Elle s’est cassé la jambe. Un an de perdu. Puis elle a recommencé à marcher, tout doucement, depuis un an. Mais elle a du mal à accélérer le pas. Et, bientôt, on va lui enlever sa béquille… Cette vieille dame, c’est l’économie française. Après une chute brutale (– 3 % pour le PIB du printemps 2008 au printemps 2009), elle a recommencé à avancer à petite vitesse (+ 1,1 % en un an). Aujourd’hui, alors que nous sommes déjà dans la deuxième année de la reprise, elle va approcher une allure proche de 2 %. C’est appréciable, mais c’est moins rapide que lors des précédentes convalescences, en 1976 et 1995, alors même que la chute a été plus sévère. A ce rythme, le pays ne retrouvera pas sa production d’avant-crise avant la mi-2011. Et l’inévitable rigueur budgétaire, évoquée depuis longtemps déjà dans ces colonnes, va lui ôter la canne sur laquelle il s’appuyait.Cette activité languissante n’est pas très compliquée à comprendre. Tous les muscles sont affaiblis. A commencer par le plus puissant d’entre eux, la consommation, qui souffre de trois maux. D’abord, la fin du plan de relance. La prime à la casse, en voie d’effacement, avait dopé les ventes d’automobiles, qui se sont brutalement retournées (– 11 % au premier trimestre). Ensuite, un pouvoir d’achat rogné. Le retour de la hausse des prix, qui avait été nulle l’an dernier, érode les revenus. Enfin, la méfiance des Français, qui épargnent de plus en plus. L’emploi devrait certes s’améliorer cette année, avec 70.000 créations nettes de postes espérées par l’Insee, mais le chômage continue de monter. Et le gouvernement ne cesse d’annoncer de nouvelles mesures d’économies. Le budget 2011 s’annonce sévère. Sur le dossier des retraites, le président a rompu avec l’une de ses antiennes –« Je n’ai pas été élu pour augmenter les impôts. »Il serre la vis à ses ministres. Difficile de dépenser allègrement sans s’inquiéter.L’investissement des entreprises est lui aussi rouillé. Il devrait même reculer à nouveau cette année, alors que c’est l’accélérateur de la croissance. Certes, les géants du CAC 40 se sont désendettés et beaucoup de PME ont une trésorerie moins tendue, comme l’indique le fait que l’Urssaf engrange davantage de cotisations en temps et en heure. Mais, à vrai dire, elles ont beaucoup de raisons de continuer à limiter leurs efforts. La demande manque d’énergie et de certitude. Les firmes doivent toujours emprunter pour s’équiper – leur épargne couvre à peine les deux tiers des investissements. Et les machines sont loin de tourner à plein. Dans l’industrie, les capacités de production sont utilisées à 76 %, soit 10 % de moins que la moyenne de long terme.Reste le troisième muscle majeur, l’exportation. Les industriels ont ici deux atouts : des marchés en plein essor dans les pays émergents et l’affaiblissement de l’euro. Mais les émergents ralentissent et la France exporte aux deux tiers dans la zone euro. Et, surtout, les producteurs français n’ont pas encore rebâti une offre plus haut de gamme, plus compétitive. Si le commerce extérieur devrait tirer un peu la croissance en 2010, pour la première fois depuis près d’une décennie, il risque bien de la freiner à nouveau l’an prochain. Quant aux autres muscles que sont la dépense publique et la reconstitution des stocks, ils auront trop travaillé cette année pour rester efficaces l’an prochain.La question essentielle, c’est donc de savoir comment la vieille dame passera l’hiver – et comment elle abordera l’an prochain. La troisième année de la convalescence n’est pas toujours la plus facile. En 1977-1978, la croissance avait dépassé 4 %. Mais, en 1995-1996, elle avait été inférieure à 1 %. Cette fois-ci, quelle est la capacité de rebond ? La France pourrait rattraper le terrain perdu, par une sorte de rappel d’élastique après avoir perdu beaucoup de terrain. Le manque à gagner sur les années 2008-2009 s’élève à 6 % du PIB, la bagatelle de 120 milliards d’euros. Elle pourrait donc courir plus vite dans les années à venir.Mais rien ne garantit ce rappel d’élastique. Certains dégâts sont difficilement réversibles. Le nombre de chômeurs de longue durée, inscrits à Pôle emploi depuis plus d’un an, a ainsi explosé de 400.000 de mai 2009 à mai 2010. Sortis depuis longtemps du marché du travail, ils auront du mal à retrouver un poste. A elle seule, l’industrie a détruit plus de 300.000 postes en trois ans (plus de 10 % de ses effectifs). C’est un formidable gâchis de capital humain. La crise a aussi englouti du capital physique. Les centaines d’usines qui ont fermé ne rouvriront pas. Certaines capacités sont perdues pour toujours : la production décline après avoir culminé en 1964 pour le charbon, en 1972 pour le logement, en 1974 pour l’acier, en 1999 pour l’agroalimentaire, en 2002 pour l’automobile. La production industrielle française dans son ensemble a peut-être battu son record éternel en février 2008, même si des secteurs devraient encore progresser comme la pharmacie, l’équipement électrique ou l’aéronautique.La France devra donc régénérer son tissu musculaire. Tout en drainant le poison de la dette qui reste un peu partout dans les entreprises, chez les particuliers et qui s’est concentré dans le secteur public. C’est parfaitement possible. Mais, dans ce pari, il y a une seule certitude : ça prendra du temps.