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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

Une vertu prématurée

Une vertu prématurée

George Soros

 


 

NEW YORK – L’accent mis par l’administration Obama sur la rectitude fiscale n’est pas dicté par une nécessité financière, mais par des considérations politiques. Les Etats-Unis ne sont pas l’un des pays fortement endettés d’Europe, qui doivent payer des primes de risque élevées sur le prix des emprunts allemands. Les taux d’intérêts sur les bons du Trésor américains sont en baisse constante et sont bientôt à un plus bas historique, ce qui signifie que les marchés s’attendent à une déflation, pas à de l’inflation.

Il n’en reste pas moins que le président Obama est soumis à des pressions politiques. L’opinion publique est extrêmement inquiète de l’accumulation de la dette publique et l’opposition républicaine est parvenue avec succès à attribuer le krach de 2008 – et la récession et le taux de chômage important qui s’ensuivirent – à l’incompétence du gouvernement, tout en affirmant que le plan de relance avait été en grande partie gaspillé.

Il y a une part de vrai dans cette affirmation, mais elle est biaisée. Le krach de 2008 a eu pour cause principale un effondrement des marchés, et les autorités de réglementation américaines (et d’autres) en portent la responsabilité pour ne pas avoir su agir à temps. Mais sans renflouage, le système financier serait resté paralysé et la récession subséquente aurait été plus profonde et plus longue. Il est néanmoins vrai que le plan de relance a été en grande partie gaspillé, mais c’est parce qu’il a surtout servi à soutenir la consommation au lieu d’être utilisé pour corriger les déséquilibres sous-jacents.

L’erreur manifeste de l’administration Obama a été la manière dont elle a renfloué le système bancaire : elle a aidé les banques à se tirer d’affaire en reprenant leurs actifs toxiques et en leur fournissant des liquidités bon marché. Ce choix était, lui aussi, guidé par des impératifs politiques. Il aurait été bien plus facile d’augmenter la participation de l’État dans les banques, mais Obama a craint de devoir faire face à des accusations de nationalisation et de socialisme.

Cette décision s’est retournée contre l’administration, avec de sérieuses répercussions politiques. Confrontés à une hausse des frais des cartes de crédit, de 8 pour cent à près de 30 pour cent, les consommateurs ont pu dans le même temps voir les banques enregistrer des bénéfices exceptionnels et verser des bonus généreux. Le mouvement Tea Party a su exploiter  ce ressentiment et Obama est aujourd’hui sur la défensive. Les Républicains font campagne contre toutes nouvelles mesures de relance et l’administration se dit aujourd’hui, pour la forme, en faveur de la rectitude fiscale, même si elle admet qu’une réduction des déficits est peut-être prématurée.

Je pense pour ma part qu’il y a de nombreux arguments en faveur de nouvelles mesures de relance. Il faut bien convenir que la consommation ne peut pas être indéfiniment soutenue par une augmentation de la dette publique. Les déséquilibres entre la consommation et les investissements doivent être corrigés. Ce choix semble pourtant intenable au plan politique. La majorité des Américains semblent convaincus que le gouvernement est incapable de gérer efficacement les investissements destinés à améliorer le capital physique et humain du pays.

Une fois de plus, ce constat est partiellement justifié : un quart de siècle de critiques du gouvernement s’est traduit par de mauvais gouvernements. Mais dire qu’un plan de relance est nécessairement gaspillé est de toute évidence faux : le New Deal a permis la mise en valeur de la vallée du Tennessee, le pont Triborough de New York et de nombreuses autres infrastructures encore utilisées aujourd’hui.

De plus, la simple vérité est que le secteur privé n’utilise pas les ressources à sa disposition. Le président Obama s’est montré très favorable au monde des affaires et les sociétés dégagent des bénéfices considérables. Mais au lieu d’investir, elles accumulent les liquidités. Une victoire républicaine aux prochaines élections pourrait leur donner une confiance accrue, mais dans l’intervalle, tant les investissements que l’emploi requièrent de nouvelles mesures de relance fiscales (des mesures de relance monétaires aurait plus pour effet d’inciter les entreprises à entrer en concurrence qu’à embaucher).

Il reste encore à déterminer quel niveau d’endettement public est trop élevé, parce que la tolérance à cet égard dépend en grande partie des perceptions dominantes. La prime de risque liée au taux d’intérêt est la variable critique : une fois qu’elle commence à augmenter, le taux actuel de financement du déficit devient intenable. Mais le point de rupture est inconnu.

Prenons le cas du Japon, dont la dette approche les 200 pour cent de son PIB annuel – l’un des ratios le plus élevé au monde. Et pourtant les obligations d’État sur dix ans ont un rendement à peine supérieur à 1 pour cent. Le Japon avait autrefois un taux d’épargne élevé, mais il a aujourd’hui rejoint celui des Etats-Unis, en raison du déclin démographique et du vieillissement de la population. La différence principale entre les deux pays – la balance commerciale du Japon est excédentaire et celle des Etats-Unis est déficitaire – n’est pas importante tant que la politique monétaire de la Chine l’oblige à accumuler des dollars sous une forme ou une autre.

La véritable raison pour laquelle les taux d’intérêt japonais sont si bas est que le secteur privé du pays ne cherche pas à investir à l’étranger et préfère des obligations sur dix ans à 1 pour cent que des placements qui rapportent 0 pour cent. Compte tenu de la baisse des prix et du vieillissement de la population, les Japonais jugent que ce rendement est intéressant. Tant que les banques américaines peuvent emprunter à un taux proche de zéro et acheter des bons du Trésor sans avoir à engager de capitaux propres, et tant que le dollar ne s’apprécie pas face au renminbi, les taux d’intérêt sur les bons du Trésor américains suivront probablement la même tendance.

Cela ne signifie pas que le gouvernement américain doit indéfiniment maintenir le taux d’actualisation à un niveau proche de zéro et continuer à creuser la dette publique. Une fois que l’économie redémarrera, les taux d’intérêt remonteront – peut-être trop rapidement, si la dette accumulée est trop importante. Mais si ce cas de figure risque d’étouffer la reprise, un resserrement fiscal prématuré aurait le même effet et plus tôt encore.

La politique appropriée est de réduire les déséquilibres aussi rapidement que possible tout en réduisant le poids de la dette. Plusieurs options sont envisageables, mais l’objectif déclaré de l’administration Obama – réduire de moitié le déficit budgétaire d’ici 2013 alors que l’économie tourne au ralenti – n’en fait pas partie. Investir dans les infrastructures et l’éducation serait un choix plus sensé. Ou alors créer une légère inflation en dépréciant le dollar face au renminbi.

Les arguments qui s’opposent à ce programme ne sont pas d’ordre économique, mais prennent la forme d’idées fausses à propos du déficit budgétaire, utilisées à des fins partisanes et idéologiques.

George Soros préside le Soros Mangement Fund.

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