• Dilemme : Politique monétaire

    Politique monétaire: trop tôt ou trop tard?

    Heureusement, les grands argentiers ne paraissent pas pressés de resserrer la vis monétaire. Il faut dire que l'inflation ne menace pas: au contraire, les prix baissent (même si l'inflation, hors énergie et produits alimentaires, reste positive). Et les banques centrales sont prévenues du risque qu'il y aurait à agir trop tôt. Le Japon avait fait cette erreur à la fin des années 1990, se croyant, à tort, sortis d'affaire. Les Etats-Unis avaient fait de même en 1937, provoquant une rechute brutale de l'activité. C'est le spectre d'une reprise en W, un double dip, disent les Anglo-Saxons.

    C'est pourquoi, malgré la reprise qui se dessine, Jean-Claude Trichet estime que le niveau des taux est "approprié". Quant à la Fed, la Banque centrale américaine, elle annonce le maintien de ses taux d'intérêt à leur niveau exceptionnellement bas "pour une période prolongée". Vraisemblablement pas avant que le marché de l'emploi ne se soit nettement amélioré, ce qui n'est pas pour demain.

    Tout le monde a cependant en tête un autre épisode, qui rappelle les dangers d'une politique monétaire trop longtemps laxiste. Au lendemain de l'éclatement de la bulle Internet, la Fed avait descendu très rapidement son taux directeur, jusqu'à 1%, un record historique à l'époque, et l'avait maintenu très bas pendant deux ans et demi. A l'époque, on avait beaucoup célébré la réactivité et l'audace d'Alan Greenspan, alors à la tête de la Fed, crédité d'avoir épargné aux Etats-Unis une récession sévère. Mais on voit désormais le revers de la médaille: la faiblesse prolongée des taux d'intérêt a encouragé les ménages à s'endetter et a nourri une bulle immobilière. Elle a aussi incité les acteurs financiers à prendre des risques inconsidérés, dans un contexte de dérégulation financière et d'abondance d'épargne mondiale.

    Où va aujourd'hui l'argent distribué si généreusement par les banques centrales? Pas dans les poches des ménages ni des entreprises en tout cas, puisque les crédits qui leur sont consentis stagnent. Mais plutôt dans celles des Etats, pour financer les dettes publiques, et surtout dans celles des banques, qui renouent avec les profits (voir page 36). Ce serait plutôt une bonne chose - les bonus des traders mis à part -, si elles en profitaient pour assainir leur situation: se débarrasser de leurs actifs pourris, augmenter leurs fonds propres, investir dans des dispositifs de contrôle des risques (voir page 62), etc. Le font-elles? L'opacité est toujours de mise en la matière. Le risque est qu'elles tirent surtout les bénéfices à court terme d'une politique qui leur assure des profits faciles et qui améliore automatiquement leur bilan, grâce à la remontée en flèche des prix d'actifs, dopés par la liquidité surabondante fournie par les banques centrales.

    En effet, l'"inondation monétaire" actuelle, comme la qualifie Patrick Artus, chef économiste à Natixis, a des effets secondaires déjà visibles, sous forme de bulles spéculatives sur différents marchés. L'économiste en décèle les signes sur le marché des actions (2), sur les obligations d'entreprises, dont les primes de risque baissent malgré la hausse rapide des taux de défaut, et, enfin, sur les marchés de matières premières, "dont la remontée des prix n'est pas causée par l'évolution de la demande". Les banques se remettent à pratiquer le carry trade, c'est-à-dire à emprunter à très faible taux dans une monnaie pour financer des opérations plus rémunératrices dans d'autres devises. Après le yen, le dollar est devenu le support de cette technique, à la faveur du niveau quasi nul des taux d'intérêt à court terme aux Etats-Unis.

    Certains pays émergents s'inquiètent d'ailleurs des afflux de capitaux qu'ils reçoivent, dont l'effet est potentiellement déstabilisateur (appréciation monétaire, poussée inflationniste, instabilité financière...). Pour se protéger, le Brésil a ainsi décidé de taxer les entrées de capitaux spéculatifs.

    Mais ces effets collatéraux de leur politique monétaire pourraient bien rattraper un jour les grands pays industrialisés. Le prix du pétrole a déjà doublé depuis le début de l'année. Certes, à 80 dollars le baril, il est encore loin des niveaux atteints au printemps 2008, quand il flirtait avec les 150 dollars. Mais jusqu'où ira-t-il quand la demande reprendra plus vigoureusement, alors que la crise a différé les investissements? L'Agence internationale de l'énergie prévoit d'ores et déjà de fortes hausses qui pourraient étouffer la reprise.

    La politique monétaire hyper-accommodante actuelle comporte donc plus de risques qu'il n'y paraît. Dans un monde où les banques restent insuffisamment contrôlées, où toutes les occasions de spéculation sont bonnes à prendre, elle masque la situation réelle des banques et nourrit des bulles qui peuvent éclater à la moindre hausse de taux.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :