Euro et Grèce : comment sortir de la crise ? La situation périlleuse des finances grecques a révélé les faiblesses structurelles de la monnaie européenne. De nombreuses voix jugent désormais urgente la création de mécanismes collectifs de protection et de solidarité
La cupidité contraint les capitalistes à réinvestir leurs profits, à accumuler du capital, à créer des emplois, à distribuer des revenus. Or à présent, il est trop question de bonus, de paradis fiscaux, de parachutes dorés, de régulation : une diversion, pour ne pas s'interroger sur la politique économique des Etats, dont le cap reste fixé sur la récession et la crise.
Il existe pourtant quelques vérités accessibles à tous, même aux dépourvus de toute morale et de toute connaissance économique. D'abord, le sauvetage des banques. Depuis l'automne 2008, des centaines des milliards furent prélevés pour maintenir la rentabilité des secteurs de l'argent, du crédit et, forcément, de la spéculation, aux dépens de la liquidité de l'économie, de la production, de l'emploi.
Les banques ont rétabli leurs positions, mais leurs crédits à l'économie n'en furent pas moins réduits de 60 %. La contraction de l'économie n'en fut pas réduite, mais aggravée : - 5 % en Allemagne, - 4 % en zone euro, - 2,5 % aux Etats Unis, - 4,6 % au Royaume-Uni. Au cours de l'année 2008-2009, les déficits publics de 20 pays sur les 27 de l'UE ont triplé, ce qui a mis les Etats en accusation par les banques, pourtant principales bénéficiaires de cette opération. Immoralité sans doute, mais surtout, quelle inefficience ! Et quelle confusion : chez les Anglo-Saxons, les autorités savent bien que les déficits publics ne sont pas la cause mais la conséquence du ralentissement, tandis que chez les Européens, de concert avec les conservateurs américains, les responsables restent convaincus du contraire : ils diabolisent les déficits, tout en étant disposés à répéter le même geste, si la demande était réitérée.
Ensuite, l'argent mis à disposition des banques, sans retour du crédit, a renforcé les liquidités spéculatives qui n'hésitent pas à se retourner contre leurs propres fournisseurs. Ils attaquent tout, y compris la zone euro, surtout à partir du moment où ils savent que cette monnaie est la seule qui refuse de se doter de gouvernance, de fonds stabilisateur, de clause de sauvegarde. Ici, ce qui prête le flan à la spéculation n'est pas la crise, mais surtout sa gestion inefficiente et les défauts de construction de l'euro depuis son lancement. En Allemagne et aux Pays-Bas, une majorité de sondés souhaitent exclure de la zone euro les " pays cochons " - les " PIGS ", Portugal, Irlande, Grèce, Espagne - , mais ils souhaitent aussi que leurs propres pays quittent cette zone.
Des marchés irresponsables
Autrement dit, punir les pays faibles de la zone en raison de leur faiblesse, ce qui ne manquera pas de renvoyer leur reprise aux calendes grecques. En même temps, cette zone monétaire est perçue par ses membres puissants, qui profitent d'elle, comme un fardeau dont ils doivent se débarrasser. Pourtant, 62,5 % des excédents de l'Allemagne proviennent de cette zone, constituant l'envers des déficits des " pays cochons ". Plus l'Allemagne resserre ses coûts salariaux et plus ses surplus se creusent aux dépens de ses partenaires.
La politique allemande, au lieu d'être coopérative avec ses partenaires, s'avère antagonique, ce qui mine la cohésion de la zone : les performances des pays de la zone ne convergent plus, mais divergent dans tous les sens. Les termes de l'échange s'améliorent pour l'Allemagne tandis qu'ils se dégradent pour ses partenaires, ce qui implique des transferts des postes d'emploi aux dépens de ces derniers. Ces partenaires, s'endettant pour relancer leurs économies et limiter leur déchéance, se voient aussitôt mis au pilori au nom du pacte de stabilité et de croissance, qui s'avère être en fait le contraire de son nom.
Les faibles sont toujours punis en raison de leur faiblesse et cela non seulement par les marchés irresponsables, mais surtout par les autorités supposées très responsables, qui ne font que suivre et amplifier les effets de l'irresponsabilité des marchés. Si la zone euro existe encore, elle ne fait que compliquer tout effort d'ajustement de ses membres en difficulté. Plus que l'immoralité, frappent ici la courte vue, l'inefficience, le gâchis.
Enfin, les banques franco-allemandes détiennent 60 % des dettes des " pays cochons ". On n'a jamais vu des créanciers poussant leurs débiteurs dans les bras des spéculateurs et encore moins à la cessation de paiement. D'habitude, les premiers font toute facilité pour permettre aux seconds de rembourser leurs dettes. Si ceux-ci s'avèrent irresponsables, ceux-là devraient s'en inquiéter deux fois plus. Les créanciers se sécurisent en aidant les débiteurs à retrouver la prospérité, plutôt qu'en les poussant à la déchéance. Décidément, l'inefficience frappe plus que l'immoralité. C'est ce que le Prix Nobel Paul Krugman appelle " hubris ". Pourtant, l'euro mérite encore l'atterrissage et il en est encore temps. p
Kostas Vergopoulos
Professeur d'économie à l'université Paris-VIII
Voila un avis intéressant par un économiste