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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Taxe carbone le Conseil constitutionnel refuse le gruyere fiscal

Taxe carbone: le Conseil constitutionnel refuse le gruyère fiscal

La méthode pour introduire la nouvelle taxe, mêlant passage en force et concessions corporatistes, a échoué.
 

Le Conseil d'Etat l'avait validée, le Conseil constitutionnel la retoque: la taxe carbone dans sa première mouture ne verra pas le jour au 1er janvier 2010. Trop inégalitaire, pas assez efficace!

En cause, les exonérations

Ce n'est pas le principe ni les objectifs de la mesure que le Conseil sanctionne, mais l'utilisation faite de cette taxe avant même son application. A cause des exemptions touchant 93% des émissions d'origine industrielle hors carburant, et les allègements dont bénéficient les agriculteurs, les routiers, les marins-pêcheurs..., «moins de la moitié des émissions de gaz à effet de serre aurait été soumise à la contribution carbone», argumentent les Sages pour justifier leur décision.

Toutes les réductions et autres taux spécifiques ne sont d'ailleurs pas du seul fait du gouvernement. Le Parlement, travaillé dans les coulisses par les lobbies professionnels, a aussi introduit des exonérations, transformant cette taxe en un gruyère fiscal vidé de sa substance. En obligeant le gouvernement à présenter une deuxième mouture, attendue le 20 janvier, le Conseil constitutionnel préside par Jean-Louis Debré l'oblige en quelque sorte à revenir à l'origine de la disposition. Mais il complique singulièrement la tâche à Nicolas Sarkozy.

Revers politique

D'abord, sur un plan politique, c'est un revers que les socialistes - qui avaient saisi le Conseil - vont utiliser même si, cet été, ils n'étaient pas unanimes à s'opposer à la taxe carbone. La « contribution climat énergie » était une mesure phare du projet de budget 2010 devant permettre à Nicolas Sarkozy de se positionner en chef de file du combat contre le réchauffement climatique. Mais la méthode pour introduire la nouvelle taxe, mêlant passage en force et concessions corporatistes, a échoué. Pour l'opposition, c'est un échec du pouvoir.

Plus dure sera la réécriture de la loi

Ensuite, après la conférence de Copenhague qui n'aboutit à rien de concret dans la lutte contre le réchauffement climatique, il sera plus dur au gouvernement Fillon d'affirmer des choix volontaristes dans sa future loi. La Gauche critique le nouvel impôt, les Verts le jugent insuffisamment dissuasif. Jusque là, les rapports de force sont connus. Plus grave pour François Fillon, de nombreux députés de la majorité sont contre le principe de la taxe carbone; forts de l'échec de Copenhague, ils vont accentuer leur pression au prétexte que, à la veille d'échéances électorales, il serait suicidaire d'aller contre le désir des électeurs si, en plus, le désengagement d'autres pays manifesté à Copenhague doit rendre la mesure moins efficace. Or, un sondage TNS-Sofres/Logica de septembre avait révélé que deux Français sur trois sont opposés à cette nouvelle taxe. Il sera compliqué pour le gouvernement de présenter dans ces conditions une nouvelle mouture volontariste, d'autant que le calendrier le dessert : elle pourrait arriver sur le bureau de l'Assemblée juste au moment des élections régionales.

Un signal négatif envoyé à l'Europe

Enfin, la taxe carbone française qui pouvait nuire à la compétitivité de la France, devait prendre tout son sens après son extension au niveau européen. L'idée soutenue par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel, mais aussi d'autres responsables de gouvernements en Suède ou en Belgique, faisait son chemin. Elle aurait été associée à une taxe sur les produits importés de pays qui pratiquent une sorte de concurrence déloyale aux produits européens en n'intégrant pas le coût environnemental de leurs productions, afin que l'Union européenne puisse corriger la perte de compétitivité induite par la taxe carbone.

Le dossier est toutefois loin d'être réglé. D'autres gouvernements de l'Union s'opposent à des mesures assimilées à un retour du dirigisme d'Etat, et le principe même d'une taxe carbone à l'échelle européenne devra être débattu dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) - a priori hostile, mais pas opposée à des dispositions contre le réchauffement climatique. Mais il est bien évident que, avec cette censure de la taxe carbone, la France se tire une balle dans le pied pour aller prêcher ses vertus dans les autres capitales européennes. Dans ces conditions, quel sort pourrait être réservé à la deuxième mouture de la taxe?

