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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

" Réconcilier la finance d'entreprise et la finance de marché "

" Réconcilier la finance d'entreprise et la finance de marché "

Le Prix du meilleur jeune chercheur en finance sera remis le 16 décembre à Thomas Mariotti, de l'Ecole d'économie de Toulouse

            Thomas Mariotti est directeur de recherche CNRS à l'université de Toulouse-I, au sein de l'Ecole d'économie de Toulouse. Docteur en économie, diplômé de l'Ecole normale supérieure et de l'Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique (Ensae), il a enseigné jusqu'en 2002 à <st1:personname productid="la London School" w:st="on">la London School</st1:personname> of Economics and Political Science. Nouveau lauréat du Prix du meilleur jeune chercheur en finance, décerné par l'Institut Europlace de finance, il a déjà reçu quatre prix ou distinctions, comme la médaille de bronze du CNRS, en 2007.



Comment avez-vous été attiré par la recherche en économie ?

En classe préparatoire au lycée Henri-IV, à Paris, les travaux de l'économiste John Hicks étaient au programme. J'ai été fasciné par le fait que l'on pouvait utiliser les mathématiques afin de modéliser les comportements humains, ceux des consommateurs ou des entreprises, et de rapprocher ces données. J'aimais aussi la philosophie et les mathématiques. Mais je me suis finalement tourné vers l'économie, car elle combinait les sciences sociales avec la rigueur mathématique.



Sur quoi portent vos recherches aujourd'hui ?

Elles se situent méthodologiquement dans la lignée des travaux de Jean-Jacques Laffont et de Jean Tirole, de l'Ecole d'économie de Toulouse, et visent à réconcilier la finance d'entreprise et la finance de marché, deux champs qui ont évolué de manière relativement indépendante depuis les années 1960.

J'éprouve beaucoup de reconnaissance pour le CNRS, qui m'a permis de mener ces recherches en toute liberté, depuis neuf ans, à l'université de Toulouse.



A quoi tient la différence entre ces deux aspects de la finance ?

La finance d'entreprise étudie les relations stratégiques et contractuelles entre différents types d'acteurs, en mettant l'accent sur ce qu'on appelle les " conflits d'agence " au sein des entreprises.

Par exemple, il n'est pas évident que les dirigeants d'une entreprise aient a priori les mêmes objectifs que les actionnaires - maximiser la valeur de l'entreprise -, et il est encore moins évident que ces derniers aient les moyens de contrôler le comportement des dirigeants - par exemple quand l'actionnariat est très dispersé.

Pour comprendre les interactions entre ces acteurs, on fait appel à des outils conceptuels (la théorie des jeux et la théorie des contrats) permettant de modéliser les " asymétries d'information " - le degré différent d'accès à l'information stratégique - au sein des entreprises, et d'en tirer des conséquences et des prédictions testables. Par exemple, comment inciter les managers à prendre les décisions voulues, lorsque celles-ci sont difficilement évaluables ? Ou comment inciter une entreprise à révéler aux investisseurs la valeur de ses actifs ou celle d'un nouveau projet ?



Et la finance de marché ?

Elle a délibérément mis de côté ces dimensions stratégiques et contractuelles pour se concentrer sur l'évaluation des titres financiers, en particulier des produits dérivés. Pour ce faire, elle fait appel à des techniques mathématiques relativement sophistiquées, comme le calcul stochastique.



L'" asymétrie d'information " est-elle une des causes de la crise des subprimes ?

Il s'agit d'un aspect parmi d'autres de cette crise, qui compte de nombreuses facettes. On a pu observer que le comportement de certains grands acteurs financiers n'était pas facile à contrôler. L'intérêt dans lequel ils agissent n'est pas toujours évident. Et il est délicat d'appréhender la raison pour laquelle des produits financiers un peu obscurs, comme les subprimes, ont pu trouver preneur...



La rémunération des traders a aussi été critiquée. Quelle est votre appréciation ?

Avec mes collègues Bruno Biais, Guillaume Plantin, Jean-Charles Rochet et Stéphane Villeneuve, nous avons développé des modèles dynamiques du comportement des dirigeants d'une entreprise, qui peuvent aussi s'appliquer aux traders ou encore à la gestion des risques industriels. Les managers peuvent soit prendre des décisions optimales pour l'entreprise, soit ne pas faire d'effort en ce sens, et en tirer des bénéfices privés contraires à ses intérêts.

Le problème est qu'il est en général très difficile de mesurer les efforts consentis par les managers et de distinguer la part de la chance de celle du talent.



Qu'en déduisez-vous ?

Il paraît optimal de baser ces rémunérations sur des indicateurs de la performance à long terme ou, pour le dire autrement, de la performance cumulée de l'entreprise : par exemple, des bonus ne doivent être consentis qu'en cas de bons résultats soutenus sur une période suffisamment longue. Et ils doivent être suspendus si la performance de l'entreprise se détériore.

Il ne suffit pas seulement d'étaler les versements ! Il faut aussi que les règles soient claires et que l'on ne revienne pas sur les modalités prévues dans les contrats. Cela suppose une véritable intervention publique.



Les modèles mathématiques sont aujourd'hui remis en cause dans cette crise. Qu'en pensez-vous ?

La finance des manuels repose sur des hypothèses assez héroïques ! Les marchés fonctionneraient parfaitement, il n'y aurait pas de frictions ni de coûts de transactions. Ces hypothèses de concurrence pure et parfaite fournissent un cadre de référence, en décrivant ce qui se passe quand tout va bien. Mon travail est d'examiner ce qui se passe lorsqu'on introduit un grain de sable dans cette belle mécanique : des coûts de transactions, une différence d'information entre les parties prenantes aux transactions, la collusion de différents acteurs...



Les modèles mathématiques restent donc indispensables, selon vous ?

En s'en privant, on perdrait la possibilité de savoir en quoi la situation réelle est différente de celle que prévoit l'économie classique. Mais il faut aussi intégrer d'autres données, comme les interactions stratégiques entre les agents économiques et financiers.

Le plus important, ce ne sont pas les calculs mathématiques mais les concepts sous-jacents. Enfin, nos travaux sont par essence limités. Ils permettent seulement aux décideurs d'interpréter la crise actuelle en confrontant les phénomènes de marchés à différents modèles.

Propos recueillis par Adrien de Tricornot

             L'Institut Europlace de finance

L'objectif de l'Institut Europlace de finance est de développer les synergies entre la recherche française en économie et finance et les professionnels de ce secteur. A l'occasion d'appels à candidatures réguliers, l'Institut participe au financement de travaux de recherche ciblés.

L'Institut attribue, chaque année depuis six ans, des prix de la recherche en finance, destinés à récompenser le meilleur chercheur de moins de 40 ans. Les lauréats précédents ont été Pascal Maenhout (Insead), Nizar Touzi (Polytechnique), Laurent Calvet (HEC) et Thierry Foucault (HEC).

Ce dernier se voit aussi décerner cette année le Prix du meilleur article de recherche en finance, pour deux de ses articles publiés en 2008, arrivés premiers ex-æquo après vote du jury. Ces travaux portent sur la concurrence entre places financières et, notamment, l'impact de l'émergence de nouvelles plates-formes électroniques.

L'Institut a aussi attribué le Prix de l'article de recherche d'actualité à Harald Hau (Insead) pour ses travaux sur le comportement des banques publiques et privées face à la crise et son analyse du rôle de la gouvernance.

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