Outre-mer, les coûteuses opérations de l'Ecureuil
Par Laurent Mauduit
Lien vers l'article : Les couteuses operations
Au sein du groupe des Caisses d'épargne, Océor a, de fait, toujours profité d'une attention très particulière du président du directoire, Charles Milhaud. Constituée d'une myriade de petites banques de très faible rentabilité et souvent même en pertes, issues pour la plupart de la quasi-faillite de l'ex-Crédit lyonnais, de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> des Antilles françaises (qui compte vingt et une agences en Guadeloupe, Martinique, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et en Guyane), jusqu'à <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion" w:st="on">la Réunion</st1:personname>, en passant par <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de Tahiti, <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de Nouvelle-Calédonie, <st1:personname productid="la Caisse" w:st="on">la Caisse</st1:personname> d'épargne de Nouvelle-Calédonie, <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> des Îles, le Crédit Saint-Pierrais, <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> des Mascareignes, la filiale s'est au fil des ans renforcée par une politique active d'acquisitions : <st1:personname productid="la Banque BCP" w:st="on">la Banque BCP</st1:personname>, au Luxembourg, le Crédit Immobilier Hôtelier, <st1:personname productid="la Banque Tuniso-koweitienne" w:st="on">la Banque Tuniso-koweitienne</st1:personname> en Tunisie, Fransabank au Liban, etc. Et, en de nombreux cas, c'est Charles Milhaud en personne qui présidait régulièrement les conseils de surveillance de nombre de ces établissements, ce qui l'amenait fréquemment à faire le tour du monde.
De cet attachement de Charles Milhaud à Océor, il y a d'ailleurs eu une preuve publique – qui a aussi été un indice de la forte indulgence de l'Elysée à l'égard de l'intéressé : quand la banque a perdu à la mi-octobre 2008 ces fameux 751 millions d'euros dans la spéculation que nous avons analysée, le patron des Caisses d'épargne a été évincé de son poste. Mais pas totalement. Comme l'avait à l'époque révélé Mediapart, Charles Milhaud avait discrètement profité d'un très confortable parachute exotique : sur pression de l'Elysée, il avait obtenu de garder la présidence du conseil de surveillance d'Océor, poste qu'il a donc occupé jusqu'en juillet 2009. Et il est toujours actuellement président du conseil d'administration de la Banque Tuniso-koweitienne.
Une plongée dans Océor est donc instructive à ce titre. Mais elle l'est aussi pour une autre raison : c'est qu'on y découvre, en vérité, des dysfonctionnements assez similaires à ceux que nous avons déjà constatés dans l'affaire des 751 millions d'euros ou dans celle du “conduit Sémillon”. Un exemple en témoigne donc tout particulièrement, celui de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion" w:st="on">la Réunion</st1:personname>, qui a fait l'objet, en 2007, d'une inspection de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> bancaire.
Mediapart a obtenu un exemplaire du projet de rapport qui présente les conclusions de cette inspection. Il ne s'agit pas du rapport définitif ; ce document est donc à interpréter avec prudence puisqu'il ne prend pas en compte notamment les réponses de la direction de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion. Signé" w:st="on">la Réunion. Signé</st1:personname> par Jean-Luc Couëtoux, qui est chef de mission au secrétariat général de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> bancaire, le document est néanmoins éloquent, tant il relève des manquements nombreux aux exigences réglementaires.
Dans une première partie, qui constitue la présentation détaillée des conclusions de l'inspection (que l'on peut lire ou télécharger ci-dessous), le projet accumule ainsi les griefs. Au chapitre 3, consacré au « suivi du risque de crédit », le rapport relève qu'il « n'existe pas d'outil d'analyse de la rentabilité », ce qui pourrait « contrevenir aux dispositions de l'article 20 du CRBF 97-02 ». Traduction pour les profanes : le CRBF est le Comité de la réglementation bancaire et financière de la Banque de France, laquelle Banque de France présente sur son site Internet l'ensemble des règlements, classés par date, de ce CRBF.
« La "politique de risques" prévoit la mise à jour des dossiers au moins une fois par an. Or, celle-ci n'intervient que pour les professionnels ou pour les entreprises bénéficiant de concours à court terme, qui représente une faible part des encours », poursuit le rapport qui s'empresse d'ajouter : « Cette pratique pourrait contrevenir aux dispositions de l'article 24 du CRBF 91-07, qui prévoit une revue de la qualité des engagements, selon une périodicité minimale trimestrielle. »
Et page après page, tout est à l'avenant. « Au sein des créances douteuses », poursuit par exemple le projet, « celles de nature compromises ne sont pas identifiées. <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">La Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion" w:st="on">la Réunion</st1:personname> pourrait ainsi contrevenir aux dispositions de l'article 9 du CRC 2002-03. » Traduction pour les profanes : le CRC est le Comité de la réglementation comptable.
