• Emprunt: Didier Migaud dénonce une politique de gribouille

    Emprunt: Didier Migaud dénonce une politique de gribouille

    Par  Laurent Mauduit

    A la veille de la présentation par Nicolas Sarkozy, lundi 14 décembre, de ses arbitrages sur le grand emprunt, le socialiste Didier Migaud, qui préside <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> des finances de l'Assemblée nationale, formule dans un entretien vidéo avec Mediapart de nombreuses critiques à l'encontre de la politique économique impulsée par le chef de l'Etat. Evaluant à près de 100 milliards d'euros les baisses d'impôts décidées depuis le début de la décennie, dont près de 70 milliards d'euros à l'initiative de l'actuel gouvernement, il fait valoir que ces allègements, d'une efficacité économique souvent contestable et socialement inéquitables, ont gravement creusé les déficits publics et privent aujourd'hui <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname>, en ces temps de crise, de marges de manœuvre. Selon lui, le grand emprunt est donc une sorte de concentré de cette politique de gribouille : c'est tout à la fois « les allègements d'hier et les impôts de demain ».

     Juste avant la présentation par le chef de l'Etat des modalités précises de ce grand emprunt, Mediapart a en effet jugé utile de donner la parole aux présidents des deux commissions des finances du Sénat et de l'Assemblée nationale, le centriste Jean Arthuis et le socialiste Didier Migaud, pour faire avec eux un tour d'horizon de la politique économique actuelle, pour analyser ses forces ou ses faiblesses. Un tour d'horizon pour analyser d'abord les justifications ou les failles du grand emprunt lui-même ;  pour établir ensuite l'état réel des finances publiques que la récession a déjà fortement ébranlées et qui vont être fortement affectées par ce même grand emprunt ; et pour faire le point, enfin, sur les réformes fiscales récentes du gouvernement.

     Après le diagnostic dressé par le centriste Jean Arthuis, que Mediapart a mis en ligne samedi, c'est donc au tour du socialiste Didier Migaud de présenter son analyse. Elle est pour le moins sévère. Détaillant la politique suivie par <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> tout au long de la crise financière, il fait d'abord valoir que le chef de l'Etat s'est tout récemment – c'était à <st1:personname productid="La Seyne-sur" w:st="on">La Seyne-sur</st1:personname>-Mer, le 1er décembre (on peut télécharger ici le discours) – délivré un satisfecit qui n'est pour le moins pas mérité. Cet auto-satisfecit valait d'abord pour le plan de soutien français aux banques.

     « C'est vrai que l'on est jamais si bien servi que par soi-même, ironise Didier Migaud. Mais la réalité est quelque peu différente du discours du chef de l'Etat. » Il estime que, dans le domaine des banques, le gouvernement a globalement fait ce qu'il convenait de faire et dans le bon calendrier. Mais il poursuit : « Ce que nous avons toujours contesté, ce sont les modalités – l'absence de contreparties – au contraire de ce qu'ont fait un certain nombre de pays. Je pense aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, à l'Allemagne, à l'Angleterre, à <st1:personname productid="la Belgique." w:st="on">la Belgique.</st1:personname> »
    Et de cette absence de contreparties, Didier Migaud avance plusieurs preuves, dont le rejet par le gouvernement, en octobre dernier, d'un amendement déposé par ses soins prévoyant une surtaxe provisoire de 10% sur les bénéfices des banques. « Lorsque j'ai proposé une taxation exceptionnelle des banques, c'était tout simplement pour que l'Etat puisse avoir un retour au soutien massif qu'il a apporté aux banques et qui a permis à celles-ci de retrouver une certaine santé. On m'a répondu que je souhaitais que l'Etat spécule sur le retour à meilleure fortune. Mais ce n'est pas spéculer que de vouloir associer l'Etat, et donc le contribuable, aux conséquences d'une intervention massive de l'Etat. »

