Les grandes économies sont désormais sorties de la récession. A quoi faut-il s’attendre en 2010 ?
Jean-Hervé Lorenzi : La crise est née de trois problèmes macro économiques majeurs : l’explosion des liquidités monétaires, la volatilité du prix des matières premières et les transferts d’activité vers les pays émergents. Or ces trois sujets sont toujours d’actualité. On peut donc parler de sortie de la décroissance, mais la sortie de crise est encore devant nous.Patrick Artus :Nous sommes dans des économies sous perfusion. Les interventions publiques expliquent le retour de la croissance, mais, partout dans le monde, hormis en Chine, les caractéristiques d’une reprise normale ne sont pas au rendez-vous : il n’y a pas de reprise du crédit, de l’investissement des entreprises ou encore d’augmentation des revenus salariaux. Certes, nous avons quelques trimestres où cela va mieux grâce à l’intervention des Etats, mais cela ne va pas se raccrocher sur une vraie reprise.
Quel est votre regard sur la situation française ?
Patrick Artus :Le gouvernement table sur une croissance de 1,4 % en 2010 et je pense qu’elle sera atteinte. Mais, derrière ce chiffre, la croissance sera très heurtée. L’essentiel sera réalisé au premier trimestre. A la suite de quoi, la croissance sera extrêmement faible, avec très peu de consommation des ménages et pas d’investissement des entreprises.Jean-Hervé Lorenzi :Au second semestre, le gouvernement français, comme bien d’autres, devra maintenir sa politique de soutien et lutter contre une hausse du chômage qui sera encore bien réelle. Si l’on ne prend pas des mesures politiques fortes, le deuxième semestre sera très incertain et difficile. Partout dans les pays avancés, on risque d’assister à une stabilisation des économies à de très faibles niveaux. C’est pour que les Français se préparent à ces temps difficiles que le Cercle des économistes organise en ce moment un large débat public en partenariat avec France Info et Orange.
Mais quelles marges de manœuvre reste-t-il aux Etats ?
Patrick Artus :Si vous retirez les stimulus budgétaires, nous courons à la catastrophe. Mais, vu l’ampleur des déficits publics, les marges de manœuvre budgétaire sont nulles. Et il n’y a pas plus de marges de manœuvre monétaires… La macroéconomie, c’est donc fini. Il faut faire de la micro-économie et trouver les moyens de mobiliser l’épargne privée. En France, il faut par exemple entreprendre des réformes fiscales pour stimuler la consommation et créer des emplois.Jean-Hervé Lorenzi :Ce n’est pas le moment de réduire les déficits. Surtout quand on voit la faiblesse des taux auxquels les Etats se financent. 2011 verra de fortes tensions sur les politiques fiscales à réaliser pour limiter le déficit public. En France, la révision générale des politiques publiques (RGPP) a permis une gestion rigoureuse des dépenses, mais ce n’est pas avec cela qu’on va trouver 50 milliards d’économies d’ici à 2013. Il faut entièrement remettre à plat l’organisation des dépenses publiques en facilitant la mobilité des fonctionnaires et en supprimant les redondances dans les attributions des collectivités locales.
Nicolas Sarkozy estime que le chômage devrait reculer dans les mois qui viennent. Y croyez-vous ?
Jean-Hervé Lorenzi :En 2010, beaucoup d’emplois risquent encore d’être perdus. Au-delà des fluctuations mensuelles (il a baissé en décembre, selon les chiffres publiés hier soir, NDLR), le chômage va donc continuer à augmenter. Il faut que le gouvernement agisse vite, notamment pour remédier au chômage des jeunes. Un pays qui n’utilise pas ses jeunes est un pays qui se meurt.Patrick Artus :L’ajustement de l’emploi a été beaucoup plus lent en France qu’aux Etats-Unis. Et si les entreprises ne croient pas à une reprise solide, la tendance à la hausse du chômage ne risque pas de s’inverser. Parmi les me sures à prendre, il faut baisser le coût du travail en réformant les prélèvements sociaux. Pour remédier au chômage des jeunes, il faudrait demander aux grandes entreprises de prendre leur part de responsabilité et de les intégrer, que ce soit par les stages, les formations en alternance ou autres dispositifs. Plutôt que de taxer les banques, obligeons-les à prendre des jeunes en formation !
Voyez-vous l’apparition de bulles spéculatives ?
Patrick Artus :Bien évidemment. Les excès de liquidités à l’origine de la crise sont toujours là. Nous assistons également à une bulle sur les matières premières, comme le pétrole et l’acier. Il y a également une bulle sur les marchés actions dans les pays émergents. Concernant la bulle obligataire, elle permet pour l’heure aux Etats de financer leurs déficits publics à bon compte. Nous sommes donc toujours dans des logiques de bulle même s’il est profondément malsain de faire reposer l’économie mondiale sur cela.
La volonté du G20 de réformer le système financier est-elle toujours forte ?
Jean-Hervé Lorenzi :Nous avons été nombreux à nous réjouir de la création du G20. Reste que, en un an, le seul résultat tangible a été la création du Conseil de stabilité financière tandis que des progrès secondaires ont été faits sur les bonus et les paradis fiscaux. Mais le récent discours de Barack Obama sur les banques relance le processus de réorganisation du système financier mondial.