• Lombard bientôt visé par une plainte au pénal

    Lombard bientôt visé par une plainte au pénal

    Par  Mathieu Magnaudeix

    Il s'agit d'une première dans l'affaire France Télécom, et d'un pas supplémentaire vers la pénalisation des organisations pathogènes du travail : à la suite d'une série de suicides dans l'entreprise, la fédération Sud-PTT annonce ce jeudi dans un communiqué (cliquer ici pour le télécharger) son intention de déposer plainte «avec constitution de partie civile, à la suite de faits très graves dont elle considère qu'ils sont constitutifs d'infractions pouvant mettre en cause la responsabilité pénale de la direction». L'entreprise comme personne morale pourrait être visée, mais la responsabilité de certains dirigeants pourrait également être engagée.

    Depuis plusieurs mois, les spécialistes de la santé au travail s'attendaient à une mise en cause pénale de France Télécom. Les hostilités judiciaires ont d'ailleurs déjà débuté : selon la revue Santé & Travail, «la justice est saisie d'une plainte contre X... pour mise en danger de la vie d'autrui déposée par les syndicats FO et CFE-CGC, à la suite du suicide d'un agent survenu à Annecy le 28 septembre dernier»

    Mais pour la première fois, Didier Lombard sera visé nommément par cette plainte, qui doit être transmise «ce vendredi au procureur de <st1:personname productid="la République" w:st="on">la République</st1:personname> de Paris», selon Patrick Ackermann, responsable du secteur télécoms de Sud. Le syndicat n'exclut pas non plus de porter plainte contre Louis-Pierre Wénès, ancien numéro deux (débarqué depuis) de l'entreprise chargé du programme de réduction des coûts, et contre Olivier Barberot, le directeur des ressources humaines du groupe. 

    Sud a pris pour avocat Jean-Paul Teissonnière, un ténor du barreau connu pour son engagement dans le dossier de l'amiante, qui a récemment défendu d'ex-salariés de l'usine AZF contre Total. Ce jeudi, le syndicat et son conseil, qui doivent se rencontrer vendredi matin, hésitent encore sur la qualification des poursuites. Mais la mise en danger de la vie d'autrui, un délit passible d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende, semble tenir la corde.

    «L'enquête en cours de l'inspection du travail permet de dégager un certain nombre d'infractions pénales, une organisation du travail délétère, des signalements qui n'ont pas été suivis d'effets», estime Jean-Paul Teissonnière, joint par Mediapart. «L'idée de crime organisationnel, à l'origine d'accidents du travail ou de suicides, est en train de faire son chemin», estime-t-il, citant un récent arrêt du 10 novembre 2009 de la chambre sociale de <st1:personname productid="la Cour" w:st="on">la Cour</st1:personname> de cassation, qui indique qu'un «mode de management» peut constituer un cas de harcèlement moral. «Il existe encore un vide juridique en matière de mise en cause de la responsabilité des entreprises dans la mise en place d'organisations pathogènes du travail, et nous espèrons que cette action, qui risque d'être très longue, contribuera à le combler», précise Patrick Ackermann, de Sud.

    Sud, qui entend mener une «action juridique collective», propose «à  toutes  les  organisations  syndicales  et  aux  familles  de  victimes, à France Télécom, de s'associer à cette procédure». «C'est une idée qu'il faut étudier, mais nous n'avons pas encore pris de décision», indique à Mediapart Pierre Morville, délégué syndical central CGC-Unsa, autre syndicat très en pointe sur la souffrance au travail dans l'entreprise.

    «L'entreprise a mis en place un système pathogène, estime Patrick Ackermann. La direction a reçu des alertes, elle n'a pourtant mis en place aucun dispositif d'urgence. Elle est, selon nous, pénalement responsable d'au moins une partie des suicides de salariés.» Depuis le début de l'année 2008, 34 suicides se sont produits dans l'ancienne entreprise publique, où les restructurations se succèdent depuis 2006. Le bilan de l'observatoire du stress de France Télécom (mis en place par Sud et deux autres syndicats, CGC et Unsa) recensait jusqu'ici 26 suicides. Mais il y a quelques jours, la direction a dû admettre que les cas étaient en réalité plus nombreux, et reconnaître 32 suicides de salariés depuis deux ans. Le bilan s'est encore alourdi ces derniers jours. Un employé de 53 ans du centre clients Orange (CCO) de Voiron, dans l'Isère, s'est suicidé vendredi 4 décembre. Il était en arrêt maladie pour dépression depuis le mois d'avril. Un informaticien s'est quant à lui donné la mort à son domicile le week-end dernier à Villeneuve-d'Ascq (Nord).

    Pour étayer cette plainte, Sud compte notamment s'appuyer sur deux courriers de Sophie Catala, l'inspectrice du travail parisienne en charge du dossier, qui mène une enquête nationale sur les suicides à France Télécom.

