• Mon quartier, ma monnaie

    Brixton, situé dans la partie sud de Londres, se dote, jeudi 17 septembre, d'une monnaie purement locale, à l'initiative d'une association environnementale


    Londres Correspondante

    Les Anglais ne veulent pas entendre parler de l'euro. Pas question d'abandonner cette livre sterling si chère à leur coeur et qu'ils jugent si fondamentale pour leur identité. Mais l'on dirait qu'elle ne leur suffit plus totalement. En moins d'une semaine, deux nouvelles devises sont apparues outre-Manche. Le " Brixton pound " (B£) verra officiellement le jour jeudi 17 septembre au soir. La " Stroud pound " est née le 12 septembre.

    Dans les deux cas, il s'agit d'une monnaie purement locale, que les consommateurs ne peuvent utiliser que dans un périmètre réduit, le quartier de Brixton au sud de Londres pour la première, la ville de Stroud dans le Gloucestershire pour l'autre. En 2007, Totnes dans le Devon avait ouvert la voie, suivie, en septembre 2008, de Lewes dans l'est de l'Essex.

    <st1:personname productid="La Banque" w:st="on">La Banque</st1:personname> d'Angleterre regarde sans doute avec un certain mépris ces expériences qui fleurissent ici ou là. Car ces " devises locales ", comme les appellent les économistes, ne font que cohabiter avec l'indétrônable sterling. Elles n'ont rien d'une monnaie au sens traditionnel du terme. Elles en ont l'apparence - elles se présentent sous la forme de billets - mais la comparaison s'arrête là. Elles n'ont aucune valeur sur le marché des changes, et n'existent pas à l'extérieur des frontières dans lesquelles elles ont vu le jour. Elles sont un simple instrument d'échange au sein d'une communauté, qui permet une sorte de troc version papier. Et personne n'est obligé de les adopter.

    " Nous avons imprimé 40 000 billets, de un, cinq, dix et vingt B£ ", ce qui représente plus de <st1:metricconverter productid="100 000 livres" w:st="on">100 000 livres</st1:metricconverter> (112 000 euros), explique Tim Nichols, qui a géré l'affaire à Brixton pour le compte de l'association environnementale Transition Town, à l'origine du projet.

    Il y aura deux bureaux de change dans le quartier, où les volontaires pourront changer une livre sterling pour un Brixton pound. Et aller faire leurs courses dans les magasins qui acceptent de participer à l'aventure. La livre sterling qu'ils auront donnée en contrepartie sera précieusement conservée dans un coffre, dont la localisation est tenue secrète (de même que le montant exact de Brixton pounds émis) pour ne pas donner des idées aux cambrioleurs. De telle sorte qu'elle puisse à tout moment réintégrer le portefeuille de celui qui voudra se débarrasser de ses vrais faux billets.

    Mais à quoi peut donc servir ce Monopoly grandeur nature ? " D'abord à soutenir le commerce local ", répond M. Nichols. En ces temps de récession économique, l'initiative prend tout son sens. Les grandes surfaces et autres chaînes qui pullulent dans les rues de Londres rendent la vie difficile au café ou à l'épicier du coin. C'est d'autant plus vrai qu'aujourd'hui, un Tesco ou un Sainsbury's (grandes chaînes de supermarchés britanniques) vend tous les produits exotiques qui ont longtemps fait la spécificité du quartier de Brixton, et de ses fameux commerces jamaïquains ou indiens.

    Selon l'étude d'un groupe de recherches, <st1:personname productid="la New Economics" w:st="on">la New Economics</st1:personname> Foundation, l'argent qui est investi dans l'économie de proximité circule jusqu'à trois fois plus que lorsqu'il est dépensé auprès d'une entreprise nationale. Il est réutilisé dans le quartier bien plus souvent que s'il finit dans les caisses d'un Starbucks ou d'un Marks & Spencer. Et dès lors, il y génère de la croissance supplémentaire.

    En faisant le choix des Brixton pounds, le consommateur s'oblige à acheter local. Le commerçant qu'il a choisi va à son tour dépenser en Brixton pounds. C'est du reste inévitable : personne ne peut faire " travailler " cet argent bien particulier sur un plan d'épargne... " In fine, estime M. Nichols, cela aura aussi des répercussions sur l'empreinte carbone de Brixton, puisque de plus en plus de produits qui y seront achetés y auront également été produits. "

    Encore faut-il qu'il y ait suffisamment d'acteurs impliqués. Pour l'heure, 800 particuliers, réunis dans un club de supporteurs du projet, se sont engagés à acheter au moins 10 B£. C'est peu si l'on songe que plus de 70 000 personnes vivent à Brixton. Mais il faudra attendre quelques semaines pour mesurer la dynamique de l'opération. A Lewes comme à Totnes, les organisateurs en sont déjà à leur deuxième, voire troisième émission de devises locales.

