La crise a rendu le conglomérat allemand méfiant. Des projets semblables sont à l'étude en Europe
Siemens a tiré les leçons de la crise : le conglomérat allemand veut sa propre banque. Joe Kaeser, le directeur du pôle financier, a annoncé, lundi 28 juin, avoir déposé une demande de licence auprès de la BaFin, l'autorité allemande de régulation des services financiers, pour doter Siemens d'un établissement bancaire autonome.
Avec l'obtention de cette licence, le groupe espère pouvoir placer son énorme stock de liquidités directement auprès de la Bundesbank (la banque centrale allemande), ou de la Banque centrale européenne (BCE). Il sécuriserait ainsi son bilan des aléas des établissements de crédit." Nous disposons de plus de 9 milliards d'euros de liquidités, pour lesquelles nous avons besoin de placements sûrs ", a expliqué M. Kaeser au quotidien Süddeutsche Zeitung.
Pour le directeur financier, la crise financière a montré que les opérations risquées n'étaient pas sans conséquence pour les clients des banques. Dans la faillite de l'américaine Lehman Brothers, Siemens a perdu plus de 140 millions d'euros ! " Il y a trois ans, il ne me serait jamais venu à l'idée de m'inquiéter de la façon dont sont placées nos liquidités ou de nos assurances (...), explique M. Kaeser. Après l'expérience des deux dernières années, je constate un réel besoin d'agir. "
Via cet établissement autonome, Siemens veut aussi offrir à ses propres clients un panel plus large de services, à la façon des constructeurs automobiles allemands... Il s'agit d'une prolongation de son département Siemens Financial Services (11,7 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2009).
Pour Marc Langendorf, porte-parole de Siemens, il s'agit" de soutenir davantage les clients du groupe dans leurs projets d'investissements, en aucun cas de faire concurrence aux banques traditionnelles. Nous ne proposerons pas de comptes aux particuliers. " Dirk Schiereck, directeur du département finance d'entreprise à l'université de Darmstadt, estime de son côté que le projet de Siemens ne va pas dans le sens d'une reprise de la confiance envers la stabilité des banques allemandes." Siemens a une excellente connaissance du monde bancaire, rappelle-t-il. Que leur groupe veuille ouvrir son propre établissement bancaire est un indicateur de plus de la situation extrêmement précaire dans laquelle se trouvent actuellement certaines grandes banques allemandes. "
Cette défiance à l'égard des banques, et d'un système bancaire qui a montré ses faiblesses pendant la crise financière commencée à l'été 2007, n'est pas propre à l'Allemagne. D'autres projets de banques opérées par de grandes entreprises sont en gestation en Europe.
C'est le cas en France, où, en janvier, de grands noms de l'industrie, associés à de plus petites entreprises, de nationalités différentes (françaises, britanniques, irlandaises etc.), ont annoncé leur intention de créer leur propre banque. Echaudées par le rationnement du crédit qui a découlé la plus grave crise bancaire depuis 1929, ces sociétés souhaitent s'émanciper des financements bancaires.
Leur projet est relativement simple. Il consiste à créer une coopérative bancaire, gérée par et pour les entreprises qui en seront les copropriétaires. Celles-ci pourront, en échange de l'apport d'une quote-part de capital réglementaire à la banque, obtenir d'elles des crédits. La coopérative se financera sur les marchés.
" La crise nous conduit à réinventer nos modèles de financement de l'économie, d'autant que la crise des dettes publiques va compliquer le refinancement des dettes privées, explique l'assureur Sylvain de Forges, conseiller du projet. De tels projets exigent toutefois beaucoup de préparation, car le concept est innovant et doit être expliqué avec soin aux régulateurs et aux agences de notation. "
De fait, le projet baptisé CFA (Corporate Funding Association), qui réunit à ce jour dix-sept entreprises dont Veolia et British American Tobacco, devra obtenir les feux verts réglementaires. Les travaux avanceraient vite et les contacts seraient probants. Le lancement est espéré fin 2010.
Anne Michel et intérim (à Berlin)