Des nations d'Asie et d'Amérique du Sud sont confrontées à un afflux massif de capitaux
Au rythme actuel, le poids économique de l'Asie pourrait égaler celui des Etats-Unis et de l'Europe réunis d'ici à 2015. Voilà le constat dressé par le directeur général du Fonds monétaire international (FMI), Dominique Strauss-Kahn, à l'issue d'une réunion avec des responsables des grandes banques centrales, à Shanghaï, lundi 18 octobre. Mais cette croissance fulgurante a son revers.
Comme l'a souligné M. Strauss-Kahn, la région est confrontée à un raz-de-marée de capitaux étrangers : " Une superbe opportunité mais aussi un grand défi " aux conséquences potentiellement " déstabilisantes ", notamment en termes de taux de change. Cet afflux, marque de confiance des investisseurs pour des pays qui tirent la reprise mondiale, est démultiplié par le grand désordre qui règne sur le marché des changes.
Dans la perspective d'un nouvel assouplissement monétaire aux Etats-Unis, le dollar est en chute libre. Les capitaux, en quête de rendements, affluent vers les puissances émergentes en Asie, mais aussi en Amérique latine, particulièrement au Brésil, et poussent les monnaies à la hausse.
Ces pays s'inquiètent désormais à voix haute pour leur compétitivité. Afin de préserver des exportations vitales à leur croissance, ils tentent d'affaiblir leurs devises. En plus d'interventions directes sur le marché des changes, certains ont commencé à prendre des mesures pour contrôler les entrées de capitaux.
Le Brésil, par exemple, dont le ministre des finances, Guido Mantega, a évoqué fin septembre une " guerre des monnaies ", a relevé, lundi, pour la seconde fois en quinze jours, l'impôt que doivent acquitter les détenteurs étrangers d'obligations brésiliennes (de 4 % à 6 %).
Même scénario en Thaïlande : pour endiguer la montée du baht, qui a pris 12 % face au dollar depuis le début de l'année, Bangkok a instauré, mardi 12 octobre, une taxe de 15 % sur les intérêts et les plus-values des investissements étrangers en dette souveraine.
Achats massifs de dollars
La Corée du Sud et l'Inde ont aussi indiqué réfléchir au moyen de maîtriser le flux de capitaux spéculatifs. Mais tout ce branle-bas de combat alimente les tensions sur le marché des changes. Le Japon s'en est ainsi pris à la Corée du Sud, accusée d'être intervenue massivement pour affaiblir sa devise, le won.
En tant que président en exercice du G20, Séoul " devra fournir des réponses claires " sur ce point, a réclamé le ministre des finances japonais, Yoshihiko Noda, mercredi 13 octobre. L'Archipel a pourtant lui-même tenté, mi-septembre, de ralentir l'envolée du yen en procédant à des achats massifs de dollars. Mais Tokyo affirme qu'il s'agissait surtout de corriger une excessive volatilité des changes et exhorte la Corée du Sud à agir " de façon responsable, conformément aux règles communes ". Une injonction qui s'adresse aussi à la Chine : le géant d'Asie souffre moins que ses voisins de la faiblesse du dollar, puisqu'il contrôle étroitement la valeur de sa devise, le yuan.
La situation peut-elle s'envenimer ? " Nous allons continuer à voir des conflits, particulièrement en Asie de l'Est ", a déclaré He Fan, un économiste de l'Académie chinoise des sciences sociales participant à la conférence de Shanghaï, lundi.
Début octobre, par la voix de son chef économiste, Olivier Blanchard, le FMI a appelé " de nombreuses économies émergentes " à ne pas freiner l'appréciation de leurs devises. Visés : le yuan, bien sûr, mais aussi le real brésilien et " un certain nombre de monnaies asiatiques ". En clair, compte tenu de la vigueur de sa croissance, le monde émergent doit accepter un ajustement des taux de change vis-à-vis du monde industrialisé qui peine à sortir de la crise.
Mais une démarche collective est nécessaire pour mener à bien ce " rééquilibrage international ", insiste le FMI. " L'esprit de coopération doit être maintenu. Sans cela, la reprise est en péril ", a déclaré, lundi, M. Strauss-Kahn, regrettant que " des pays - fassent - de plus en plus cavalier seul ".
Marie de Vergès