    Pour le président de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> des finances, l'initiative récente du premier ministre britannique vient donc confirmer la pertinence de son amendement, que le gouvernement français n'avait pas voulu retenir. « Ce n'est pas tout à fait le même parce que ce que propose Gordon Brown, c'est de taxer des sommes qui sont provisionnées pour la rémunération des traders. Cela va dans le bon sens, mais ce n'est pas aussi large que ma proposition, qui était de taxer exceptionnellement cette année les bénéfices des banques. »
    Quoi qu'il en soit, pourquoi après avoir refusé en octobre l'amendement de Didier Migaud, Nicolas Sarkozy s'est-il finalement rallié en dernière minute à la proposition britannique, en suggérant à son tour une simili taxation des bonus des traders (voir l'article de Mediapart sur le sujet), mais en l'assortissant de nombreuses conditions ? Peu après que cet entretien eut été réalisé et que l'Elysée eut fait connaître ce projet, Didier Migaud a publié un communiqué, ajoutant ce commentaire : « Je remarque que, selon la presse, <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> mettrait deux conditions à une telle taxation, dont l'une – que cette initiative soit suivie par les autres pays européens – la rend très hypothétique. Là  où le Gouvernement britannique agit sans se réfugier derrière l'inaction de ses voisins, <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> parle sans traduire ses paroles en actes concrets et continue de se réfugier derrière ses voisins. Alors qu'elle pourrait être force de proposition et de progrès, <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> se contentera, au mieux, d'être suiviste. Je rappelle enfin qu'en plus d'une taxation des bénéfices des banques, j'avais proposé de relever la taxe sur les salaires des traders. Je continue de souhaiter qu'un tel relèvement, nécessaire, soit adopté en France. »

    Dans un deuxième volet de cet entretien, Mediapart demande à Didier Migaud ce qu'il pense de cet autre satisfecit que Sarkozy s'est délivré à lui-même, toujours dans son récent discours de <st1:personname productid="La Seyne-sur" w:st="on">La Seyne-sur</st1:personname>-Mer, sur une supposée efficacité de son plan de relance. Le chef de l'Etat a en particulier observé que <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> était, parmi les grands pays, celui qui avait connu la plus petite récession et la moins forte progression de son chômage. Réponse du responsable socialiste : « Que le plan de relance ait eu un impact, c'est évident. Le plan de relance était-il suffisant ? Non ! Explique-t-il que <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> ait une récession moins forte que beaucoup d'autres pays ? Non ! Pas davantage. Ce qui explique que la récession soit moins forte en France qu'en Allemagne, en Grande-Bretagne ou en Espagne, voire aux Etats-Unis, c'est le niveau de nos prestations sociales et de nos politiques publiques. C'est notre modèle social, que souhaite remettre en cause à travers un certain nombre de propositions justement le chef de l'Etat. Là, il est bien content de l'avoir trouvé... »

    Didier Migaud conteste donc les constats de Nicolas Sarkozy. S'attardant sur les situations respectives de <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> et de l'Allemagne, il va même au-delà : « L'Allemagne a connu une récession deux à trois fois plus forte que <st1:personname productid="la France. Son" w:st="on">la France. Son</st1:personname> chômage s'est tenu ; il n'a pas sensiblement augmenté. <st1:personname productid="la France" w:st="on">La France</st1:personname>, avec une récession deux à trois fois moins forte que l'Allemagne, a connu une explosion de son chômage. Cela montre bien les insuffisances du plan de relance en France. Il y avait un volet investissement-trésorerie des entreprises qui était utile. En revanche, le volet soutien à l'emploi ou soutien de la demande et de la consommation était trop faible ou inexistant. »

    Selon Didier Migaud, le plan de relance français a donc été incomplet. Et si tel a été le cas, « c'est que l'Etat français se prive d'une certaine capacité à agir compte tenu d'une politique de réduction d'impôt qu'il a depuis quelques années. »  Et d'ajouter : « Vous avez de l'ordre d'une centaine de milliards d'euros de recettes fiscales en moins depuis 2000. Et 70 milliards qui est le résultat d'allègements de fiscalité voulus, assumés par le gouvernement. » Passant en revue certaines de ces baisses, dont celle de <st1:personname productid="la TVA" w:st="on">la TVA</st1:personname> sur la restauration, Didier Migaud s'inquiète d'un « certain gaspillage de l'argent public » et dénonce des mesures souvent « coûteuses, injustes et peu efficaces économiquement et socialement ».

