Plusieurs chantiers patinent ou sont au point mort en Europe, alors que les Etats-Unis vont adopter une vaste réforme
L'Europe se veut en pointe au sein du G20 pour réguler les activités financières. Mais elle a le plus grand mal à appliquer chez elle les engagements pris sur la scène internationale.
Les eurodéputés ont décidé, mardi 6 juillet à Strasbourg, de reporter leur vote sur la refonte de la supervision financière : le Parlement européen souhaite, contre l'avis des capitales, muscler les pouvoirs des différentes agences européennes chargées dans l'avenir de contrôler les banques, les compagnies d'assurance et les marchés boursiers. Les élus se disent prêts à voter en septembre, à condition que les Etats se rapprochent, d'ici là, de leurs positions.
Or le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, entre autres, ont déjà eu le plus grand mal, en décembre 2009, à forger le compromis contesté par les quatre principaux groupes politiques, à droite comme à gauche.
Ce bras de fer illustre la difficulté des Vingt-Sept à concrétiser leurs discours sur la régulation de la finance. Dans la " bataille " que se livrent les Etats-Unis et l'Europe pour prendre l'ascendant de la réforme de la régulation du système financier, Barack Obama semble en effet avoir pris de l'avance. Quand, outre-Atlantique, la vaste réforme de Wall Street n'attend plus qu'un dernier aval du Sénat, l'Union européenne, elle, patine.
Seuls quelques chantiers ont été menés à bon port : les eurodéputés devaient ainsi, mercredi, valider le principe d'un encadrement plus strict des bonus versés aux dirigeants de banque et aux traders. Une législation durcie par le Parlement européen. De même, les agences de notation ont fait l'objet d'une première réforme, qui les oblige depuis décembre 2009 à s'enregistrer en Europe, et à être plus transparentes.
" Les Américains ont eu une démarche plus visible, une loi globale, qu'il va leur falloir détailler ; les Européens ont privilégié une approche point par point ", justifie Michel Barnier, le commissaire chargé des services financiers. " La rhétorique visant à dire que l'Europe est plus allante sur la réforme du système financier est maintenant absurde, tranche Nicolas Véron, économiste au centre de recherche Bruegel. La directive sur les bonus n'est pas inutile, mais c'est un signal politique dont l'effet sur la stabilisation du système financier est très indirect. "
Voici quelques jours, les eurodéputés ont déjà renoncé à adopter dès juillet la réforme des fonds spéculatifs (hedge funds) : le Parlement et la Commission poussent à l'adoption d'un passeport européen que certains pays, dont la France, refusent d'ouvrir à des gestionnaires de fonds implantés dans des pays tiers. Un vote crucial à ce sujet a, là encore, été reporté au mois de septembre.
Dans d'autres domaines, comme la régulation des produits dérivés, le chantier est à peine engagé : la Commission devrait dévoiler ses propositions législatives en septembre, tandis que les Etats-Unis ont déjà prévu la mise en place d'une chambre de compensation permettant d'identifier les acheteurs et les vendeurs de ces titres sophistiqués. Sans attendre, les capitales divergent au sujet de l'interdiction de certaines ventes à découvert. Londres ne veut pas en entendre parler, tandis que Paris et Berlin pressent la Commission d'examiner cette possibilité.
En Europe, le chantier de la régulation a souffert d'une longue période de transition à Bruxelles : les élections européennes, en juin 2009, et la formation de la Commission, pas avant janvier 2010, ont permis de redistribuer les cartes, au bénéfice des régulateurs, mais elles ont aussi ralenti le processus de décision.
Plus largement, " la négociation européenne est plus complexe qu'aux Etats-Unis : les lobbys ne sont pas moins puissants, et, surtout, nous discutons à vingt-sept. Il ne s'agit donc pas seulement de savoir comment réguler, mais aussi de trouver le bon niveau : national ou communautaire ", observe l'eurodéputé vert Pascal Canfin.
Or les Etats membres défendent leur souveraineté, après avoir été contraints de voler au secours des banques. " On ne peut pas refuser l'Europe fédérale et nous comparer sans arrêt avec un pays fédéral - les Etats-Unis - ", juge Sylvie Goulard (Modem), une des rapporteurs du paquet Supervision.
Pour Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, le dispositif est globalement " insuffisant " : " Les Etats-Unis ont 20 sur 20, l'Europe a 0. " En outre, quand le financement de l'économie se fait à 80 % par l'intermédiaire des banques et à 20 % par les marchés, soit un rapport opposé à celui du financement de l'économie américaine, l'Union s'impose des réformes prudentielles qui pourraient à court terme pénaliser le redémarrage de l'économie. Il en est ainsi des règles dites de Bâle III, visant à renforcer les fonds propres des banques, par ailleurs sous la menace d'une taxe bancaire. " On plombe les banques et le reste des réformes est traité à moitié ", se désole M. Lorenzi.
Claire Gatinois et Philippe Ricard (à Strasbourg)