    Le premier a été directement adressé à Didier Lombard, patron de France Télécom. Il date du 2 octobre 2009, soit trois jours avant l'annonce du départ de Louis-Pierre Wénès, le numéro deux de l'entreprise. Dans cette lettre de deux pages (cliquez ici pour la télécharger), Sylvie Catala se montrait déjà très explicite:

    «Des éléments dont je dispose déjà et, en particulier, résultat d'expertise demandé en CHSCT, comptes rendus de CHSCT mais aussi courriers des services d'inspection du travail en charge du contrôle de plusieurs établissements France Télécom, il ressort que la direction de France Télécom a été alertée à de nombreuses reprises sur l'existence de risques psycho-sociaux au sein de l'entreprise et sur la nécessité de prendre des mesures visant à préserver la santé physique et mentale des travailleurs.»

    La lettre sonnait comme une mise en garde :

    «J'attire votre attention sur le fait que l'enquête que je diligente et les procédures en cours dans plusieurs services d'inspection du travail sont susceptibles de conduire à la mise en cause de responsabilités tant de personnes physiques que de la personne morale France Télécom.»

    L'inspectrice du travail rappelle le droit : selon l'article 4121-1 du code du travail, «l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs». Il a même une «obligation de résultat», dit l'inspectrice, qui rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation...

    La deuxième lettre date du lundi 7 décembre. Il s'agit d'une réponse de l'inspectrice du travail à un courrier de Patrick Ackermann, de Sud, qui lui demande l'état de son enquête. Si elle précise que celle-ci «est encore en cours», et qu'elle ne peut préjuger ni de ses «conclusions» ni des «suites qui lui seront réservées», l'inspectrice du travail franchit un pas supplémentaire dans la mise en cause de l'entreprise : selon elle, France Télécom a bel et bien commis des «infractions» au code du travail. (cliquez sur l'image pour la télécharger)
    Elle se livre à une attaque en règle du management maison...

    «L'organisation du travail mise en œuvre durant la période 2006-<st1:metricconverter productid="2009 a" w:st="on">2009 a</st1:metricconverter> été de nature à générer de la souffrance au travail et donc des risques pour la santé des travailleurs de France Télécom»

    Neuf médecins du travail ont démissionné depuis deux ans

    ... pointe une direction sourde à toutes les alertes, pourtant multiples et répétées :

    «La direction de France Télécom a été alertée à de nombreuses reprises, que ce soit par les CHSCT ou le CNHSCT (le comité d'hygiène et de sécurité national, ndlr), par des courriers d'inspection du travail et de CRAM (caisse régionale d'assurance-maladie, ndlr), par des rapports de médecins du travail, sur l'existence de risques psychosociaux au sein de l'entreprise et la nécessité de prendre des mesures visant à préserver la santé physique et psychique des travailleurs.»

    ... et constate, après lecture des documents uniques d'évaluation des risques rendus obligatoires par la loi, que France Télécom a oublié d'évaluer, ou bien minimisé les «risques» liés aux restructurations et aux mobilités, tout comme elle n'a pas analysé les effets «sur la santé mentale des travailleurs» des «méthodes de management mises en œuvre ou encore les politiques de rémunération en particulier des vendeurs».

    Une fois son enquête terminée, l'inspectrice du travail pourrait décider de saisir le parquet, comme le prévoit le code de procédure pénale. Sud espère que son dépôt de plainte viendra en renfort d'une éventuelle plainte de Sylvie Catala. «Pour l'instant, à ma connaissance, le parquet n'a pas ouvert d'enquête préliminaire, et cela me paraît anormal, estime l'avocat de Sud, Jean-Paul Teissonnière. Cette plainte va nous permettre de l'interpeller.»

    Le syndicat et son avocat pourront s'appuyer sur une foule de documents supplémentaires. A commencer par les rapports des médecins du travail de l'entreprise. Ils sont souvent très critiques, comme celui que Mediapart a publié il y a quelques semaines. Selon l'Observatoire du stress, neuf médecins (sur 70) ont démissionné depuis deux ans. Encore en novembre, le docteur Catherine Morel de Grenoble a rendu son tablier, et envoyé une lettre désabusée à sa direction régionale, où elle évoque des «pressions» de la direction et son «bilan d'impuissance et d'échec» (cliquer sur l'image ci-contre pour télécharger cette lettre).

    Sud et son avocat comptent aussi utiliser les conclusions de la large étude auprès des salariés lancée par le cabinet Technologia, qui a envoyé 102.000 questionnaires et reçu 76.000 réponses. D'après plusieurs sources internes, le document qui doit être rendu public lundi 14 décembre indique un niveau très élevé de stress dans l'entreprise et fait également apparaître une forte défiance des cadres vis-à-vis de la direction.

    Lien article original : article Mediapart 

    L’information est peu relayé actuellement ( un « entrefilet » dans Les Echos).

    A suivre

     

    Lien interne : POURQUOI LE TRAVAIL FAIT (de plus en plus) SOUFFRIR 


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