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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Les Noirs, premières victimes de la récession

Une partie de l’Amérique blanche se dit lésée par la politique d’Obama. Mais, comme le rappelle l’essayiste Barbara Ehrenreich, le chômage et les saisies immobilières touchent en priorité les Africains-Américains.

24.09.2009|Barbara Ehrenreich, Dedrick Muhammad|The New York Times

De nouvelles affirmations “mensongères” des conservateurs.
Sur l’affiche : Obamacare [la réforme de la santé d’Obama].
Obama : “Je vous signale que mon père venait du Kenya, pas de Papouasie- Nouvelle-Guinée !
© Dessin de Stephff, Thaïlande

Les auteurs

Barbara Ehrenreich est journaliste et essayiste. Elle est en train d’écrire pour The New York Times une série d’articles sur les conséquences de la crise économique, dont nous avons publié un volet dans CI n° 981, du 20 août 2009. Son nouveau livre, Bright-Sided : How the Relentless Promotion of Positive Thinking Has Undermined America (Le bon côté des choses. Comment la promotion incessante de la pensée positive a fragilisé les Etats-Unis), paraîtra en octobre aux Etats-Unis. Dedrick Muhammad est chercheur associé à l’Institute for Policy Studies, un centre de recherche sur la justice sociale.

Qu’obtient-on quand on conjugue la pire crise économique depuis <st1:personname productid="la Grande D←pression" w:st="on">la Grande Dépression</st1:personname> et le premier président noir ? Une montée du ressentiment des Blancs à l’égard des Noirs, vaguement camouflée en révolte populaire. Un article publié sur le site Internet de la chaîne de télévision Fox News a lancé la théorie selon laquelle la réforme du système de santé serait une tentative dissimulée d’octroyer des réparations pour l’esclavage : les Blancs paieront l’addition, et, en vertu d’un mécanisme occulte, les Noirs bénéficieront de tous les soins. Dans ce genre de fantasme, le président Obama est un dictateur, et une pancarte qui circule dans les milieux des tea parties* anti-impôts et anti-réforme du système de santé le représente en sorcier africain avec un os dans le nez et des plumes sur la tête. Quand on voit son quotidien empirer – comme les classes moyennes blanches en font l’expérience depuis plusieurs années –, il n’est que trop tentant de se dire que c’est parce que quelqu’un vous marche sur les pieds.

Pourtant, les Blancs ont beau éprouver du ressentiment, ce sont les Noirs qui sont le plus durement touchés par la récession ; ils connaissent un taux de chômage et de saisies immobilières disproportionné. Et ils n’étaient déjà pas particulièrement bien lotis au départ. Au début de la récession, 33 % de la classe moyenne noire était menacée de déclassement, selon une étude de l’université Brandeis et du centre de recherche indépendant Demos. De fait, on pourrait même dire que les Noirs ont déjà vécu leur récession. C’était entre 2000 et 2007, période durant laquelle leur taux d’emploi a diminué de 2,4 % et leurs revenus de 2,9 %. Durant ces sept années, un tiers des enfants noirs vivaient au-dessous du seuil de pauvreté et le taux de chômage des Noirs était près de deux fois supérieur à celui des Blancs, même chez les diplômés du supérieur. C’était la récession des Noirs. Ce que nous vivons actuellement ressemble davantage à une dépression. Nauvata et James, un couple d’Africains-Américains d’âge moyen résidant dans le Maryland (ils ont demandé à ce que leur nom de famille ne soit pas mentionné), ne s’étaient pas encore remis de la première crise quand la deuxième a frappé. En 2003, Nauvata a perdu son travail d’employée administrative payé 25 dollars l’heure chez l’assureur santé Aetna et s’est retrouvée en 2007 à gagner 10,50 dollars l’heure chez un loueur de voitures. James a conservé son travail d’agent de maintenance, mais le couple ne gagnait pas assez pour prétendre à autre chose qu’à des prêts dits “prédateurs”. Ils ont acheté à crédit des meubles de salle à manger pour un montant de 524 dollars [358 euros] et étaient encore en train de rembourser les traites au magasin Levitz quand celui-ci a mis la clé sous la porte et que le montant de leur dette, rachetée par plusieurs créanciers successifs, s’est mis à augmenter sans raison apparente. Au final, le couple aura dépensé 3 800 dollars [2 600 euros] pour se défaire de cette dette et pour engager un avocat afin de revoir leurs conditions de crédit. Pour ce faire, ils ont dû renégocier leur emprunt hypothécaire auprès de plusieurs organismes. Aujourd’hui, ils sont menacés de saisie.

Un grand nombre de Blancs issus des classes moyennes ou populaires ont suivi le même parcours : un licenciement ou une réduction du temps de travail, puis le piège des crédits, des dettes toujours plus importantes et enfin la saisie immobilière. Mais les Noirs frappés par la crise ont un handicap supplémentaire. Longtemps discriminés à l’emploi ou pour l’attribution de prêts, ils sont moins susceptibles que les Blancs d’avoir des proches fortunés ou des comptes en banque bien garnis pour les aider en cas de coup dur. En 2008, seuls 18 % des Noirs et des Latinos possédaient un compte épargne retraite, contre 43,4 % des Blancs.

