WARSAW – La zone euro est souvent considérée comme l’expérience d’une union monétaire sans unité politique. Ceux qui se prévalent de cette conception semblent avoir en tête un modèle d’Etat unique, ayant simultanément deux caractéristiques: une souveraineté fiscale limitée aux gouvernements régionaux et locaux, et un budget commun important, capable de subvenir aux besoins des régions touchées par des chocs asymétriques.
Ceux qui pensent que “l’unité politique” est indispensable à la zone euro, semblent se polariser sur la seconde caractéristique, en dépit du fait que la discipline budgétaire imposée aux gouvernements locaux soit clairement une donnée constitutive des Etats pris isolément. Dans ce sens, ils ne tiennent pas compte du fait que le Pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne est en principe une donnée importante de l’union politique, mais n’en tient pas lieu. Les difficultés budgétaires actuelles de la zone euro ne résultent pas de l’absence d’un important budget commun, mais des faiblesses de l’application du Pacte.
Plus largement, il a existé d’autres unions monétaires, non seulement entre Etats, mais entre groupes d’Etats souverains, et l’étalon or en a constitué l’un des grands exemples historiques. Ces unions monétaires ont montré deux choses, qu’elles exigeaient une discipline budgétaire de la part de chacun des membres – probante sous l’étalon or, avec sa règle non écrite quant à l’équilibre des budgets – et qu’elles n’offraient aucun recours à des fonds provenant d’un centre, parce qu’un tel centre n’existait pas. En revanche, ce qui leur permettait d’absorber les chocs asymétriques, c’était leur grande flexibilité, y compris sur les marchés du travail.
De toute évidence, le budget de l’Union européenne n’est pas près d’augmenter à échéance rapide, pour venir en aide à ceux des membres de la zone euro qui connaissent une baisse brutale de consommation. Il faudrait pour cela un renforcement de l’identité européenne, chose que les élites ne peuvent pas créer artificiellement. L’essentiel n’est pas tant qu’il soit impossible de réunir un important budget commun, mais que ce budget ne suffirait pas à régler le problème principal: la faiblesse des mécanismes de discipline au sein des Etats membres.
Au lieu de se fixer sur un mauvais modèle, celui d’un Etat unique, l’Union européenne et ses membres feraient mieux de se préoccuper des conditions requises au bon fonctionnement d’une union monétaire, sans budget commun pour neutraliser les chocs asymétriques.
Il faudrait avant tout renforcer les mécanismes destinés à prévenir les mesures procycliques et les grands chocs budgétaires. Cela demande de garantir l’intégrité et la transparence des pratiques comptables qui déterminent les déficits budgétaires et la dette publique, avec un contrôle plus étroit sur le développement des bulles d’actifs, responsables quand elles éclatent de profondes récessions, et par conséquent de l’augmentation brutale des déficits budgétaires.
De même, la politique monétaire de la Banque centrale européenne doit se tenir “vent debout” et se montrer plus attentive au développement des bulles. Comme la politique monétaire commune de la BCE ne peut répondre aux problèmes macro-économiques de tous les pays membres, il faut aux pays de la zone euro des régulations macro-prudentielles, visant à réduire la croissance excessive du crédit. Entre temps, le Pacte de stabilité et de croissance doit être appliqué à la lettre, ce qui implique de recourir aux sanctions dont on dispose, et de les renforcer.
Bien sûr, on ne peut substituer des initiatives prises à l’échelle de l’Union européenne et/ou de la zone euro, à des mécanismes plus solides de discipline entre Etats membres, dont la responsabilité, en fin de compte, incombe aux hommes politiques des différentes nations. Mais il est nécessaire de prendre des mesures à l’échelle de l’Union garantissant la discipline, pour lancer le développement de mécanismes de prévention entre les membres, et ces initiatives dépendent notamment des grands pays, qui portent par conséquent une responsabilité spéciale quant à l’évolution de la zone euro – et de l’Union européenne.
Ensuite, au-delà du renforcement des institutions économiques, il faut que les pays de l’UE hâtent des réformes structurelles, afin d’améliorer leurs perspectives de croissance à long terme et faciliter leur capacité d’absorption des chocs. Les premières permettront de sortir de la spirale de la dette publique, les secondes, de résorber le chômage.
Des nombreuses mesures nécessaires dans ce domaine, la plus importante consiste en un puissant effort pour finaliser le marché unique européen et se garder, à tous prix, du nationalisme économique. Il faut également remettre en ouvre le traité de Lisbonne, en mettant l’accent sur les réformes de marché, et l’UE doit envisager sérieusement de se raviser sur certaines mesures – notamment celles qui concernent la politique climatique et la dérive vers une politique sociale européenne – qui risquent d’alourdir les fardeaux qui pèsent sur son économie et/ou de gêner la flexibilité de ses marchés.
A cet égard, l’approche des réformes fiscales est fondamentale. Comme les pays membres de l’UE ont déjà de très lourdes taxes, de nouvelles augmentations risqueront d’affaiblir les forces de croissance. Les réformes fiscales doivent donc s’attacher à réduire les dépenses, et – en raison du vieillissement des populations européennes – prévoir de relever l’âge de la retraite.
En conclusion, la rigidité du marché du travail et plus généralement les contraintes de régulation sur les prix et sur la réponse de la chaîne d’approvisionnement de l’économie aggravent la récession, face aux différents chocs, et contribuent à la montée du chômage. La libéralisation du marché du travail doit donc être une priorité, et la tâche centrale d’un traité de Lisbonne réactivé.
Les élites européennes aiment à se récrier sur la “solidarité européenne,” la “cohésion sociale,” et le “modèle social européen.” Mais ces exclamations exaltées ne font pas le poids devant les réformes résumées ici. Elles n’en masqueront pas non plus la nécessité.
Leszek Balcerowicz is a former Deputy Prime Minister and Finance Minister of Poland (1989-1991; 1997-2000) and a former President of the National Bank of Poland (2001-2007).
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Traduit de l’anglais par Michelle Flamand