Un niveau pourtant peu élevé

La première mouture était déjà fort édulcorée, avec un montant de la taxe correspondant à 17 euros la tonne de CO2: «Ce niveau n'est pas assez élevé pour être dissuasif, la taxe va être noyée dans la masse», avait clairement commenté Michel Rocard, invité à s'exprimer cet automne sur les enjeux de la taxation carbone devant les étudiants de l'université Paris-Dauphine. Lui-même, dans le cadre de la commission de consensus qu'il avait présidé, avait fixé à 32 euros le montant de cette taxe par tonne de CO2, pas très loin des 30 euros retenus par la mission Quinet du Centre d'analyse stratégique sollicité par Matignon sur la question.

Mais l'ancien Premier ministre avait malgré tout salué la mise en place de cette «contribution climat énergie» encore plus importante selon lui que la TVA introduite en 1963, et dont les recettes doivent être affectées à la lutte contre l'effet de serre. «Il faudra toutefois revoir les modes de calculs des taux d'actualisation», pour se rapprocher, avec le temps, de niveaux plus compatibles avec l'objectif recherché, avait-il commenté. Avec à horizon 2030 un montant de cette taxe correspondant à 100 euros la tonne de CO2... voire 200 euros en 2050, selon un scénario de la Caisse de Dépôts.

Les émissions de CO2 ne peuvent plus être gratuites

En tout état de cause, la position du Conseil constitutionnel ne vise pas à empêcher un durcissement de la fiscalité sur l'énergie, mais au contraire d'en pérenniser le principe. Car quel que soit l'objectif que l'on se donne pour limiter le réchauffement climatique, la fin de la gratuité des émissions de gaz à effet de serre est incontournable. Au ministère des Finances à Paris, à la Direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE), on estime que «l'objectif de limitation du réchauffement moyen à 2°C maximum sera difficilement atteint et que l'humanité aura de toute façon à faire face à des conséquences qu'elle peut seulement tenter d'atténuer». Ce n'est pas parce que cet objectif réaffirmé à Copenhague a fort peu de chance d'être atteint en l'absence de toute mesure contraignante, que tous les efforts doivent être remis en question.

Jusqu'à présent, dans tous les pays européens, des taxes sur l'énergie instaurées. La part des recettes fiscales environnementales dans le PIB (Produit intérieur brut) de l'Union est de l'ordre de 2,9%. Pas de quoi fouetter un chat! Le Danemark arrive en tête avec 4,8% devant les Pays-Bas (3,9%) et la Finlande (3,3%) alors que les plus grands pays ont de moins bons scores: 2,6% pour la Grande Bretagne, 2,5% pour l'Allemagne. Il existe une marge de manoeuvre.

Quelle adéquation pour la fiscalité environnementale?

 

La France n'y consacre que 2,1% de son PIB. Elle est pourtant l'un des bons élèves de l'Europe au regard des objectifs de Kyoto grâce aux effets cumulés du nucléaire et de l'hydraulique. Côté fiscalité environnementale, elle a commencé en 1964 avec les systèmes de redevances des agences de l'eau (9 milliards d'euros). Elle instaura ensuite la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers: 25 milliards d'euros), puis la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP : 0,5 milliard d'euros) et les quotas d'émission de CO2. Si on inclut cette TIPP dans la fiscalité environnementale, celle-ci représente alors 3% du PIB.

La taxe carbone devait compléter le dispositif, suivant les conclusions du rapport Stern de 2006. Il souligne que les dommages causés par le réchauffement de la planète seraient 5 à 20 fois supérieurs aux sacrifices que les systèmes économiques devraient supporter pour lutter efficacement contre l'effet de serre. Et qu'une baisse de 25% des émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à aujourd'hui ne devrait entraîner qu'un surcoût de 1% du PIB mondial à cette échéance. C'est bien l'objet du débat. La question posée étant celle de la fiscalité à mettre en place pour obtenir cette baisse.

Gilles Bridier

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