MADRID – « À maintes reprises dans l’histoire de notre Nation, les Américains se sont levés pour aller à la rencontre – et donner forme – à des moments de transition. Cela semble une fois encore être le cas. » C’est en ces termes que débute la Stratégiede sécurité nationale des Etats-Unis d’Amérique présentée le 27 mai dernier devant le Congrès. Comme pour les politiques adoptées par l’administration Obama depuis 16 mois – dialogue, engagement international, non-prolifération nucléaire et désarmement – la force de ce document tient à l’angle qu’il propose. La Stratégie de Sécurité s’écarte de celle de son prédécesseur et offre une conception élargie de ce que représente la sécurité nationale pour le président Barack Obama
Devant les défis majeurs de notre époque, Obama se positionne avec une doctrine étendue. En effet, la Stratégie de Sécurité est presque une Stratégie « Nationale ». Sa pensée va au-delà du paradigme dominant, unilatéral de son prédécesseur pour intégrer une défense de la loi internationale. C’est d’autant plus remarquable qu’aucun des grands traités pour la création d’une cour pénale internationale et d’un tribunal permanent pour les crimes de guerre n’ont été signé par les Etats-Unis au cours de la présidence de George W. Bush.
L’approche sécuritaire d’Obama est aussi plus large avec la proposition des « trois D » - Défense, Diplomatie et Développement – formant un tout indivisible. La dimension militaire des interventions à l’étranger perd son rôle privilégié au profit de la prévention des conflits et des missions de paix et de stabilisation.
Dans la bataille contre le terrorisme, la Stratégie abandonne l’angle principalement militaire implicite à la guerre contre la terreur pour accorder un rôle plus significatif aux services de renseignement. Pour la première fois, une référence précise est faite aux personnes présentant une réelle menace à la sécurité américaine. L’Amérique ne mène pas une guerre contre le terrorisme ; elle est « en guerre contre un réseau spécifique, Al Qaeda et ses affiliés ». Dans cette guerre, les ressources d’informations sont particulièrement nécessaires.
Pour garantir la sécurité nationale, la Stratégie est catégorique – sans céder à la tentation de l’isolationnisme – en admettant la valeur stratégique de l’exemple et l’importance de commencer par faire ses propres devoirs. Obama s’éloigne clairement à la fois des interventions humanitaires et de celles tentant d’exporter la démocratie par la force.
Il n’y a pas de meilleure façon d’exporter les valeurs démocratiques que de renforcer l’Amérique en interne. C’est pourquoi la Stratégie comporte un large volet sur la politique économique visant à réduire la dette et le déficit américains. Le soutien à la compétitivité de l’éducation, l’innovation, les technologies, l’énergie et un système de santé efficace et accessible complètent et renforcent l’approche de gouvernance d’Obama en faisant un exemple de sa propre politique. Un exemple important a déjà été donné par la décision clarifier le flou international autour du centre de détention de Guantanamo ; l’une des ses premières initiatives de président.
Cette approche ne fait pas l’unanimité auprès des experts internationaux. Les deux principales critiques – manque de clarté stratégique et moins d’importance accordée aux concepts classiques de puissance – visent la perte d’influence, de pouvoir et de leadership des Etats-Unis. Mais ces critiques reflètent l’incapacité à contempler la nature actuelle des conflits armés, qui ne suit plus la logique classique de la victoire ou de la défaite militaire.
La guerre en Afghanistan et la complexité de la situation irakienne ont mis en lumière l’importance d’une approche élargie. L’action militaire ne peut pas être considérée comme la seule variable du succès. Une stratégie réussie devrait utiliser des moyens civils – un modèle incidemment encouragé par l’Union Européenne.
Nous devons donc forger une politique à long terme qui influe à la fois sur les états et sur les sociétés. Cette tâche exige de la patience et de la persévérance stratégique. Le changement ne surviendra pas d’un jour à l’autre, mais les résultats obtenus seront bien meilleurs et plus durables.
Obama conserve l’idée d’une mission historique des Etats-Unis : l’importante tâche de garantir la sécurité globale. Mais, contrairement à ses prédécesseurs à la Maison Blanche, la Stratégie de Sécurité Nationale d’Obama reconnaît les valeurs de partenariat, accorde plus d’importance à la dimension civile qu’au militaire, et insiste sur les valeurs de dialogue et le besoin de renforcer les institutions internationales. C’est un bon signe pour un monde aux centres de pouvoir et d’intérêts divers, dans le lequel les ressources et la légitimité demeurent liés à l’état-nation, mais dans lequel les défis (changement climatique, conflits armés, pandémies et crime transnational) sont globaux et qui nécessitent donc la coopération entre les états.
Nous sommes dans une période de transition : l’interconnexion internationale est croissante, comme l’a démontré la crise économique globale, mais les outils et les mécanismes de gestion pour garantir le bon fonctionnement des gouvernements ne sont toujours pas partagés. La nouvelle Stratégie de Sécurité Nationale d’Obama montre une volonté politique de soutenir un ordre international capable de s’attaquer à ces défis.
Le chemin n’est pas sans embuches, mais la Stratégie représente un pas décisif vers la résolution des défis du 21ème siècle et nous prépare au monde de demain.
Javier Solana, the European Union’s former High Representative for Foreign and Security Policy, and a former Secretary General of NATO, is President of the ESADE Center for Global Economy and Geopolitics.
Copyright: Project Syndicate, 2010.
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Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats