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Expliquer la finance et l'économie par un praticien. Participer a la compréhension d'une matière d'abord difficile mais essentielle pour le citoyen.

« Faux jusqu’à la septième décimale » Paul Jorion

« Faux jusqu’à la septième décimale »

J’ouvre des cartons, et je continue de reconstituer la collection complète des articles de théorie financière que j’ai rassemblés au fil des années et la remarque ironique qui me vient à l’esprit c’est : « faux jusqu’à la septième décimale », et il me semble que ce n’est pas une mauvaise manière de caractériser cette littérature : elle produit des calculs d’une étonnante précision à l’intérieur d’un cadre en général faux sur le plan conceptuel.

« Industry standard », « norme industrielle », voilà l’expression que les régulateurs aux États–Unis utilisaient pour un modèle dont personne ne savait s’il était vrai ou faux – mais que tout le monde utilisait cependant.

L’expression révélait ce très haut degré de pragmatisme dont faisaient preuve les régulateurs : même si l’on était incapable de déterminer si un modèle de ce type était correct, il avait au moins un mérite : celui d’être largement partagé. Evidemment, s’il devait s’avérer un jour qu’il était en réalité faux, l’industrie plongerait dans son ensemble. Seule consolation : aucun des participants n’aurait en tout cas davantage tort qu’un autre. Et c’est pourquoi – une fois que l’effondrement a effectivement eu lieu – les coupables ont été si difficiles à trouver. Cqfd !

On trouve caché derrière ce critère de validité fondé sur l’unanimisme, une opinion secrète : que la validité d’un modèle en finance ne repose sur rien d’autre que sur le consensus. Le soupçon n’effleurait personne que des pertes cataclysmiques puissent un jour être encaissées en cas d’erreur, tant la croyance était partagée que la finance avait acquis au XXIème siècle, une robustesse qui la protégeait contre tout accident.

Lorsque j’ai un jour demandé pourquoi le modèle représentant le comportement des Asset-Backed Securities – ces obligations constituées en reconditionnant des milliers de crédits subprime – pourquoi ce modèle ne contenait pas le mécanisme de redirection des flux monétaires en cas de pertes, – on me répondit : « c’est la norme industrielle », autrement dit : « Personne ne le fait : personne ne le fait parce que le problème ne se posera pas : il ne sera jamais nécessaire de puiser dans les réserves. » Quand la rentabilité de ces obligations sombra – et qu’il fallut quand même puiser dans les réserves, – ce fut la panique : le cas n’avait pas été prévu et personne ne pouvait dire ce qui allait se passer.

Le modèle de prévision de la tendance du prix de l’immobilier résidentiel américain qu’on utilisait chez Countrywide – la firme qui m’employait en 2007– n’avait pas la capacité de prévoir un nombre négatif pour le mois suivant. Autrement dit, il n’avait pas la capacité de prévoir une dépréciation du prix des maisons aux États–Unis. Quand je me suis fâché en disant : « Soyons sérieux ! », on m’opposa l’argument-massue : « Norme industrielle ! » … On connaît la suite !

 

A méditer et a relire avant de s'endormir.

Blog de paul Jorion 

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