L'heure est, semble-t-il, à la réduction, voire à la suppression, de certaines " niches sociales et fiscales " pour ramener " le déficit public de la France de 8 % du produit intérieur brut cette année à 6 % en 2011 ", selon les termes de François Baroin, ministre du budget, dans un entretien à La Tribune du 14 septembre.
Il n'y a pourtant guère de réflexions sur la philosophie des renoncements à ces recettes, et encore moins sur leurs effets réels sur la politique sociale.
Les allocations versées par la Sécurité sociale ont la forme d'un revenu de remplacement et/ou de prise en charge de certaines dépenses. Le but de ces " transferts sociaux " est de mutualiser la charge de certains risques ou coûts liés au fait d'être à la retraite, d'être incapable de travailler, d'avoir des enfants, etc. Ils -constituent un mécanisme de solidarité entre revenus et entre générations.
L'utilisation d'instruments fiscaux et financiers a pour objet de réorienter le comportement des individus ou des entreprises vers ces mécanismes assurantiels. Pour ce faire, le législateur peut recourir à l'exonération totale ou partielle de certains revenus.
Il peut aussi décider la création d'abattements ou de déductions sur des catégories de revenus, ou choisir le versement par l'Etat d'une aide différentielle en dessous d'un certain seuil de revenu, baptisé " crédit d'impôt ".
La promotion de ces niches a un double effet : d'une part elle diminue les recettes de la Sécurité sociale et/ou de l'Etat, qui auront moins de moyens pour financer les transferts sociaux ; d'autre part, certains produits de prévoyance sont dopés par -l'avantage social ou fiscal qui -l'accompagne.
Ces mécaniques ont la faveur de ceux qui plaident pour un recentrage de l'action de redistribution de l'Etat vers les plus pauvres. Les classes moyennes (celles " qui ont un emploi à temps plein "), elles, sont incitées à recourir à des dispositifs individuels de protection sociale subventionnés.
Maquis illisible de règles
C'est le cas des contrats d'assurance-vie dits " Madelin ", qui offrent aux indépendants des déductions fiscales au titre des primes versées, ou encore du Plan d'épargne pour la retraite collectif (Perco), qui allie exonérations de cotisations sociales pour l'entreprise et allégement de l'impôt sur le revenu pour les salariés.
L'attractivité de l'exonération commande qu'elle s'inscrive dans le temps. Mais cela n'est pas toujours le cas : si les cotisations de l'employeur à des garanties de prévoyance supplémentaires sont partiellement exonérées, elles sont soumises depuis 2009 à un " forfait social ". Il s'agit d'une contribution ad hoc en constante augmentation (2 % en 2009, 4 % en 2010 et plus encore en 2011).
Non seulement on revient partiellement sur les exonérations promises, mais on a créé un maquis illisible de règles. Le -développement de la protection sociale privée, pourtant qualifié par ailleurs d'inéluctable et de nécessaire, pourrait être remis en cause.
Les exonérations devraient également être précisément définies. C'est loin d'être le cas. Ainsi, bénéficient d'avantages sociaux les contrats de prévoyance complémentaires de salariés qui sont " collectifs et responsables ". Ni la loi ni le pouvoir réglementaire n'ont défini ces termes. La circulaire ministérielle interprétative (on a pu en compter une douzaine, aujourd'hui heureusement synthétisées) multiplie les hypothèses et sous-hypothèses d'exonération, les cas particuliers. Mais une circulaire ne lie pas le juge.
Aussi, les contentieux post-redressements foisonnent et fragilisent le dispositif qui se voulait à l'origine stimulant. Les " niches " deviennent ainsi des " pièges ". Les employeurs et leurs organisations professionnelles qui ont joué le jeu, par exemple en négociant une prévoyance complémentaire collective, doivent payer amendes et intérêts de retard. Ils jurent mais un peu tard, que'on ne les y reprendra plus.
Francis Kessler
est maître de conférences à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne.