A la veille du G20, le ministre allemand des finances soutient l'impôt sur les transactions financières et le prélèvement sur les banques
Berlin Envoyé spécial
ENTRETIEN
Ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble est un pilier du gouvernement d'Angela Merkel. Avant le G20 de Toronto, il a accordé un entretien aux quotidiens européens El Pais, Corriere della Sera et Le Monde.
Qu'espérez-vous obtenir au G20 sur l'imposition des transactions financières internationales ?
Nous déterminerons à Toronto si nous créons ou non un impôt global sur les transactions financières internationales. De nombreux arguments plaident en faveur d'une telle initiative, surtout si l'on s'entend au niveau global. Concernant le prélèvement sur les banques, nous sommes bien avancés au niveau européen et à peu près sur la même longueur d'onde que les Etats-Unis. Ce sont deux instruments différents qui doivent freiner les excès des marchés engendrés par la mondialisation et les technologies.
Que pensez-vous des critiques de l'administration Obama sur votre plan d'économies ?
Lors des précédents G20, la sortie de crise a été clairement définie. Elle avait comme surtitre : la croissance durable. Les critiques qui nous sont faites ne sont pas fondées. La cause principale de la crise aujourd'hui est le déficit trop élevé de nombreux pays. J'ajoute que la Commission européenne nous demande également de réduire nos déficits. Mais nous avons veillé à ne pas prendre de mesures qui pourraient nuire à la croissance. Nous la soutenons au contraire, par exemple en encourageant les demandeurs d'emploi à retourner vers le marché du travail. Il faut aussi comprendre que, contrairement aux Etats-Unis, nous avons en Allemagne une démographie en recul. En Europe, nous nous devons tous de respecter le pacte de stabilité et de croissance. L'Allemagne doit d'ici à 2013 ramener son déficit à 3 % de son PIB. La France s'y est également engagée. Chacun doit respecter les règles. L'Allemagne ne fait que mettre en oeuvre ce qu'elle demande aux autres.
L'Europe parlera-t-elle d'une seule voix au G20 ?
Nous n'avons pas vraiment de différences. Partout il faut réduire les déficits et être responsables. L'Allemagne a d'assez bons résultats sur le marché du travail et un taux de croissance satisfaisant comparé à d'autres. Si l'on regarde les principaux indicateurs, nous avons rempli nos engagements, les autres doivent faire de même. L'Asie ne connaît pas la crise.
La croissance américaine repart et l'Europe reste à la traîne...
On ne peut pas comparer les besoins de l'Asie avec ceux des Européens. L'Asie a un besoin de rattrapage. Nous en avons fait l'expérience en 1990 avec la réunification de l'Allemagne. En raison de notre démographie et de la structure de notre économie, le potentiel de croissance à long terme est plus bas qu'en Chine. Certains pays ont des besoins de croissance supérieurs aux nôtres.
Concernant les Etats-Unis, beaucoup doutent que de tels déficits puissent être maintenus indéfiniment. Il semble que les plans de relance financés par les déficits n'aient eu qu'un effet modeste sur le marché du travail américain. L'évolution du chômage en Allemagne a été beaucoup moins dramatique. Si de gros déficits devaient rendre un pays compétitif, la Grèce ne devrait pas avoir de problèmes. Aucun élément empirique ne prouve que les déficits favorisent la croissance. En Allemagne, le principal obstacle à l'augmentation de la consommation et aux investissements est l'insécurité causée par les déficits publics.
Ne craignez-vous pas la menace déflationniste ?
Non. Cette année, le seul budget de l'Etat fédéral présente un déficit supérieur de 65 milliards d'euros à celui de l'année dernière. En 2011, nous allons réduire ce déficit de 10 milliards.
Le gouvernement économique de l'Europe doit-il concerner la zone euro ou l'ensemble des pays européens ?
Dans les années 1990, on se demandait s'il fallait d'abord élargir l'Europe ou approfondir ses institutions. Ma réponse était qu'il fallait faire les deux simultanément. Aujourd'hui, le traité de Lisbonne permet une coopération plus approfondie. Ceux qui sont dans la zone euro doivent avancer vers plus d'intégration avec pour objectif d'entraîner les autres.
Un homme politique allemand est-il prêt à déléguer une part de ses compétences à l'Union ?
S'il y a un consensus pour respecter les règles, la question ne se pose pas vraiment. Tous les Etats membres ne sont pas égaux. C'est pour cela qu'il existe des mécanismes de compensation comme les fonds structurels. Mais ils exigent en contrepartie qu'on respecte les règles communes, ce qui n'a pas été le cas ces dernières années non seulement en Grèce mais aussi en France et en Allemagne, sous les gouvernements Chirac et Schröder.
L'Allemagne pourrait-elle accepter que le prochain président de la Banque centrale européenne (BCE) ne soit pas un Allemand ?
Elle l'a en tout cas accepté depuis la création de la BCE et nous n'avons pas à nous en plaindre. L'essentiel est que la BCE reste indépendante.
En aidant certains Etats, la BCE perd-elle son indépendance ?
Non. Elle a une responsabilité pour la stabilité de la monnaie, mais elle ne dépend pas des gouvernements.
L'Allemagne est-elle un modèle pour l'Europe ?
Mon idée de l'Europe n'est pas qu'un pays serve de modèle. La richesse et la force de l'Europe viennent des expériences diverses qui la constituent.
S'il n'y a pas de modèle, y a-t-il un contre-modèle ?
Le contre-modèle de l'Europe, c'est le passé. Lorsque les Européens ont créé une monnaie unique, beaucoup de nos amis anglo-saxons ne pouvaient pas imaginer que nous puissions adopter une monnaie unique tout en maintenant nos souverainetés nationales respectives. A l'inverse, quand l'Asie ou le reste du monde voient que notre continent, qui, au XXe siècle, a connu plus de catastrophes que le reste de la planète, a réussi à créer cela, cela les fascine. Même si l'Europe est compliquée et parfois bureaucratique, nous ne devrions pas être trop humbles. Les Européens vont avancer, parler d'une seule voix et nous allons montrer que nous allons configurer le XXIe siècle différemment du XXe.
L'Allemagne manque-t-elle d'ambition pour l'Europe ?
Qui peut nier que, sans les réserves initiales de l'Allemagne, la Grèce n'aurait pas entrepris le programme d'assainissement nécessaire qu'elle met en oeuvre ?
Propos recueillis par Frédéric Lemaître