MUNICH – La pire crise financière de l'après-guerre est terminée. Elle a éclaté brusquement en 2008 pour disparaître quelques 18 mois après, aussi rapidement qu'elle était venue. Les plans de sauvetage des banques pour un montant de 5000 milliards de dollars et les programmes de relance keynésiens pour quelques 1000 milliards de plus ont évité l'effondrement du système financier. Après une baisse de 0,6% en 2009, d'après le FMI le PIB mondial devrait croître de 4,6% cette année et de 4,3% l'année prochaine - un taux supérieur au taux de croissance moyen des 30 dernières années.
En Europe la crise de la dette n'est pas terminée et le calme actuel ne suffit pas à rassurer entièrement les marchés. La prime de risque que doivent payer les pays en difficulté financière doit rester élevée pour marquer la persistance du risque.
Si on fait la comparaison avec l'Allemagne, le 20 août les primes des taux d'intérêt sur les obligations d'Etat à 10 ans était de 8,6%, un taux supérieur à ce qu'il était fin avril quand la Grèce est devenue pratiquement insolvable et que l'UE a préparé des mesures de sauvetage. Les spreads de crédit de l'Irlande et du Portugal se sont aussi creusés, bien que fin juillet le plan de secours géant de 920 milliards d'euros élaboré par l'UE, les pays de la zone euro, le FMI et la Banque centrale européenne ait semble-t-il apaisé quelque peu les marchés.
Le monde est maintenant divisé en deux groupes de pays : ceux qui sont sur la voie d'une relance énergique et ceux qui sont à la traîne et se trouvent confrontés à de nouveaux problèmes. Le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine (un ensemble dénommé "BRIC") appartiennent au premier groupe. Même la Russie dont le redémarrage a été difficile et hésitant devrait atteindre cette année un taux de croissance de 4,3%. La Chine arrive toujours en tête avec un taux de croissance de 10% environ.
Les pays du second groupe ont un problème de dette, en premier lieu les USA. Leur taux de croissance devrait être de 3,3% cette année et de 2,9% l'année prochaine - sensiblement la moyenne des 30 dernières années - mais ce n'est pas le signe d'un redressement durable, car leur déficit budgétaire devrait atteindre le taux record de 11% du PIB cette année, avant de redescendre (un peu seulement) à 8,2% l'année prochaine.
Si aux USA le chômage n'est plus à la hausse, son taux actuel de 9,5% est très élevé, puisque c'est le double de ce qu'il était avant la récession. Le problème reste le marché immobilier dont l'écroulement a été l'élément déclencheur de la crise. L'indice immobilier Case Shiller pour les maisons individuelles a entamé une remontée au printemps 2009 après une dégringolade de 34% par rapport au boom précédent. Mais les prix de l'immobilier n'ont guère évolué depuis et ne montrent aucune tendance claire.
En mai dernier la construction de maisons individuelles était à son niveau le plus bas depuis l'introduction de cet indice en 1963. Les prix de l'immobilier commercial ont chuté de 4% entre mai et juin cette année, ce qui est inquiétant. Tout cela a des conséquences négatives sur la consommation, sur la construction et sur le système bancaire américain.
Par ailleurs, malgré la récente modification de la législation bancaire, les USA n'ont pas encore résolu le défi que posent les défauts structuraux de leur marché financier. Le principal problème vient du resserrement du crédit accordé par l'étranger. Il a été touché car les titres adossés sur des crédits hypothécaires et les produits dérivés adossés sur ces titres sont devenus pratiquement invendables.
Ce marché s'est tout simplement désintégré, avec un volume d'émissions annuelles qui a dégringolé de 97% - passant de 1900 milliards à seulement 50 milliards de dollars entre 1996 et 2009. Presque tout de l'argent investi dans l'immobilier (95% du total) est passé par les agences publiques Fannie Mae, Freddie Mac et Ginnie Mae pour éviter un effondrement total de l'économie américaine.
En Europe la situation est également contrastée. Les pays qui avaient connu un boom économique (la Grèce, l'Irlande et l'Espagne) restent en récession et leur PIB va continuer à baisser. En Espagne, l'une des principales économies européennes, le taux de chômage a grimpé jusqu'à 20% et aucune amélioration n'est en vue. La production espagnole a baissé de 3,6% en 2009 et devrait encore baisser de 0,4% cette année. On s'attend à des taux de croissance inférieurs à la moyenne en Finlande, en Grande-Bretagne et en Italie.
A l'opposé, l'Allemagne, la plus grande économie européenne, connaît un redémarrage étonnamment vif. L'indicateur Ifo du cycle des affaires est maintenant nettement dans la zone de "boom économique", tant en ce qui concerne la situation actuelle que les prévisions. Depuis 50 ans qu'il existe, il n'a jamais augmenté aussi rapidement qu'il ne l'a fait au cours des 12 derniers mois.
L'Allemagne, a la traîne de l'Europe pendant des années, devrait connaître un taux de croissance de 3% ou même davantage cette année, alors que celui de l'Europe des 15 (et de l'Europe des 27) n'est que de 1,1%. Le marché du travail allemand se redresse lui aussi miraculeusement. Le taux de chômage (il est maintenant de 7%) est légèrement plus bas qu'il ne l'était au milieu du dernier boom à l'automne 2008 et il devrait encore baisser.
Par contre, la France, la deuxième puissance économique européenne est en difficulté. Son taux de chômage est de 10% et le taux de croissance de son PIB devrait être proche de 1,3% cette année, à peine au-dessus de la moyenne de l'UE. Situation diamétralement opposée à celle de l'Allemagne, son taux de chômage est nettement supérieur à ce qu'il était lors du dernier ralentissement économique en 2004-2005.
Le monde est fracturé parce que des pays comme la Grèce, l'Espagne et les USA qui ont connu une longue période de croissance financée par l'arrivée massive de capitaux étrangers ont maintenant de plus en plus de difficulté à les attirer. Symétriquement, des pays qui exportaient leurs capitaux bénéficient maintenant d'un excès de liquidité, les capitaux se détournant des pays "saturés". Cet excès d'offre de crédit se traduit par davantage de consommation et d'investissement, d'où un boom économique.
L'Occident traverse une phase de rééquilibrage de son portefeuille, ce qui aboutit à une inversion du classement international des taux de croissance par rapport à ce qu'il était avant la crise. Les anciens champions sont devenus des canards boiteux, tandis que les anciennes tortues courent maintenant comme des gazelles.
Hans-Werner Sinn est professeur d'économie et de finance à l'université de Munich et président de l'Institut de recherche économique Ifo.
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