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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Retraites : l'autre bouclier fiscal

Retraites : l'autre bouclier fiscal

 

En cette rentrée se mêlent deux enjeux fondamentaux pour la France : l'avenir des retraites et l'assainissement des finances publiques du pays. Dans les deux cas, on appelle les Français à faire des efforts.

On nous explique, d'un côté, que la France vit au-dessus de ses moyens, ce qui impose de réduire la dépense publique, le nombre d'enseignants ou de policiers. D'un autre côté, on nous dit que ce ne serait pas parce que les salariés ont cotisé au côté des entreprises pour financer le système de retraite par répartition qu'ils doivent imaginer avoir acquis un véritable droit à la retraite : l'impératif démographique commanderait de travailler plus longtemps et de voir les pensions réduites.

Dans un tel contexte, l'opposition et le monde syndical ne cessent de dénoncer la réforme Fillon-Woerth comme injuste. Des millions de personnes ont déjà manifesté contre le projet gouvernemental. Même l'UMP Dominique de Villepin a affirmé que, " en matière de retraite, le devoir du président de la République, c'est de faire une réforme juste ". De fait, le caractère " juste " de la réforme est le leitmotiv du gouvernement. Le slogan " Réussissons une réforme juste " s'affiche en tête du site gouvernemental www.retraites2010.fr. Dans une tribune publiée en juin par le quotidien Les Echos, le leader du groupe UMP à l'Assemblée nationale, Jean-François Copé, en donnait une définition précise : " Juste, car il est tout à fait normal que chacun participe à l'effort. " Mais, dans ce cas, comment comprendre le maintien d'un bouclier " fiscal-retraite " exorbitant pour une toute petite minorité de Français ?

De quoi s'agit-il ? Revenons quelques années en arrière, fin 2005, deux ans après le vote de la réforme Fillon qui avait déjà lourdement entamé les droits à pension de la très grande majorité des salariés. Le premier ministre d'alors, Dominique de Villepin, et son ministre du budget, Jean-François Copé, font voter dans la loi de finances rectificative, juste avant Noël, un beau cadeau fiscal pour d'importants entrepreneurs individuels et dirigeants d'entreprises partant à la retraite. Les indépendants et les patrons de sociétés bénéficiaient déjà d'exonérations plafonnées lorsqu'ils vendaient leurs biens professionnels. La logique de ces dispositifs est de fluidifier les transmissions d'entreprises, mais aussi de soutenir le niveau de vie des petits artisans et commerçants retraités, dont la vente du bien professionnel constitue une ressource essentielle.

Mais, depuis le 1er janvier 2006, l'exonération n'est plus limitée à ces petits retraités. Elle est offerte lors du départ à la retraite, quelle que soit la valeur de la PME. Précisément, les plus-values réalisées lors de la cession d'une PME pour cause de départ à la retraite d'un exploitant sont exonérées s'il y a exercé au moins cinq ans ; il en est de même pour le dirigeant qui possède des actions ou des parts d'une PME soumise à l'impôt sur les sociétés.

Alors qu'un salarié retraité qui a cotisé toute sa vie à un plan d'épargne-retraite devra s'acquitter d'un impôt sur les revenus, alors que la dernière loi de finance, au nom de la justice fiscale, a supprimé l'exonération partielle des indemnités de départ volontaire à la retraite des salariés, les dirigeants ou les exploitants de PME se voient dégagés de tout impôt sur la cession des biens professionnels sur lesquels ils ont capitalisé.

La mesure est passée d'autant plus facilement que le gouvernement Villepin prétendait que cela ne coûterait " que " quelques dizaines de millions d'euros. In fine, le poids de ce " bouclier retraite " est largement supérieur. Selon les annexes de la loi de finance 2010, il a atteint 560 millions d'euros pour la seule année 2008, soit le même ordre de grandeur que le si emblématique bouclier fiscal. Cette somme permettrait par exemple de maintenir à 60 ans l'âge légal du droit à pension des ouvrières.

Combien de contribuables en bénéficient ? Toujours selon les mêmes volumineux documents, le nombre de gagnants n'est que de 5 500... soit trois fois moins que pour le bouclier fiscal. Cela signifie que ce cadeau fiscal représente en moyenne, pour chacun d'eux, de l'ordre de dix années de retraite d'un smicard ; pour certains heureux contribuables, il doit même se compter en siècles. Étrangement, la commission des finances de l'Assemblée nationale, présidée par un député de l'opposition, est muette sur ces avantageux dispositifs.

Cet exemple illustre bien le chemin à parcourir pour qu'une transparence totale sur l'ensemble de la tentaculaire architecture fiscale française devienne une réalité. Avant d'exiger des efforts du plus grand nombre, ou encore de réduire l'intervention de l'Etat, la sincérité du débat démocratique l'exige.

 

Philippe Askenazy

directeur de recherche au CNRS,Ecole d'économie de Paris.

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