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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Non, les immigrés ne volent pas nos emplois

ÉTATS-UNISNon, les immigrés ne volent pas nos emplois

Loin d’être une menace, l’afflux de travailleurs étrangers stimule l’économie américaine et fait grimper les salaires, affirme un rapport. Interview de l’auteur.

Mark Engler | Foreign Policy in Focus


 

Giovanni Peri, professeur associé à l’université de Californie à Davis, a publié fin août, pour le compte de la Réserve fédérale régionale de San Francisco, un rapport sur les conséquences économiques de l’immigration. “En chiffres nets, conclut le chercheur, les immigrés accroissent la capacité de production des Etats-Unis, stimulent l’investissement et favorisent la spécialisation, ce qui à long terme accroît la productivité. Et, conformément à ce qu’ont déjà montré des travaux antérieurs, ce processus n’a pas de conséquences négatives pour l’emploi des personnes nées aux Etats-Unis.”
En d’autres termes, les immigrés ne volent pas des emplois qui seraient revenus à des Américains. Les conclusions de Giovanni Peri ont été très commentées – et critiquées – sur les blogs politiques aux Etats- Unis. On leur a notamment reproché de contredire la théorie de l’offre et de la demande.

Si l’apport de travailleurs à bas salaires dans l’économie augmente, pourquoi cela ne fait-il pas baisser les rémunérations ?
Giovanni Peri Tout le monde semble comprendre la loi de l’offre et de la demande. Ce qui est peut-être un peu plus difficile à saisir, c’est l’opposition entre complémentarité et substitution, qui est une notion tout aussi fondamentale en économie. Si deux travailleurs sont identiques, la loi de l’offre et de la demande s’applique – de même que, si l’on met plus de maïs sur le marché, son prix va baisser. Mais, lorsque deux personnes qui ne font pas le même travail se spécialisent dans des tâches complémentaires, cela peut accroître les salaires et la productivité de l’une et de l’autre.
Prenons un exemple extrême. Si vous avez seulement un ingénieur, vous n’allez pas pouvoir faire grand-chose. Mais avec un ingénieur et un ouvrier vous pouvez cons­truire un bâtiment. Ainsi, la productivité de l’ingénieur monte en flèche. Et les salaires des deux travailleurs augmentent. En fait, l’afflux d’immigrés incite certains autochtones à exercer des métiers complémentaires. Cela peut avoir des effets positifs.

Il n’empêche que nombre d’Américains ne se perçoivent pas comme complémentaires. Ils se sentent simplement menacés.
Un autochtone a généralement une meilleure connaissance de la langue, ce qui, en soi, différencie les tâches qu’il peut accomplir. Dès que l’on examine les statistiques relatives aux types de professions exercées depuis quarante ans, en particulier dans les Etats comptant beaucoup d’immigrés, on observe que les Américains de souche tendent à occuper des emplois de chef de chantier ou de répartiteur de taxis plutôt que d’ouvrier du bâtiment ou de chauffeur. En moyenne, cela s’est traduit par des gains. Pour revenir au plan individuel, un Américain de souche qui a débuté il y a trente ans comme ouvrier agricole en Californie et qui cueille encore des fraises aujourd’hui peut se sentir perdant. Mais il faut vraiment chercher pour trouver un Américain qui fait encore ce genre de boulot. Il est bien plus courant de voir d’anciens ouvriers agricoles occuper des postes situés un peu plus haut dans l’échelle – chef d’exploitation, par exemple.

A mon avis, la confusion vient en partie du fait que les gens perçoivent l’économie comme ayant un nombre d’emplois fixe, limité.
Tout à fait. Or le marché du travail aux Etats-Unis est particulièrement dynamique. Chaque mois, des centaines de milliers d’emplois disparaissent, mais il s’en crée des centaines de milliers de nouveaux. Bien entendu, en période de crise, les destructions sont plus nombreuses que les créations. Mais, en général, quand il y a davantage de travailleurs dans une économie, il y a plus de créations d’entreprises, une offre accrue, une augmentation du nombre de salariés et donc une demande plus importante. Lorsqu’un équilibre est atteint, l’économie est en expansion.
Il n’y a aucune raison qu’à long terme un travailleur supplémentaire fasse baisser les salaires. Pendant les quarante dernières années, aux Etats-Unis, le nombre d’actifs a été multiplié par deux. Et sur la même période les salaires ont progressé de 30 % ou 40 %. Reste à savoir au bout de combien de temps l’ajout d’un travailleur génère l’investissement nécessaire de la part de l’entreprise et finit donc par créer de la demande, de telle sorte qu’un travailleur supplémentaire entraîne une expansion de l’économie au lieu de priver d’emploi un autochtone. D’après mes travaux, ces mécanismes sont relativement rapides. Sur un an ou deux seulement, il n’y a déjà guère de pertes d’emplois ; les Etats à plus forte immigration connaissent simplement une expansion un peu plus rapide de leur économie. Et, au bout de quatre ou dix ans, l’investissement supplémentaire est réalisé et le capital par travailleur n’augmente plus beaucoup. On obtient donc un gain de productivité.

Mais, aux Etats-Unis, les salaires réels dans les métiers subalternes ont pratiquement stagné depuis trente ou quarante ans.
Les salaires des travailleurs très instruits ont nettement progressé. Ce sont ceux des moins instruits qui sont restés à la traîne. Les économistes essaient de comprendre pourquoi. Les retombées de la technologie, du commerce international et des délocalisations sont des explications envisagées. Nous sommes quelques-uns – avec par exemple David Card, de Berkeley, et Christian Dustmann de l’University College de Londres – à explorer aussi la piste de l’immigration. Or nous ne constatons pas d’impact négatif de l’immigration sur les salaires. Pour être précis, certaines études concluent que l’effet est nul sur l’emploi et légèrement positif sur les salaires. Et les données agrégées montrent qu’il n’y a aucun effet de substitution.

Votre constat, ce n’est pas tant que les nouveaux arrivants pénalisent les autochtones, mais qu’ils se retrouvent eux-mêmes tout au bas de l’échelle des salaires.
A certains égards, les immigrés sont en concurrence entre eux. Les nouvelles vagues de travailleurs étrangers, dans une certaine mesure, font du tort à ceux qui sont arrivés juste avant eux. Mais, si leur rémunération est faible à l’aune des Etats-Unis, elle reste tout de même très élevée par rapport à ce qu’ils toucheraient dans leur pays d’origine.

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