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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Les hommes privés de femmes meurent plus tôt

Les hommes privés de femmes meurent plus tôt

L’évolution démographique en Chine et en Inde menace l’espérance de vie masculine.

«Sex-ratio». C’est ainsi que démographes et biologistes désignent les taux comparés de mâles et de femelles au sein d'une espèce à reproduction sexuée.  On comprend sans mal que la perpétuation de l’espèce réclame une répartition égale ou presque des deux genres, ce que permettent généralement les hasards statistiques des lois de la reproduction. Or tel n’est plus toujours le cas dans l’espèce humaine. Dans certains pays très peuplés, comme l’Inde et la Chine, les démographes observent un déséquilibre croissant du sex-ratio, la proportion des hommes étant supérieure à celle des femmes. Ce phénomène est pour l’essentiel la conséquence des politiques visant à la réduction de la natalité associées aux techniques de détermination du sexe avant la naissance et à la pratique de l’avortement (ou de l’infanticide); le tout dans des pays où la naissance d’un enfant de sexe masculin est valorisée pour diverses raisons qui ne sont pas seulement de nature économique.

Menée en Inde et publié dans The Lancet  une étude conclut qu’au cours des deux dernières décennies un déficit statistique d’environ dix millions de femmes est apparu.  En Chine ce déficit est d’environ quarante millions sur une population totale d'1,3 milliard. Les démographes considèrent que la situation commence à devenir inquiétante lorsque le sex-ratio dépasse 1,1 (en l’occurrence 110 hommes pour 100 femmes). Or de nombreux pays asiatiques ont dépassé ce seuil, parfois très largement. Dans certaines zones rurales indiennes on recenserait aujourd’hui 400 hommes pour 100 femmes.

On commence seulement à prendre la mesure de l’ampleur des multiples conséquences de tels déséquilibres. Un travail original publié dans la revue Demography  et repris par The Economist  met pour la première fois en lumière une conséquence inattendue, de nature médicale cette fois. Ce travail a été mené par une équipe dirigée par le Dr  Nicholas Christakis (Harvard Medical School, Boston). Les auteurs de ce travail ont voulu confirmer chiffres à l’appui un postulat généralement accepté qui veut que le mariage (ou la vie en couple) a très souvent un effet bénéfique en termes de santé et d’espérance de vie. Un autre postulat (peut-être moins bien accepté) est que dans le couple la femme joue traditionnellement un rôle de «soignant» dont l’homme est bénéficiaire. On peut aussi imaginer qu’un déficit en partenaires féminines potentielles au moment de l’adolescence peut être une situation rapidement et durablement stressante; quand elle ne conduit pas, de facto, au célibat.

Tout cela est bien beau mais comment tester ces hypothèses? Les chercheurs américains ont travaillé sur deux ensembles de données démographiques. Le premier est issu d’une étude dite «du Wisconsin» menée depuis 1957 chez des diplômés des écoles secondaires de cet État du Wisconsin; soit 4.183 hommes médicalement suivis depuis 50 ans. Cette étude permet de savoir quel était le ratio hommes-femmes dans chaque école au moment de l’adolescence ce qui, selon les chercheurs, fournit un bon indicateur de la possibilité ou non de rapports sexuels; certains ne manqueront sans doute pas de critiquer la solidité de cette assertion. 

Le deuxième ensemble de données était composé de 7.683.462 hommes blancs qui ont été enregistrés dans le programme américain d'assurance-maladie en 1993. Le sex-ratio de cette période était ensuite calculé à partir des données de recensement au niveau de chaque États.

Dans l'échantillon du Wisconsin, le Dr Christakis et ses collaborateurs ont recensés ceux qui étaient morts avant d’atteindre leur 65ème anniversaire. Chez les femmes, pas de relation significative entre le sex-ratio scolaire de leur adolescence. Or il n’en va pas de même pour les hommes. Les résultats statistiques sont là, significatifs nous disent les chercheurs: plus l’environnement féminin était pauvre, plus le risque de mourir jeune était élevé. Constatations similaires dans l’échantillon de plus de 7,5 millions d’hommes: une présence féminine équilibrée au moment de l’adolescence est corrélée à une espérance de vie plus longue d’au minimum trois mois. On dira que trois mois c’est, tout bien pesé, peu de chose. Le Dr Christakis rétorque que le bénéfice enregistré équivaut à celui qu’une personne âgée peut attendre de la pratique d’un exercice physique ou de la réduction d’une surcharge pondérale.

Sans doute ne s’agit-il là que d’extrapolations statistiques. Les conclusions seraient hautement plus crédibles si elles étaient complétées par une démonstration de nature biologique: comment une présence féminine rare au moment de l’adolescence peut induire des mécanismes pathologiques ayant pour ultime conséquence de réduire l’espérance de vie? Il n’en reste pas moins que ce travail apporte un argument supplémentaire à tous ceux qui sont préoccupés par les conséquences  de la rapide évolution du sex-ratio dans les régions parmi les plus peuplées du monde.  On se souvient de «l’enlèvement des Sabines» et de l’absolue nécessité, pour la première génération masculine de Rome, de se procurer des femmes. Imaginons un instant ce que pourrait être la mondialisation de cette forme de quête pour la survie; celle de l’homme et de son espèce.

 

 Jean-Yves Nau

Photo: Mariage collectif à Shanghai Aly Song / Reuters

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