Le premier président de la Cour des comptes réclame une action rapide pour éviter l'emballement de la dette
Didier Migaud a succédé, en mars, à Philippe Séguin comme premier président de la Cour des comptes. Mercredi 23 juin, il présentait un rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques françaises. Dans un entretien au Monde, il avertit de l'" urgence " à redresser les comptes. " Il faut être conscient de la réalité de la situation et que celle-ci fasse l'objet d'un constat partagé ", explique-t-il, assurant que " le redressement est possible " mais qu'il " ne doit pas être reporté ".
Dans quel état sont les finances publiques ?
La situation est sérieuse. Elle nécessite un traitement immédiat, continu, soutenu et de fond. Mon prédécesseur, Philippe Séguin, avait déjà, en 2009, averti fortement les pouvoirs publics. Notre alerte est encore plus forte car la situation s'aggrave. Nous avons connu une récession moins forte que la moyenne des pays européens. Notre déficit aurait dû moins s'aggraver. Or son augmentation a été comparable, alors même que le plan de relance est de plus faible ampleur. Notre situation est donc moins favorable.
Tout cela est le résultat d'une dégradation ancienne et du décalage accru entre le niveau des recettes et celui des dépenses. La crise n'explique pas tout. La Cour estime qu'en 2009 le déficit structurel (hors relance et mesures conjoncturelles) était d'environ 5 % du PIB, soit les deux tiers du déficit total. En 2010, il serait de l'ordre de 5,7 %.
Fallait-il soutenir la croissance avant de s'attaquer à la consolidation des finances publiques ?
Si nous voulons que la situation ne devienne pas irréversible, il faut agir. Et trouver le bon équilibre entre soutien à la croissance et consolidation budgétaire. Soutenir la croissance c'est aussi débloquer les comportements de précaution qui la freinent et pour cela montrer que l'on va résoudre le problème des finances publiques. La difficulté est de conjuguer un traitement immédiat et de fond, la présentation d'un plan crédible pour nos partenaires et nos prêteurs et dans le même temps acceptable par les Français. C'est cet équilibre qu'il faut trouver.
La situation est-elle en passe de devenir irréversible ?
En 2010, les recettes nettes de l'Etat ne couvriront que 52 % des dépenses. Le déficit public augmente. A partir d'un certain moment, la dette risque de s'emballer et devient plus difficile à maîtriser. Ce n'est pas encore le cas mais le coût de l'inaction peut être lourd. Réduire l'endettement, c'est préserver notre indépendance et notre souveraineté et se redonner des marges de manoeuvre.
Le gouvernement s'est engagé à ramener le déficit à 3 % du PIB en 2013. Est-ce possible ?
Des risques importants pèsent sur la perspective d'un retour du déficit à 3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2013. Les prévisions de croissance et de recettes du programme présenté à la Commission européenne pour les années 2010 à 2013 sont optimistes. Pour les dépenses, l'objectif de progression est volontariste et sous-estime certains risques.
Bercy peut-il réduire de 45 milliards d'euros en trois ans les dépenses comme il le dit ?
L'action sur la dépense est nécessaire. Il faut procéder à un examen général des politiques et interventions publiques. L'Etat doit définir ses priorités et mieux cibler ses dépenses. La Cour inventorie des pistes d'économies dans son rapport. De même, les collectivités territoriales ne peuvent pas rester à l'écart du redressement des comptes publics.
Faut-il " jouer " sur la fiscalité ?
On ne peut pas écarter une action sur les recettes. Car agir sur les seules dépenses ne permettra pas de redresser suffisamment vite les comptes. D'ailleurs remettre en cause des niches, c'est augmenter le produit de l'impôt.
Le coup de rabot général est-il la solution ?
Cela a le mérite d'être efficace. Mais il faut aller plus loin et envisager la suppression de certaines niches fiscales et sociales. Il faut remettre à plat régulièrement les mesures fiscales et les politiques d'intervention pour voir si elles sont toujours adaptées aux objectifs, aux publics ciblés et à la conjoncture. Il faut aussi revoir la définition et stabiliser la liste des dépenses fiscales.
M. Sarkozy veut inscrire dans la Constitution une règle d'équilibre des finances. Est-ce nécessaire ?
Les règles sont nécessaires. Il faut vraisemblablement les renforcer. Mais il est tout aussi important de veiller à leur respect.
Avez-vous des craintes sur la notation de la dette française ?
Il n'y a pas de raison que la France ne continue pas d'avoir la confiance de ses prêteurs. Mais il faut pour cela agir dès 2011 pour réduire le déficit structurel.
Le relèvement des âges de la retraite participe-t-il de l'assainissement des finances ?
Les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR) sont utiles et nécessaires. Mais les déficits à l'horizon 2 050 ne doivent pas faire oublier qu'il y a déjà un fort déficit aujourd'hui, l'équivalent de la moitié du déficit de 2050. Pour répondre aux problèmes de financement à court et moyen terme, il faut agir sur tous les paramètres : l'âge, la durée de cotisation, les prestations, le montant des cotisations et l'assiette, l'élargissement des recettes. Mais les retraites ne sont pas le seul sujet. Il faut examiner les comptes sociaux dans leur globalité, car c'est globalement qu'ils se sont dégradés.
Peut-on ramener la progression des dépenses maladie à 2,9 % ?
Ramener l'Objectif national des dépenses d'assurance-maladie (Ondam) à 2,9 % représente un effort de 150 millions d'euros. Le déficit de l'assurance-maladie est de 10 milliards. Il est essentiel de prendre des mesures plus proportionnées au problème.
Propos recueillis par Claire Guélaud et Philippe Le Coeur