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Des hausses de prix déclenchent des émeutes sanglantes au Mozambique
Des hausses de prix déclenchent des émeutes sanglantes au Mozambique
Maputo restait paralysée, vendredi, au troisième jour de manifestations qui ont fait sept morts et des centaines de blessés à la suite de l'annonce d'une augmentation de 25 % du prix du pain
Johannesburg Correspondant régional
Malgré la brutalité de la police et le déploiement de l'armée dans Maputo, le mouvement de protestation contre l'envolée des prix ne s'éteint pas dans la capitale du Mozambique. Dans la matinée du vendredi 3 septembre, au troisième jour d'émeutes déclenchées par l'annonce d'une augmentation de 25 % du prix du pain prévue pour la semaine suivante, la ville d'un million d'habitants restait paralysée.
La veille au soir, des affrontements entre les jeunes, descendus en masse depuis mercredi dans les rues, et les forces de l'ordre, avaient fait de nouvelles victimes, portant le nombre de tués à sept et celui des blessés à près de trois cents.
Le retour au calme dans les quartiers pauvres était d'autant plus incertain vendredi que l'annonce de la hausse du prix du pain qui avait jeté les foules dans la rue venait d'être qualifiée d'" irréversible " par le gouvernement au terme d'une réunion extraordinaire.
Barricades
Cette vague d'émeutes, accompagnée de pillages, est-elle la première d'une série d'" émeutes de la faim " susceptible de se répandre dans d'autres pays, en raison d'une nouvelle flambée du cours de denrées de base ? En 2008, des troubles liés à l'augmentation des prix avaient éclaté du Cameroun à la Somalie, en passant par le Mozambique. L'inflation mettait en péril la vie des plus pauvres mais cristallisait aussi le mécontentement face aux gouvernements. Au Mozambique, on avait relevé, déjà, six morts, sous les balles de la police.
Mercredi, à Maputo, il a suffi d'appels relayés par textos pour que s'érigent des barricades, preuve de l'état de tension de la population mozambicaine déjà frappée par une envolée des prix des services de base. Le tarif de l'eau venait d'augmenter de 12 %, celui de l'électricité de 13 %. Le pain avait déjà subi une augmentation comparable quelques mois plus tôt. Enfin, un accord sur une hausse de 50 % du prix des minibus collectifs venait d'être signé entre le pouvoir et les syndicats de transporteurs.
Comment justifier de telles envolées ? Pour le pain, le pays est frappé directement par l'augmentation du prix des céréales. L'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) annonçait mercredi que la hausse des cours mondiaux, entretenue par le gel des exportations russes, avait conduit le prix moyen de la nourriture dans le monde - mesuré par un index - à 5 % d'augmentation au cours du mois écoulé, hissant cet index à son plus niveau depuis septembre 2008. Les cours, cependant, sont encore inférieurs de 38 % à leur niveau maximal de 2008.
Plus directement, c'est l'effondrement de la monnaie nationale face au rand sud-africain (43 % depuis janvier) qui alimente l'inflation, au moment où le Mozambique est en train d'accueillir des investisseurs qui se ruent sur ses ressources naturelles. La Chine, révèle Noticias, journal proche du gouvernement, s'apprête à investir 13 milliards de dollars dans le pays. Alors que le Mozambique connaît des problèmes d'approvisionnements récurrents, des contrats ont été signés pour étendre les surfaces consacrées à la culture de jatropha, une plante utilisée pour la fabrication de biocarburants.
Tout semblait sourire au Mozambique après une décennie de croissance qui a relevé le pays de ses ruines. L'ancienne colonie portugaise a été l'une des tranchées de la guerre froide en Afrique australe, endurant de 1976 à 1992 une guerre civile alimentée par les deux blocs, accompagnée d'atrocités et de près d'un million de morts.
Le pays, en dépit d'une croissance soutenue, qui devrait atteindre 7 % en 2010, reste l'un des plus pauvres du monde. Son président, Armando Guebuza, surnommé " Guebusiness ", est aussi l'homme le plus riche d'un pays où la corruption règne au sommet de l'Etat. En décembre 2009, le Frelimo (le parti au pouvoir) avait de nouveau remporté les élections générales, et M. Guebuza avait été réélu, mais avec un taux d'abstention de 64 %, alors que 90 % des Mozambicains avaient voté lors du premier scrutin pluraliste, en 1994.
Face à l'explosion du mécontentement des jours derniers, le ministre de l'intérieur, Jose Pacheco, a nié que les forces de sécurité aient tiré à balles réelles dans les rues de Maputo et engagé les Mozambicains à " augmenter la production ", " seule façon " de " résoudre le problème du coût de la vie ".
Jean-Philippe Rémy
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