Les africains-américains piégés par la pensée positive

Dans American Casino, un nouveau documentaire sur la crise des subprimes, des Noirs jouissant d’une bonne situation – un professeur de lycée, un psychothérapeute, un pasteur – racontent qu’ils ont perdu leur maison après avoir vu exploser les mensualités de leur crédit. Les gens ne parlent pas volontiers de leurs déboires avec leurs emprunts. Ils se sentent humiliés et ont l’impression d’avoir été le jouet de forces mystérieuses et lointaines. “Je ne suis vraiment pas fier de moi”, reconnaît le professeur dans American Casino.

Même ceux qui s’y connaissent un peu ont tendance à s’en vouloir. C’est le cas de Melonie Griffiths, 40 ans, qui conseille désormais les ménages pour leur éviter la saisie et l’expulsion au sein de l’association City Life/<st1:personname productid="La Vida Urbana" w:st="on">La Vida Urbana</st1:personname> de Boston. Melonie s’en veut d’avoir eu la “naïveté” de faire confiance à l’organisme de crédit qui lui avait dit, en 2004, de ne pas s’inquiéter du montant élevé de ses mensualités car son emprunt allait être renégocié “d’ici deux ou trois mois”. Le prêteur a alors disparu, et Melonie Griffiths s’est fait exproprier. Quand elle s’est enfin décidée à raconter ses déboires, elle a découvert qu’elle n’était pas la seule dans son cas. “C’est une histoire très courante par ici”, explique-t-elle.

Les établissements de crédit immobilier comme Countrywide ou Wells Fargo se sont mis à cibler les acquéreurs issus des minorités pour la simple et bonne raison que, pendant des décennies, les Noirs s’étaient vu refuser des prêts par préjugé racial et qu’ils constituaient donc un marché tout trouvé pour les emprunts hypothécaires à taux extravagants du milieu des années 2000. Countrywide, qui se targuait d’être l’usine à rêve des défavorisés, diffusait des publicités montrant des femmes noires futées persuadant leurs maris de signer des contrats de prêt. S’il y a un facteur culturel qui prédispose les Noirs à se faire avoir par les prêts risqués, il est largement partagé par l’ensemble de la population américaine : c’est le penchant pour la “pensée positive” et l’optimisme injustifié, qui prend la forme théologique de “l’évangile de la prospérité”.

Joel Osteen, pasteur blanc d’une méga-église qui attire 40 000 fidèles tous les dimanches, dont deux tiers de Noirs et de Latinos, aime raconter comment il a succombé lui-même aux appels de Dieu – transmis par sa femme – pour déménager dans une maison plus grande. Selon Jonathan Walton, professeur de théologie à l’université de Californie à Riverside, des pasteurs comme Osteen ont rassuré les gens en les amenant à raisonner de la sorte : “Dieu a voulu que la banque ne tienne pas compte de ma solvabilité et me permette d’accéder à la propriété.” Si les Noirs ont commis une erreur collective au milieu des années 2000, cela a été d’embrasser la culture blanche avec trop d’enthousiasme et d’abandonner l’action collective prônée par Martin Luther King au profit de l’accomplissement personnel défendu par [le pasteur et psychologue] Norman Vincent Peale. Mais il n’était même pas nécessaire de souscrire un emprunt douteux pour être balayé par la crise du crédit, puis par la récession. Le taux de chômage atteint aujourd’hui 15,1 % chez les Noirs, contre 8,9 % chez les Blancs. D’ici à 2010, estime Lawrence Mishel, président de l’Economic Policy Institute, 40 % des Noirs auront connu des périodes de chômage ou de sous-emploi.

La crise alimente le ressentiment des blancs

Résultat : les Noirs sont frappés par une seconde vague de saisies immobilières liée à la perte de leur emploi. Willett Thomas, une femme de 47 ans qui habite Washington, nous raconte qu’il y a encore un an elle pensait qu’elle “[avait] trouvé le moyen de réaliser [son] rêve”. Elle avait un travail, était propriétaire de sa maison et possédait également un bien immobilier en location à Gainesville, en Floride, ce qui lui donnait la souplesse de se consacrer à mi-temps à sa carrière d’écrivain. Puis elle est tombée malade, a perdu son emploi et a commencé à accumuler les re­tards dans les remboursements de son emprunt hypothécaire. Ses locataires de Floride ont eux aussi rencontré des problèmes financiers et ont cessé de payer leur loyer. Aujourd’hui, Mme Thomas décroche un entretien par semaine et met régulièrement son CV à jour, mais elle ne parvient pas à trouver du travail. Sa résidence principale a été saisie.

Même si, à droite, beaucoup ont la sensation que les Noirs ont raflé des avantages, ces derniers sortiront de cette récession encore plus défavorisés économiquement qu’ils ne l’étaient auparavant. Un président noir enclin au consensus osera-t-il s’attaquer au problème de la destruction de la classe moyenne noire ? Sans doute pas. Mais, si les Américains de toutes origines ne constatent pas très vite une amélioration de leur situation, leurs souffrances ne feront qu’augmenter et alimenter chez les Blancs un ressentiment infondé.


* Manifestations organisées par le mouvement Tea Party, un groupe de contribuables de droite qui s’est créé en février 2009, après le vote par le Sénat du plan de relance. Son nom vient de <st1:personname productid="la Boston Tea" w:st="on">la Boston Tea</st1:personname> Party de 1773, qui a marqué le début du soulèvement des treize colonies américaines contre la tutelle de Londres.

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