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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Save the Dream, une caravane au secours du rêve américain

Aux états-Unis, une association se bat pour aider les ménages surendettés
Save the Dream, une caravane au secours du rêve américain  

Dans un pays traumatisé par la crise du «subprime», où 1 million de saisies sont intervenues ces trois derniers mois, l’opération Save the Dream rencontre un succès croissant. Organisée par une association indépendante, elle sillonne les Etats-Unis afin d’aider les propriétaires pris à la gorge à renégocier leurs prêts immobiliers. Reportage à San Francisco, ville-étape jusqu’à ce soir.

La nuit tombe sur le Cow  Palace, l’arène de concerts qui héberge depuis vendredi l’événement Save the Dream dans la région de San Francisco, et Vini Cornejo attend patiemment son tour pour s’adresser à Erick Exum, l’organisateur national de Naca (Neighborhood Assistance Corporation of America).« Merci Erick, ils m’ont tout accordé ! »s’exclame-t-il enfin avec le sourire, sa casquette vissée sur le crâne. Le résident californien de Victorville et sa famille avaient jusqu’au 15 novembre pour évacuer leur maison, saisie par les banques.« Notre taux variable avait grimpé jusqu’à 8 %, or la valeur de notre propriété a baissé de 35 % depuis notre achat il y a six ans,explique-t-il.Nous avons obtenu une restructuration de notre prêt qui nous permet de garder la maison. »Le parcours du combattant entamé avant l’aube, aux côtés de plusieurs milliers de propriétaires en difficulté de paiement, a porté ses fruits. Car Vini Cornejo est loin d’être un cas isolé.« Au moins 20 % des personnes qui viennent à ces événements obtiennent une solution le jour même et 80 % des dossiers trouvent une conclusion satisfaisante dans les trente jours qui suivent », affirme Erick Exum.Naca, une association à but non lucratif qui promeut l’accès à la propriété et combat les pratiques abusives des émetteurs d’emprunts immobiliers depuis 1987, parcourt le pays depuis juillet 2008, soutenue et accompagnée par une quinzaine d’établissements financiers, et non des moindres : des grands noms de la finance comme Bank of America, Wells Fargo, JPMorgan Chase et Citigroup ont accepté de participer à cette « caravane » itinérante. Depuis ses débuts à Washington, la campagne Save the Dream s’est arrêtée dans dix villes afin de venir en aide aux propriétaires en passe de perdre leur  domicile. Le bouche-à-oreille aidant, chaque escale attire davantage de monde que la précédente. Naca a ainsi reçu 50.000 personnes à Los Angeles fin septembre. Environ 60.000 se sont déplacées ces cinq derniers jours à San Francisco.

Nuits d’attente à la belle étoile

« Je ne connaissais pas Naca lorsqu’ils sont venus dans ma ville, puis trois amis qui ont réussi à sauver leurs maisons à Las Vegas m’en ont parlé », indique Celerino Urrutia, arrivé mercredi après-midi devant le Cow Palace, en provenance  d’Atlanta. Après deux nuits passées à la belle étoile, le routier a été le premier à pénétrer dans l’arène vendredi matin avec ses documents en main : preuve de revenus, relevé d’emprunt, assurance propriétaire et taxe foncière. Le voyage en valait la peine : le taux d’intérêt de son emprunt a été réduit de 5,6 % à 3,45 % pour la durée du prêt, et ses remboursements mensuels ont été abaissés de 1.489 dollars à 924 dollars.« La situation des emprunteurs dans ce pays est catastrophique : 1 million de  saisies – un niveau record – ont été répertoriées ces trois derniers mois,affirme Bruce Marks, le fondateur et président de Naca.Nous tenons à démontrer que tous ces gens sont désespérément à la recherche d’une solution. Ils ne fuient absolument pas leurs responsabilités, mais ils ont  affaire à des entités[les établissements prêteurs, NDLR]dont ils ne peuvent rien attendre. Une manifestation comme Save the Dream vise aussi à leur faire connaître l’existence de nos services gratuits. »Aux yeux du responsable de Naca,« l’administration Obama se désintéresse des petits propriétaires ». Les plaidoiries présidentielles destinées à convaincre les banques de restructurer les prêts problématiques rencontrent en effet peu d’écho, car elles ignorent un élément clef : les émetteurs de prêts sont dans l’incapacité d’engager le dialogue avec chacun de leurs clients en difficulté, pour trouver une solution adaptée au problème.« Leur modèle économique traditionnel n’est pas conçu pour cela,poursuit Bruce Marks.Les banques n’ont pas les ressources nécessaires qui leur permettraient  d’offrir le service client qui s’impose. Or, en moyenne, chaque saisie se traduit pour elles par une perte de 62 % du montant du prêt. Nous faisons le travail pour eux, et tout le monde en bénéficie. »

«Attention aux prédateurs financiers»

L’approche de Naca est simple : après évaluation des revenus et des besoins du ménage, un conseiller financier formé par l’association détermine le montant raisonnable du remboursement mensuel. Il élabore en conséquence une  suggestion de restructuration du prêt, passant souvent par une baisse du taux d’intérêt, et parfois même du montant principal. Dans l’attirail des solutions  mises en œuvre par les conseillers, les réductions de taux de 2 %, 3 %, voire 4 %, et la transformation d’un taux variable en taux fixe pour la durée du prêt sont monnaie courante. Tous les documents du dossier sont transmis au prêteur via Internet. En dehors des manifestations  organisées de ville en ville, ces services – gratuits – sont proposés sur le site Internet de Naca, et par téléphone.Dans l’enceinte du Cow Palace, le propriétaire s’asseoit face à son conseiller (souvent vêtu d’un tee-shirt jaune, orné d’une silhouette de requin assortie du slogan « Attention aux prédateurs financiers »), puis il part rencontrer un représentant de sa banque, chargé d’évaluer la solution élaborée par Naca. La visite ne se conclut pas toujours pas un « happy end », loin s’en faut.« Quand ma banque, Chase, m’a dit que mon prêt avait été émis en réalité par Fannie Mae, qu’elle devait négocier avec eux et que je n’aurai pas une réponse avant trente jours, j’ai éclaté en sanglots,témoigne Sherree Lewis-Devaughn, professeur de mathématiques dans un collège de Los Angeles et mère célibataire criblée de dettes accumulées par le biais de ses  cartes de crédit.J’ai accepté, en attendant, une prorogation du prêt, qui réduit mes remboursements mensuels de 700 dollars pendant trois mois, et j’ai au moins les coordonnées d’un interlocuteur au sein de ma banque qui suit mon dossier. »De son côté, Eli Fishman, un serrurier de Los Angeles, ne cache pas sa colère.« Le représentant de mon prêteur n’a même pas regardé les recommandations du conseiller de Naca. Tout ça n’est qu’une mise en scène orchestrée par le gouvernement Obama pour se donner une bonne image », enrage-t-il. Ni lui ni ses quatre compagnons de voyage n’ont obtenu  satisfaction. Tous devront attendre un mois pour recevoir le verdict des « investisseurs privés » auxquels leur banque a vendu leurs prêts. Ils prennent à parti Bruce Marks, le président de Naca, venu visiter la salle des banquiers pour s’assurer du bon déroulement des opérations.

«Terrorisme non violent»

« Les banques qui acceptent d’être ici assument, par le contrat qu’elles ont signé avec nous, la responsabilité légale de vous donner une réponse dans les quinze à trente jours »,leur assure-t-il. Puis, face à leurs reproches et leur frustration, le fondateur de Naca perd soudain patience :« Etes-vous prêts à venir avec moi rendre visite au PDG de Chase et à vous faire passer les menottes ? Parce que si nous ne sommes pas capables de nous serrer les coudes face aux prêteurs, nous ne l’emporterons jamais », leur lance-t-il avant de tourner les talons.Bruce Marks est dévoué corps et âme à sa cause. Il évoque avec fierté sa méthode du « terrorisme non violent ». En février dernier, il a ainsi emmené 300 propriétaires mécontents faire un « tour des prédateurs ». Ils ont rendu une visite dominicale au patron de Morgan Stanley, John Mack, dans son quartier huppé de Westchester County, près de New York.« Au bout de vingt minutes, il m’appelait sur mon mobile pour discuter », raconte-t-il. Au cours de ce « raid », ils ont également jeté du mobilier sur les pelouses de William Frey, de Greenwich Financial Services, un courtier spécialisé dans les titres garantis par des obligations de prêts,« pour lui montrer à quoi ressemble un quartier où des maisons sont saisies par sa faute ».

Visées pédagogiques

« Le militantisme permet d’attirer leur attention,ajoute Bruce Marks, titulaire d’un MBA et ancien employé de <st1:personname productid="la Banque" w:st="on">la Banque</st1:personname> fédérale, mais, pour avancer véritablement vers une résolution concrète du problème, l’idéal est d’apporter une solution clefs en main ». Ce qui est précisément le but d’une manifestation comme Save the Dream.Naca ne néglige pas non plus un autre aspect de la solution : faire réfléchir les individus sur leur responsabilité financière. Avant de rencontrer leur conseiller, les participants sont accueillis par une séance d’orientation.« En fait, c’est une session éducative au cours de laquelle on nous invite à examiner et à modifier nos habitudes de consommation,indique  André Spicer, l’intendant d’un collège de Los Angeles venu vendredi au Cow  Palace.Je me suis engagé à ne plus jamais utiliser une carte de crédit en guise de complément de revenus, à réduire ma consommation d’électricité et à vivre plus frugalement. Je ne veux plus vivre dans l’angoisse de perdre ma maison un jour. »

LAETITIA MAILHES
NOTRE CORRESPONDANTEÀ SAN FRANCISCO.

A San Francisco, quelque 60.000 personnes en cinq jours se sont déplacées pour venir rencontrer les conseillers de l’association Naca, installés dans la salle de concerts du Cow Palace.Karsten Lemm

Les Echos

Date : 20/10/2009

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