Ce n’est pas une pauvreté qu’on voit beaucoup à Manhattan. Mais on la devine dans les bâtiments décomposés et néanmoins habités qui sont disséminés autour de la voie ferrée près de Baltimore, à une heure de Washington, ou dans les zones rurales, souvent les plus affectées. A travers le pays, les quartiers aux maisons en ruine et aux pelouses disparues sont de plus en plus nombreux. Ils ont tous les mêmes caractéristiques : il n’y a jamais de magasins d’alimentation à proximité et encore moins de transports en commun. Dans ces voisinages socialement et économiquement dévastés de l’Arizona au Mississippi en passant par le Nouveau Mexique mais aussi le Michigan, on voit presque toujours des cadavres de voitures, une ou deux personnes assises dans un coin ou sous une véranda, seules et désœuvrées, parfois dans un état de santé qu’on devine difficile.
La récession a eu un impact terrible sur les plus démunis aux Etats-Unis. Selon les chiffres du Census Bureau publiés la semaine dernière, le taux de personnes vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 13,2 % en 2008 à 14,3 % cette année : 43,6 millions de personnes sont concernées, soit un Américain sur sept. Le seuil est de 21.756 dollars de revenus annuel pour une famille de quatre en 2009. C’est le taux le plus haut enregistré depuis 1994, mais les experts pensaient qu’il serait encore supérieur, plus près de 14,7 % ou 15 %.« Nous avons, en même temps, une crise de l’obésité et une famine dans ce pays », a constaté Tom Vilsack, le ministre de l’Agriculture qui s’exprimait devant le Caucus des parlementaires noirs américains (Black Caucus) mercredi dernier au Capitole. Il y a 17 millions d’enfants en état d’insécurité alimentaire. Le nombre d’Américains recevant des « food stamps » (coupons alimentaires) atteignait 41 millions de personnes en juillet 2010. Ils étaient seulement 26 millions en octobre 2006. Six millions d’entre eux n’ont que cela comme source de revenus, soit l’équivalent de 133 dollars par mois.« Nous sommes en train d’élever une génération d’enfants dont l’espérance de vie risque d’être plus courte que celle de leurs parents », a témoigné à son tour Kathleen Sebelius, ministre de la Santé. L’obésité et la résurgence de maladies chroniques comme le diabète en sont la cause. Malheureusement, ils sont maintenant 50,7 millions d’Américains (16,7 %) à ne plus bénéficier d’une assurance-santé, le plus souvent parce qu’ils ont perdu leur emploi. L’extension par le Congrès, in extremis, des droits pour les chômeurs de longue durée à permis de temporiser encore un peu. Il y a 15 millions de chômeurs officiellement recensés aux Etats-Unis, mais si on y ajoute ceux qui n’ont qu’un temps partiel ou ceux qui ont cessé de chercher, le nombre dépasse les 25 millions.
Tout le monde a été touché. Entre 2001 et 2009, les revenus de la classe moyenne ont reculé de 5 % pour s’établir à 49.777 dollars pour une famille de quatre.« Une décennie perdue », a titré le « Wall Street Journal », tandis que Barack Obama, en fin de semaine, exigeait des républicains qu’ils acceptent de voter un maintien des exemptions fiscales pour les seules familles gagnant moins de 250.000 dollars par an (sans inclure les plus riches).« Ils en ont besoin. Ils ont besoin de nous », a répété le président vendredi, qui a fait du rétablissement économique et de la défense des classes moyennes les leitmotive de la campagne des élections de mi-mandat, en novembre prochain.« La pauvreté est une question morale », a lancé mercredi dernier Nancy Pelosi, la « speaker » de la Chambre des représentants, devant le Black Caucus.« Elle est devenue l’une des questions de droits civiques les plus importantes aujourd’hui. »
La récession a eu un impact terrible sur les plus démunis aux Etats-Unis.Robin Nelson/ZUMA/REA