C'est une réforme injuste, l'effort financier pèse pour l'essentiel sur les salariés modestes.
Le gouvernement vient de rendre public ses arbitrages pour la réforme des retraites.
La principale mesure est le recul de l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans: elle rapporte 20 Md€ en 2020, soit près de 50% du besoin de financement des régimes de retraite à cette date (45 Md€). D'autres mesures complémentaires sont envisagées: des recettes nouvelles (4.6 Md€, dont 0.6 Md€ sur les hauts revenus); des mesures spécifiques sur les fonctionnaires (4.9 Md€), avec notamment l'alignement progressif du taux de cotisation des fonctionnaires sur les salariés du privé; la prorogation de l'effort financier de l'Etat pour le bouclage du financement des retraites des fonctionnaires (15.6 Md€); et le basculement des surplus financiers de l'Unedic (1.4 Md€). La montée en puissance de ces mesures permet d'équilibrer les comptes à partir de 2018. Les déficits restants entre 2010 et 2018 seraient couverts par un décaissement progressif du capital du Fonds de réserve des retraites (35 Md€).
Que penser de cette réforme?
Elle a le mérite d'exister. Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a souligné dans son 8e rapport de janvier dernier l'urgence à agir, face à la dégradation financière spectaculairement rapide des régimes de retraite, générée par la crise économique. Le gouvernement a fait droit à cette urgence, c'est à saluer. La réforme est d'autant plus nécessaire que les marchés financiers exigent des pays européens des gages de rigueur budgétaire. Le spreadde taux sur les émissions de la dette publique française a d'ailleurs déjà commencé à augmenter.
Elle a le mérite d'exister, mais c'est à peu près tout. Pour le reste, elle doit être rejetée dans tous ses éléments.
La principale mesure de la réforme, le recul de l'âge légal, rapporte 20 Md€ en 2020. Qui paie ces 20 Md€? En pratique, ce sont les assurés qui auraient pu partir à la retraite à 60 ans, et qui devront patienter jusqu'à 62 ans. Etant donné la durée de cotisation (40.5 annuités aujourd'hui), ce sont donc des salariés qui ont commencé à travaillé juste après le bac, vers 19-20 ans, c'est-à-dire des Français qui n'ont pas poursuivi des études supérieures: les ouvriers, les employés, les travailleurs peu qualifiés. En bref, des travailleurs à bas salaires.
A l'inverse, les diplômés des universités et des grandes écoles commencent à travailler vers 22-23 ans. Ils terminent donc vers 63 ans. Ils ne sont pas concernés par la réforme. Ces diplômés ne sont pas concernés non plus par la réforme de l'âge de liquidation à taux plein, qui recule de 65 à 67 ans.
Qui est touché par ce recul de l'âge de liquidation à taux plein? Ce sont les salariés qui ont eu des carrières «à trou», et qui de ce fait n'arrivent pas à atteindre le nombre d'annuités nécessaires pour le taux plein. En pratique: les Français exclus du marché du travail, ceux qui ont connu d'importantes périodes de chômage, les travailleurs précaires, mais aussi les femmes qui ont du s'arrêter pour élever leurs enfants.
Au total, ce sont donc les salariés modestes et les exclus qui vont financer la réforme.
A l'inverse, la contribution des hauts revenus, annoncée au nom de l'équité par le gouvernement, demeure symbolique. 600 millions pour les Français aisés, 20 milliards pour les Français modestes: les chiffres parlent d'eux-mêmes.
Autre injustice, intergénérationnelle: les retraités (aisés) d'aujourd'hui ne sont pas mis à contribution (si ce n'est indirectement, de manière marginale). Tous les Français contribuent au bouclage financier du système, sauf eux. C'est un paradoxe, sachant que ce sont eux qui bénéficient le plus du système (ils ont peu cotisé et reçoivent beaucoup), que leur niveau de vie est désormais (légèrement) plus élevé que celui des actifs (106%), et qu'ils bénéficient encore d'une fiscalité privilégiée. Est-il juste qu'Antoine Zacharias, ancien PDG de Vinci et titulaire d'une retraite chapeau de 2.5 millions d'euros par an, acquitte une CSG au taux de 6.6%, inférieure à celle payée par un salarié au smic (7.5%)? Un alignement de la fiscalité des retraités aisés sur les actifs rapporterait ainsi plus de 5 Md€.
A l'inverse, les actifs de demain sont mis à contribution pour assurer le financement d'aujourd'hui, à travers le siphonage du Fonds de réserve des retraites: c'est 35 Md€, destinés aux générations futures, qui disparaissent.
Au total, le bilan social de la réforme apparaît particulièrement inéquitable.