Plus loin encore, on lit ceci : « S'agissant des comptes ordinaires débiteurs, <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion" w:st="on">la Réunion</st1:personname> pourrait ne pas respecter les dispositions de l'article 3 bis du CRC 2002-03. En effet, alors que de nombreux soldes débiteurs ne sont assortis d'aucune autorisation, ils ne donnent pas lieu à un déclassement en créances douteuses au bout de 90 jours, ni donc à une constitution de provisions en cas de risque de crédit avéré. »
Mais il y a sans doute encore beaucoup plus grave. Au chapitre 4 de ce rapport, intitulé « Dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme », le document pointe, là aussi, de nombreux dysfonctionnements. Exemples : « Les contrôles effectués par l'Inspection (...) montrent que le taux de conformité des ouvertures de comptes est très faible. En effet, sur près de 150 dossiers examinés, seuls 35% d'entre eux sont complets, un grand nombre d'entre eux ne contenant que le carton de signature. Par ailleurs, les mandataires ou les cautions, autres que ceux titulaires d'un compte, ne sont soumis à aucune remise de justificatif d'identité ou de domicile. <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">La Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion" w:st="on">la Réunion</st1:personname> pourrait donc être en infraction aux dispositions de l'article L. 563-1 et L.563-4 du code monétaire et financier. Par ailleurs, s'agissant des contrôles en matière de listes de personnes impliquées dans le financement du terrorisme, ils ne sont effectués que lors de la création du compte, un rapprochement étant alors effectué entre son titulaire et les noms figurant sur les listes, ce qui pourrait contrevenir aux dispositions de l'article L. 564-1 du code monétaire et financier. »
Et ce n'est toujours pas fini. Encore plus loin, nouvelles trouvailles : « Le dispositif de surveillance des opérations (...) apparaît insuffisamment rigoureux. En effet, l'Inspection a identifié de nombreuses opérations dont le caractère a priori atypique aurait justifié un examen par l'agence domiciliataire du compte (...), ce qui n'a pas été le cas. Dans ces conditions, <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion" w:st="on">la Réunion</st1:personname> pourrait ne pas respecter ses obligations de vigilance, fixées par l'article 2 du CRBF 91-07. En ce qui concerne le contrôle des chèques, <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion" w:st="on">la Réunion</st1:personname> n'a pas procédé à la mise en place d'un programme de contrôle annuel communiqué au conseil d'administration. En outre, les procédures n'ont pas intégré dans les contrôles effectués les caractéristiques anormales ou inhabituelles de l'opération au regard du client, de son activité, et du profil de fonctionnement du compte. Dans ces conditions, <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> de <st1:personname productid="la Réunion" w:st="on">la Réunion</st1:personname> pourrait ne pas respecter les dispositions des articles 4, 7 et 11 du CRBF 2002-01. » Et, cerise sur le gâteau, on apprend encore ceci : « Les opérations réalisées par les clients ayant fait l'objet d'une déclaration à Tracfin ne font pas l'objet d'un suivi particulier. »
Et l'auteur conclut sa mission par une « Vue d'ensemble » (que l'on peut lire ou télécharger ci-dessous), qui commence par ce charmant euphémisme : « La vérification, de nature générale, laisse une impression mitigée. » C'est gentiment dit.
Mais Océor réserve bien d'autres surprises. Si l'on veut dresser le bilan de cette importante filiale des Caisses d'épargne, il faut aussi y faire apparaître les acquisitions, parfois coûteuses, qu'elle a réalisées au fil de ces dernières années. Dans notre précédente enquête, voilà un an et demi, nous avions déjà évoqué ce point dans un article intitulé « De coûteuses acquisitions » – article visé par l'une des plaintes contre nous. Nous y expliquions en particulier qu'en janvier 2008, <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> avait acquis 60% du capital de <st1:personname productid="la Banque Tuniso-koweitienne" w:st="on">la Banque Tuniso-koweitienne</st1:personname> (BTK), pour un prix jugé très au-dessus du marché par beaucoup d'experts, à savoir 300 millions de dinars tunisiens (168 millions d'euros).
Mais en vérité, ce constat-là, il n'y a pas que Mediapart qui l'a dressé. Il figure aussi noir sur blanc dans un document confidentiel... des Caisses d'épargne ! Daté du 17 septembre 2007, et écrit à destination du comité d'investissement de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname>, ce document (que l'on peut lire ou télécharger ci-dessous, en deux documents distincts) présente les enjeux de la négociation qui est dans sa phase active entre la banque française, et les vendeurs tunisiens et koweitis, et suggère très clairement que l'Ecureuil va finalement payer sa participation très au-dessus de sa vraie valeur : « Le prix de 120 millions d'euros peut être considéré comme le "prix économique" », lit-on ainsi.
Au demeurant, Océor n'a pas été la seule société à faire ces dernières années des emplettes à des prix au-dessus du marché ; il y a aussi eu sa maison mère, <st1:personname productid="la CNCE. Dans" w:st="on">la CNCE. Dans</st1:personname> notre même enquête, fin janvier 2008, nous évoquions en particulier l'acquisition par <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> de 50,14% du site Internet Meilleurtaux.com, spécialisé dans l'immobilier. Et nous précisions à l'époque que <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> avait accepté de faire son acquisition à un prix équivalent à 99,6 fois le montant du dernier bénéfice connu de la société, ce qui constituait un « price earning ratio» (la valeur de l'entreprise rapportée à son profit) totalement exorbitant, même dans le domaine des nouvelles technologies où les «PER » peuvent évoluer entre 30 et 50, contre 5 à 10 dans les secteurs économiques en croissance faible.
Or, le constat que faisait à l'époque Mediapart – et qui nous avait valu ces plaintes – a depuis été validé par de nombreux experts. Réalisé au printemps 2009 par le cabinet d'expertise Secafi, pour le compte du Comité de groupe des Banques populaires, un rapport officiel est très éloquent à ce sujet. A la page 29, dont on trouvera ci-dessous une reproduction, on peut lire, en titre : « Meilleurtaux : une acquisition réalisée à un prix extravagant ». Et, plus loin, l'étude ajoute : « A ce jour, l'acquisition de Meilleurtaux se présente comme un échec industriel et financier. »
En bref, Mediapart a eu, plus d'une année avant cette étude, un rôle d'alerte. Puisque nous arrivons au terme de cette longue enquête, qu'il nous soit permis de dire que c'était l'ambition de ces plongées dans la galaxie des Caisses d'épargne.
FIN DE L'ENQUETE