    Si cette politique de baisse à marche forcée des impôts a restreint les marges de manœuvre de la politique économique française, c'est, de fait, qu'elle a été financée par un creusement spectaculaire des déficits. Et de ces déficits, Didier Migaud fait ces constats : « Oui, ils sont inquiétants. La crise fait que l'Etat a été obligé de dépenser plus qu'il n'avait prévu – et cela a été utile même si cela a été insuffisant. Mais parallèlement, il se prive de recettes. »

    Le président de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> des finances rappelle que, dès 2005, <st1:personname productid="la Commission Pébereau" w:st="on">la Commission Pébereau</st1:personname>, dont il était membre, avait alerté sur la gravité de la situation de nos comptes publics. « Cela s'est beaucoup aggravé depuis », ajoute-t-il. Et il rappelle que « la deuxième  recommandation » de cette commission, « c'était de ne pas baisser les impôts tant que la situation de nos comptes publics ne s'était pas suffisamment  rétablie ». « Ce n'est malheureusement pas ce que nous faisons. La baisse des recettes de l'Etat ne s'explique pas seulement pas la crise et sa gravité. Donc, c'est toute la question du grand emprunt qui est posée », ajoute-t-il.
    Didier Migaud se dit donc convaincu que <st1:personname productid="la France" w:st="on">la France</st1:personname> va s'écarter de plus en plus des engagements européens qu'elle a contractés, ceux de Maastricht ou du pacte de stabilité. <st1:personname productid="la France" w:st="on">La France</st1:personname>, assure-t-il, « s'écarte et elle continuera de s'écarter ». Le responsable socialiste ne donne donc aucun crédit à la ministre des finances, Christine Lagarde, quand elle affirme que les déficits se résorberont quand la croissance sera de retour. « L'année 2007, dit-il, montre que cela ne suffit pas de retrouver la croissance puisque cette année-là nous avons connu une croissance supérieure à 2% et la situation de nos comptes publics s'est dégradée, parce que Nicolas Sarkozy et le gouvernement de François Fillon ont continué dans une politique d'allègements. »

    Didier Migaud fait alors un tour d'horizon de ces allègements dont il parle, ceux contenus dans la loi dite Tepa (heures supplémentaires, quasi-suppression des droits de succession, allègement de l'impôt sur la fortune, bouclier fiscal à 50%...), la baisse de <st1:personname productid="la TVA" w:st="on">la TVA</st1:personname> pour les restaurateurs, la réforme de la taxe professionnelle... « Et tout cela est financé par une aggravation du déficit », s'inquiète-t-il.

    Mediapart interroge alors Didier Migaud sur le grand emprunt, dont Nicolas Sarkozy doit donner lundi les détails. Première remarque du dirigeant socialiste : au cours de cette année 2009, « l'Etat, rien que l'Etat, a emprunté 250 milliards d'euros. Ce sont déjà des sommes considérables ». A cette somme, il va donc falloir encore ajouter les 35 milliards d'euros de ce grand emprunt. Et puis, il y a de surcroît les 32 ou 35 milliards de déficit prévisibles des comptes sociaux. « On n'a jamais connu une situation aussi catastrophique. Et là aussi, tout ne s'explique pas par la crise. Il y a une passivité vis-à-vis des comptes de <st1:personname productid="la Sécurité" w:st="on">la Sécurité</st1:personname> sociale qui est coupable », dit Didier Migaud.

    Selon lui, « on ne peut pas dissocier le plan de relance, le grand emprunt, de la politique économique, fiscale, budgétaire qui est conduite ». Et il ajoute : « Je trouve que le gouvernement saucissonne le budget normal, le budget de crise, le plan de relance, le grand emprunt... tout cela ne peut pas être saucissonné. »

    Le responsable socialiste ne disconvient certes pas que des dépenses d'avenir doivent être financées, par exemple en faveur de la recherche ou de l'enseignement supérieur. C'est « une bonne chose », dit-il.  « Mais une politique budgétaire, une politique économique, ce sont des choix. » Suggérant qu'il y aurait eu des dépenses budgétaires plus urgentes que celles engagées en faveur de cette loi dite Tepa, ou en faveur de la baisse de <st1:personname productid="la TVA" w:st="on">la TVA</st1:personname> pour la restauration, Didier Migaud poursuit : « Ce que nous contestons, ce sont les priorités de ce gouvernement. Vous ne pouvez pas tout faire... ». « Et puis, l'emprunt, poursuit-il, c'est une modalité de financement, ce n'est pas une recette. (...) On connaît la fin du film. Parce que cela s'est déjà passé, dans l'histoire. L'emprunt, il peut vous permettre de repousser les échéances, le moment de la facture, mais il ne repousse pas le montant de la facture. Et il n'allège pas le montant de la facture. Au contraire, il l'augmente. Et à un moment donné, il faut rembourser (...) Le grand emprunt, est-ce que cela n'est pas les allègements d'impôts d'hier et les impôts de demain ? C'est une grande majorité de nos concitoyens qui, vraisemblablement, va financer le remboursement d'emprunt qui ont financé des réformes qui ont bénéficié à des contribuables qui n'étaient pas parmi les moins fortunés. »

     Conclusion de Didier Migaud sur la politique économique : « Elle est brouillonne mais je  crois que le président de <st1:personname productid="la République" w:st="on">la République</st1:personname> est au fond de lui-même profondément un libéral (...) La régulation, pour lui, ce n'est pas spontané. L'encadrement, la régulation, ce sont des choses très présentes dans ses discours (...) mais le passage à l'acte ne se fait pas. »
    Pour finir, Mediapart a interrogé Didier Migaud sur l'affaire du listing des quelque 3.000 contribuables soupçonnés d'évasion fiscale. « L'administration fiscale est en possession d'un certain nombre d'information. Je trouve légitime qu'elle les traite », souligne d'abord le dirigeant socialiste. « Le problème quant au fait que ces informations aient été volées, c'est davantage le problème d'HSBC », dit-il. « A ceux qui disent être choqués que l'on utilise un certain nombre d'informations dont nous aurions connaissance », il fait ce constat : « Je trouve plus choquant le fait de frauder. »

     Mais pour Didier Migaud, l'important est ailleurs : c'est que les différentes affaires qui se succèdent, celle hier des évadés fiscaux du Liechtenstein, celle aujourd'hui des 3.000 évadés fiscaux dont le ministre du budget Eric Woerth dit détenir la liste, puissent être tirées au clair. Et pour cela, dit le responsable socialiste, il faut que l'administration fiscale dispose de moyens renforcés pour conduire ses investigations. « Ce que je souhaite, dit-il, c'est que notre administration fiscale ait davantage de moyens pour lutter efficacement contre la fraude. »
    Le président de la commission des finances défend donc l'amendement qui a été adopté cette semaine, par cette instance, visant à instaurer une véritable « procédure fiscale judiciaire ». Et d'ajouter : « Mais je propose que l'on aille plus loin, qu'il y ait un vrai service fiscal judiciaire : qu'il puisse y avoir des agents du fisc dotés de prérogatives d'officier de police judiciaire, sous le contrôle du juge, pour pouvoir mener les investigations nécessaires. »

    Evoquant la liste des évadés fiscaux du Liechtenstein, Didier Migaud fait valoir que les dossiers n'ont pas avancé de la même façon en Allemagne et en France : « En Allemagne, vous avez déjà des dossiers instruits, jugés, et des personnes condamnées. En France, pas encore. C'est tout de même un vrai sujet : avons-nous les moyens de lutter efficacement contre la fraude fiscale : en l'état, non ! »

    Conclusion du dirigeant socialiste : « Cela va être un test de la volonté ou non du gouvernement, du chef de l'Etat, de lutter ou pas, efficacement ou pas, contre la fraude fiscale. » Et qu'a donc donné ce « test » évoqué par Didier Migaud ? La réponse est en fait venue très vite. Alors que cet entretien vidéo était enregistré jeudi 10 décembre dans la matinée, l'après-midi même, l'Assemblée nationale acceptait, par un vote, de donner des moyens renforcés contre la fraude à l'administration fiscale, au terme d'un amendement au collectif budgétaire pour 2009. Mais le gouvernement n'a donné son accord à ce dispositif qu'à la seule condition qu'il soit recentré sur les fraudes les plus graves : comptes détenus dans des paradis fiscaux, utilisation de faux ou falsification...

     En clair, le vœu de Didier Migaud d'un vrai service fiscal judiciaire est encore bien loin d'être exaucé.

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    Migaud et Arthuis contrel'emprunt Sarkozy 


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