• Aux Pays-Bas, les entreprises individuelles sont en déroute

    Aux Pays-Bas, les entreprises individuelles sont en déroute

    Les consultants et autres travailleurs indépendants n’ont pas droit au chômage. Alors, ils multiplient les petits boulots.

    Elsbeth Stoker De Volkskrant

    Il est 7 heures du matin. Reina Dogger pourra bientôt dormir quelques heures. Mais elle doit d’abord terminer son service de nuit à l’hôtel Wiechmann et rentrer à vélo chez elle, dans le nord d’Amsterdam. Son travail de réceptionniste est l’un de ses trois emplois. Hier matin, cette femme de 57 ans a distribué le courrier pour le groupe postal Sandd et, l’après-midi, elle est allée faire de même pour TNT [ex-service public postal]. Puis, à partir de 22 h 30, elle a travaillé à l’hôtel. Rien ne prédisposait Reina à ce genre de boulots. Sous le statut d’entrepreneur indépendant, elle propose ses services depuis plus de vingt ans comme conseillère en ressources humaines et en organisation. Mais, depuis le début de la crise, il y a un an et demi, on ne lui a plus confié de mission. Les Pays-Bas comptent 630 000 en­tre­preneurs indépendants qui n’emploient pas de salariés. D’après une enquête de la centrale syndicale FNV, un tiers d’entre eux ont des difficultés à s’en sortir. La plupart estiment que c’est à cause de la crise économique. Mais, selon la FNV, 15 % de ces indépendants rencontrent toujours des ­difficultés, qu’il y ait ou non une récession. Contrairement à d’autres travailleurs, ils n’ont qu’un accès limité au système de protection sociale.

    La situation peut changer d’un moment à l’autre, estime la sémillante Anita Sanders, 47 ans. Cette indépendante espère obtenir une mission auprès d’un bureau d’ingénieurs. Spécialisée dans la gestion de services de secrétariat, elle a travaillé pour l’aéroport de Schiphol [à Amsterdam], le cabinet de conseil DHV et le cabinet comptable KPMG. Des assistantes se disputent ou refusent de se parler ? Elle est la femme de la situation. Seulement voilà : comme les entre­prises compriment leur budget, la demande pour ce type de services se fait rare. Cette mère célibataire reconnaît que sa situation “a de quoi rendre fou”. Bientôt, elle n’aura plus d’argent. L’aide sociale n’est pas une solution, car il faudrait qu’elle “engloutisse” sa maison. [La municipalité la contraindrait à la vendre pour dégager des liquidités, qui seraient ensuite complétées par une allocation.] “J’aimerais rester dans le quartier pour l’école de ma fille, et il n’y a pas grand-chose à louer ici.” Elle pourrait aussi contracter un prêt de crise pour les indépendants auprès de la municipalité. Mais, à son avis, ­s’endetter n’est pas une bonne idée. Elle risque en effet de devoir verser 33 000 euros à l’UWV [organisme de gestion des assurances sociales]. Anita fait en effet partie des 3 000 indépendants qui auraient perçu à tort une allocation-chômage à l’époque où elle a démarré son entreprise. D’après le médiateur national, les indépendants ont été mal informés.

    La question n’est pas encore tranchée. En attendant, cette épée de Damoclès reste suspendue au-dessus de la tête d’Anita. “Il y a quelques années, je n’aurais pu imaginer une chose pareille. Ma vie avait toujours été plutôt stable.”

    Reina Dogger a eu elle aussi sa part de malchance. Dans les années 1980 et 1990, raconte-t-elle, “je gagnais l’équivalent de 45 000 euros par an et j’avais le temps de faire du bénévolat. Tout allait à merveille.” En 2003, son mari est mort. Elle a alors décidé de lever le pied. Puis elle a commencé à souffrir de douleurs aux articulations. Mais il a fallu plusieurs mois avant d’obtenir le bon diagnostic. Malgré son assurance pour incapacité de travail, elle a donc dû financer elle-même la première année de sa maladie. Après une opération de la hanche, elle a repris le travail, mais elle a dû retourner à l’hôpital. Cancer du sein. “On me faisait des séances de rayons à 7 heures du matin, puis j’allais travailler. Je remplissais toutes sortes de missions intéressantes.” Puis la crise est arrivée. Et ses économies se sont épuisées. Même l’argent qu’elle avait mis de côté pour sa retraite en bénéficiant d’un avantage fiscal a dû être utilisé. “Alors, à 65 ans, j’aurai une dette de 10 000 euros envers le fisc.”

    Une nouvelle mission, voilà ce qui pourrait la sauver. Pour cela, il faudrait qu’elle consacre toute son énergie à prospecter. “Mais ce n’est pas le mo­ment”, dit-elle, les yeux ensommeillés après son service de nuit. “Il faut que je garde ces trois boulots, sinon je vais perdre tout ce que j’ai. Tous les souvenirs que j’ai de mon mari. Et ma maison que j’aime tant.”


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