Mesures nouvelles de la réforme (hors effort de l'Etat) - en Mds€
Mesures |
2020 |
Pourcentage |
Mesures pesant sur les salariés |
23.9 |
81% |
Recul de l’âge |
20.2 |
68% |
Mesures spécifiques fonction publiques |
4.9 |
17% |
Hausse des taxes sur les ménages |
0.4 |
1% |
Mesures « positives » |
-1.6 |
-5% |
Mesures pesant sur les hauts revenus |
0.6 |
2% |
Mesures pesant sur les retraités |
1 |
3% |
Mesures financées par les entreprises |
2.7 |
9% |
Transferts entre administrations |
1.4 |
5% |
Total des mesures nouvelles |
29.6 |
100% |
Source : calculs Terra Nova
L'essentiel de l'effort est donc assumé par les salariés (81%), et en majorité par les salariés modestes via le recul de l'âge légal (68%). Les fonctionnaires règlent aussi une part élevée de l'addition: 17% de mesures spécifiques, sans compter leur participation au prorata des autres mesures générales pesant sur les salariés. La contribution des hauts revenus est purement symbolique: 2% de l'effort total. Comme celle des retraités d'aujourd'hui (3%).
Le gouvernement prétend assurer le bouclage financier du système. Ce n'est pas vrai.
Il fait l'impasse au-delà de 2020. Le déficit des régimes de retraite continue de se creuser au-delà de 2020 alors que les mesures gouvernementales auront atteint leur plein effet à partir de 2018. Pire, l'effet financier du recul de l'âge légal va être à long terme atténué par l'augmentation de la pension moyenne induite par la réforme (le recul entraîne la validation de trimestres supplémentaires et l'amélioration du salaire de référence sur les 25 meilleures années pris en compte pour le calcul de la pension). Au total, selon le COR, le recul de deux ans de l'âge légal couvre 51% du besoin de financement du régime général en 2020, mais tombe à seulement 13% en 2050.
Le chiffrage pour 2020 est en partie artificiel. Le gouvernement table sur des surplus financiers de l'Unedic: cela n'est guère crédible, étant donné l'état déprimé du marché du travail. Il prétend également trouver 15.6 Md€ sous forme d'«effort financier de l'Etat» pour le régime des fonctionnaires. Il s'agit d'un pur affichage. Il n'y a là aucune mesure nouvelle, le gouvernement se contente d'acter la situation actuelle: le financement par les dépenses budgétaires de l'Etat du déficit implicite du régime de retraite des fonctionnaires. Au total, il y a donc pas moins de 17 Md€ qui apparaissent comme des financements «fantômes», soit près de 40% des mesures annoncées par le gouvernement!
Dernier élément: les (vraies) mesures prises constituent un jeu de bonneteau inefficace pour les finances publiques. Seuls 30% des actifs sont encore en emploi lorsqu'ils liquident leur retraite. Les 70% restants sont au chômage (ou l'équivalent). Cela signifie qu'en l'absence d'action volontariste pour améliorer le marché de l'emploi, notamment des séniors, le recul de l'âge légal va transformer des «jeunes» retraités en «vieux» chômeurs. Et transférer le mistigri des déficits des caisses de retraite vers l'assurance chômage, sans améliorer la situation globale des finances publiques.
Le gouvernement s'est focalisé exclusivement sur le bouclage financier et la réforme «paramétrique». Il a fait l'impasse sur tous les autres enjeux, «systémiques», qui sont pourtant majeurs:
Une réforme progressiste était possible, plus juste, plus efficace, plus globale. Les syndicats, la CFDT notamment, le Parti socialiste, Terra Nova en ont présenté des grands axes convergents: un financement à court terme par des recettes nouvelles, assises pour l'essentiel sur les revenus du capital; l'augmentation à terme de la durée de cotisation (équitable, contrairement au recul de l'âge légal, car il s'applique à l'identique à tous, de l'apprenti au diplômé d'HEC), avec comme condition préalable une politique volontariste d'amélioration du marché de l'emploi; la lutte contre les inégalités entre retraités; et l'avènement de la retraite à la carte –le cœur d'une véritable réforme de société.
La réforme du gouvernement a vocation à s'appliquer de manière progressive. Un «gel» en 2012, avant qu'elle n'ait pu déployer ses effets, permettrait de renégocier la réforme avec les partenaires sociaux.
Par Olivier Ferrand
· Olivier Ferrand est président de la fondation Terra Nova et membre du Parti socialiste.
Retrouvez l’analyse détaillée des mesures gouvernementales ainsi que les contre-propositions de Terra Nova sur www.tnova.fr