    Côté entreprises, les débuts du Brixton pound laissent également une marge de progression. Pour l'heure elles sont 70 à avoir décidé de jouer le jeu, sur un total de plus de 600. " Cela représente un tiers des acteurs locaux ", précise M. Nichols.

    Ils restent nombreux à manquer à l'appel. Le cinéma Ritzy, un emblème du quartier depuis 1911, aurait bien tenté l'expérience. Mais le groupe Picture House, qui l'a racheté dans les années <st1:metricconverter productid="1990 a" w:st="on">1990 a</st1:metricconverter> refusé. Le monde caribéen, lui, s'est montré particulièrement réticent. Les coiffeurs notamment, qu'on trouve tous les cent mètres, n'ont pas adhéré. Peut-être le célèbre disquaire jamaïquain Blacker Dread Records, qui a sauté le pas, saura-t-il les faire fléchir. Tout comme le café des îles, le Negril, un autre lieu hautement symbolique de Brixton.

    Sur le marché, on est plus que sceptique derrière les étalages colorés. " Confus ", tranche un boucher. " C'est déjà difficile de gagner du vrai argent aujourd'hui, alors de la monnaie de singe... ", ajoute un poissonnier. " Comment je vais payer mes fournisseurs si je prends des Brixton pounds ? ", interroge d'un ton railleur un marchand de fruits et légumes.

    A Totnes, Lewes ou Stroud, il aurait peut-être pu s'engager. Ces trois villes de moins de 10 000 habitants, sont situées dans des zones rurales, dont les populations, désireuses de conserver leur identité, ont accueilli avec enthousiasme les nouvelles devises.

    Lewes est entourée d'agriculteurs qui alimentent son célèbre " farmers'market ". A Totnes, également en pleine campagne, les bobos londoniens ont imprimé leur marque. Et le bio y est plus en vogue que jamais. Stroud, niché dans les collines, s'est fait une spécialité de la culture du café. Après tout, Brixton a d'autres atouts : on commence à y voir des potagers dans les jardins, et des tomates ont fait leur apparition sur les balcons.

    Virginie Malingre

    Des devises qui riment avec crises

     


                LES ÉCONOMISTES et les politiques ont souvent comparé la crise financière et la récession actuelle à <st1:personname productid="la Grande Dépression" w:st="on">la Grande Dépression</st1:personname> des années 1930. La multiplication des " devises locales ", à l'image de <st1:personname productid="la Brixton" w:st="on">la Brixton</st1:personname> pound, est une autre similitude de ces deux périodes de l'histoire qui ont vu le système bancaire mondial au bord de l'effondrement.

    " Aux Etats-Unis, dans les années 1930, on comptait près de 5 000 monnaies locales. Le président Roosevelt a fini par les interdire parce qu'il craignait qu'elles ne déstabilisent encore plus les banques ", raconte David Boyle, qui travaille pour le groupe de recherche britannique New Economics Foundation. En Allemagne, en Autriche, en Europe centrale de manière générale, on a constaté le même phénomène. Seul survivant de cette époque, le wir suisse, créé en 1934, et aujourd'hui largement utilisé par les PME helvétiques.

    En Argentine, pendant la crise de 1998-2002, et aussi dans toute l'Amérique du Sud, on a vu de nouvelles monnaies d'échange naître. La logique est toujours la même : s'éloigner de ces banques à qui on ne peut pas faire confiance et inciter les gens à soutenir l'économie locale, la seule susceptible d'accepter ces monnaies aux territoires limités.

    " Aujourd'hui, de nombreuses communautés dans le monde entier envisagent de sauter le pas ", développe Tim Nichols, qui a géré l'introduction de <st1:personname productid="la Brixton" w:st="on">la Brixton</st1:personname> pound pour le compte de l'association environnementale Transition Town.

    A Detroit, berceau de l'automobile américaine, le " cheer " a fait son apparition en avril. La ville, sinistrée par l'effondrement des ventes des Big Three (General Motors, Ford et Chrysler), a renoué avec une expérience qu'elle avait menée dans les années 1930.

    Les trois hommes d'affaires qui ont lancé cette initiative se sont inspirés de l'exemple du comté de Berkshire (Massachusetts), où le " berkshare ", créé en 2006 pour redynamiser le tissu local, a fait ses preuves. Quelque 800 000 personnes l'utilisent aujourd'hui. Et l'équivalent de 2,5 millions de dollars (1,70 million d'euros) circulent et enrichissent les 400 entreprises qui ont adopté cette monnaie.

    " Pour qu'une devise locale ait un avenir, il faut qu'elle s'installe sur un terreau de souffrance économique. Mais pas seulement ", précise M. Boyle. Avant d'ajouter : " Il faut également qu'elle soit créée dans une communauté très intégrée, fière de son identité, et méfiante à l'égard des gouvernements centraux. ".

    V. Ma (Londres, correspondante)

    Créer des monnaies par millions
    Et si on essayait ? 


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