Il est plus facile d'y déclencher un soulèvement que d'y créer une entreprise.
La Guinée, maintenant sous la botte d'une junte militaire des plus inquiétante est au bord du désastre. Au Soudan, le conflit du Darfour se prolonge et les clivages entre le nord et le sud du pays menacent à nouveau la paix, dans l'attente d'un référendum sur l'indépendance du sud, promis pour 2011. Des centaines de milliers de personnes déplacées s'entassent dans des camps en Somalie où des seigneurs de la guerre tiennent le haut du pavé, et l'ont pourrait hélas prolonger cette liste à souhait.
Pourtant l'Afrique n'est pas dépourvue de ressources et elle a toutes les capacités voulues pour se gouverner. Le paisible Botswana est un bon exemple de ce qu'il est possible de faire. Si le climat, la géographie et le passé colonial sont en partie la cause des maux qui affligent ce continent, l'essentiel de la responsabilité en incombe au comportement inacceptable de bons nombres de gouvernements africains.
Ibrahim veut éradiquer la corruption, voir l'Etat de droit sur tout le continent, développer un environnement politique favorable à la création et à la réussite des entreprises, renforcer le rôle des femmes et récompenser les partisans d'une démocratie pluraliste. Il est un champion de la société civile et de la liberté de la presse et sa fondation est fortement engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Il rappelle que moins de 5% du commerce africain se fait entre des pays du continent. C'est un argument fort en faveur de l'intégration régionale de l'économie africaine, de la suppression des barrières douanières, du partage des infrastructures telles que les centrales électriques et de la liberté de déplacement des personnes, des biens, de l'argent et des emplois. Certains pays d'Afrique de l'Est s'orientent maintenant dans cette direction.
Des philanthropes tels que Mo Ibrahim, George Soros, Bill Gates ou Warren Buffett utilisent leurs fortunes pour rendre le monde meilleur. Notre exaspération à l'égard des banquiers ne doit pas nous conduire à nous en prendre à la création de richesse. Même si Spike Mulligan n'a pu le vérifier par lui-même, l'argent peut rendre heureux, créer un monde plus juste, avec de plus grandes possibilités pour les pauvres et les personnes désavantagées.
Espérons que nous nous dirigerons dans cette direction en 2010.
Chris Patten a été le dernier gouverneur britannique de Hong Kong, commissaire européen responsable des relations extérieures et président du parti conservateur britannique. Il est aujourd’hui chancelier de l'université d'Oxford et membre de la Chambre des Lords.
Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz