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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Qui a perdu l’Europe ?

Qui a perdu l’Europe ?

Dani Rodrik

CAMBRIDGE – La débâcle financière a été évitée en Europe – pour l’instant. Mais l’avenir de l’Union Européenne et le destin de la zone euro sont encore incertains. Si l’Europe ne trouve pas rapidement un moyen de réactiver l’économie du continent, elle sera condamnée à des années de morosité, chacun se reprochant mutuellement le « sabotage du projet européen. » 

Ayant été confrontée en 2009 à un déclin économique plus profond qu’aux Etats-Unis, l’économie de l’Europe s’apprête à vivre une reprise encore plus lente – si l’on peut dire. Selon le Fond Monétaire International, la croissance de la zone euro devrait être d’à peine 1% cette année et de 1,5% en 2011, alors que les chiffres sont estimés respectivement à 3,1% et 2,6%  pour les Etats-Unis. Le taux de croissance au Japon, pourtant en déclin depuis les années 90, devrait même connaître une croissance plus rapide que celle de l’Europe.

La croissance européenne est entravée par des problèmes dus à la dette et aux inquiétudes persistantes sur la solvabilité de la Grèce et d’autres membres de l’UE gravement endettés. Alors que le secteur privé se désengage et tente de rééquilibrer ses bilans, on assiste à un effondrement de la consommation et de la demande en investissement, entrainant la production dans leurs chutes. Les responsables européens n’ont jusqu’ici apporté aucune solution à l’énigme de la croissance autre que celle de resserrer la ceinture.

Il semble que le raisonnement appliqué est que la croissance a besoin de la confiance des marchés, laquelle exige une austérité budgétaire. Dans les termes d’Angela Merkel, « la croissance ne peut être obtenue au prix de lourds déficits publics. »

Mais tenter de redresser les déficits budgétaires alors que la demande intérieure s’est effondrée n’arrange rien et ne fait que compliquer le problème. La dette, qu’elle soit publique ou privée, semble moins supportable lorsque l’économie est en contraction, ce qui ne modifie en rien la confiance du marché.

En fait, cela met en branle un cercle vicieux. Plus les prévisions de croissance d’une économie sont mauvaises, plus large sera la correction budgétaire et le désengagement nécessaire pour convaincre les marchés d’une solvabilité sous-jacente.  Mais plus la correction budgétaire et le désengagement du secteur privé sont importants, plus les prévisions de croissance sont moroses. La meilleure manière de se débarrasser de la dette (en dehors du défaut) est d’en sortir.

L’Europe a donc besoin d’une stratégie de croissance à court terme pour compléter son plan de relance et ses projets de consolidation budgétaire. Le plus gros obstacle à la mise en place d’une telle stratégie est la plus importante économie de l’UE, et son leader putatif : l’Allemagne.

Mêmes si ses comptes budgétaires et extérieurs sont forts, l’Allemagne s’est refusée à stimuler fermement sa demande intérieure. Elle a pratiqué une politique d’expansion mais à un degré bien moindre que les Etats-Unis. Le déficit structurel de l’Allemagne a augmenté de 3,8% du PIB depuis 2007, alors que ce chiffre est de 6,1% pour les Etats-Unis.

La perversion de la situation vient du fait que l’Allemagne a un énorme surplus de compte courant. Estimé à 5,5% du PIB pour 2010, ce surplus n’est pas loin derrière les 6,2% de la Chine. L’Allemagne devrait donc remercier les pays déficitaires comme les Etats-Unis, ou l’Espagne et la Grèce en Europe, de contribuer à consolider ses industries et à limiter la hausse de son taux de chômage. En tant qu’économie riche supposée contribuer à la stabilité de l’économie globale, l’Allemagne non seulement ne joue pas le jeu, mais elle resquille sur les économies des autres pays.

Ce sont les partenaires de l’Allemagne dans la zone euro, surtout les pays très touchés comme la Grèce et l’Espagne, qui font les frais de cette attitude. Les déficits des comptes courants de ces pays sont pratiquement proportionnellement équivalents au surplus allemand. (La somme des comptes courants de la zone euro s’équilibre avec celle du reste du monde.)

Le remède habituellement appliqué pour les pays enferrés dans le type de crise qui frappe l’Espagne, la Grèce, le Portugal et l’Irlande est de combiner l’austérité budgétaire avec une dépréciation de la monnaie. Cette dernière donne un coup de fouet à la compétitivité économique, améliore la balance extérieure et limite les pertes de production et le chômage qui accompagnent les réductions budgétaires. Mais l’adhésion à la zone euro prive ces pays de cet outil puissant, et la dépréciation de l’euro n’a que des effets limités dans la mesure où la majeure partie des échanges commerciaux de ces pays (environ 50%) se fait avec l’Allemagne et d’autres membres de la zone euro.

D’autres outils sont aussi disponibles. Il y a les appels réguliers de certaines organisations internationales et de certains économistes à des « réformes structurelles », ce qui dans ce contexte facilite la capacité des entreprises à licencier leurs employés. Quels que soient les bénéfices à long terme de telles réformes, les bénéfices immédiats sont hypothétiques. Réduire le coût des licenciements n’encouragera pas vraiment la demande de travail lorsque personne ne veut embaucher.

La seule option pour la Grèce, l’Espagne et les autres de relancer la compétitivité avant d’envisager de lâcher la zone euro est de procéder à une baisse nette et franche des salaires et des prix pour les charges courantes et les services. C’est déjà difficile dans les circonstances les plus favorables. L’objectif d’inflation basse de la Banque Centrale Européenne (2%) rend la chose pratiquement impossible, puisque cela exigerait des réajustements à la baisse des prix et des salaires de l’ordre de 10% ou plus.

Le refus de l’Allemagne de stimuler sa demande intérieure et de réduire ses surplus extérieurs, autant que son insistance à ce que la BCE conserve des objectifs d’inflation conservateurs, sape réellement les projets de prospérité et d’unité européennes. Cela condamne de fait la Grèce, l’Espagne et les autres pays avec d’importants déficits publics et privés à de longues années de déclin économique et de chômage élevé. Il se pourrait bien que ces pays préfèrent faire défaut à leurs obligations externes plutôt que d’endurer cette situation.

Se poser en donneurs de leçons sur la prodigalité de certains gouvernements peut rassurer les responsables allemands. Et il est vrai que certains, comme le gouvernement grec, ont maintenu des déficits trop importants pendant les périodes d’embellie, compromettant ainsi leur avenir. Mais qu’en est-il de l’Espagne ou de l’Irlande, où les emprunteurs n’étaient pas le gouvernement mais le secteur privé ? Si certains ont trop emprunté, ne peut-on pas conclure que l’Allemagne a prêté en excès ?

Si l’Allemagne veut faire avaler la pilule amère de l’austérité budgétaire, elle devra à terme reconnaître le quid pro quo implicite. Elle doit s’engager à stimuler ses dépenses intérieures, à réduire ses surplus extérieurs et à accepter que la BCE rehausse l’objectif d’inflation. Plus vite l’Allemagne remplira sa part du contrat, mieux ce sera pour tout le monde.

Dani Rodrik, Professor of Political Economy at Harvard University’s John F. Kennedy School of Government, is the first recipient of the Social Science Research Council’s Albert O. Hirschman Prize. His latest book is One Economics, Many Recipes: Globalization, Institutions, and Economic Growth.

Copyright: Project Syndicate, 2010.
www.project-syndicate.org

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