-
Caisses d'épargne: ses étranges contrats et commissions en Arabie saoudite
Caisses d'épargne: ses étranges contrats et commissions en Arabie saoudite
09 Novembre 2009 Par Laurent Mauduit
Mais que faisaient donc les dirigeants des Caisses d'épargne dans la journée puis dans la soirée du mardi 14 octobre 2008 ? Question, en apparence, absurde : ils étaient évidemment sur le pont. Car, depuis quelques jours, la banque était entrée dans la pire tempête de son histoire. A peine une semaine plus tôt, le mardi 7 octobre 2008, le ciel lui était tombé sur la tête. Elle avait appris ce jour-là qu'à cause d'une spéculation à hauts risques d'un trader de la salle de marché, pour le compte propre de la banque, des millions d'euros, peut-être même des centaines de millions – on ne savait pas encore combien au juste – étaient partis en fumée.
Alors, forcément, ce 14 octobre, les dirigeants des Caisses d'épargne devaient être sur le pont. Ou plutôt, claquemurés dans la salle des marchés, pour superviser eux-mêmes les opérations. Que pouvaient-ils faire d'autres, puisque finalement, le lendemain, mercredi 15 octobre, ils ont annoncé la seule mesure qu'ils pouvaient prendre, mais sûrement ô combien difficile : la fermeture immédiate de toutes les positions inconsidérées prises par ce trader ? Ce qui finira par aboutir à ce que l'on sait : une perte de 751 millions d'euros.
Réponse donc de bon sens à cette devinette absurde : ce 14 octobre, avec pour enjeu des centaines de millions d'euros de pertes, toute la direction de <st1:personname productid="la Caisse" w:st="on">la Caisse</st1:personname> nationale des Caisses d'épargne (CNCE) était requise pour la seule, l'unique, la terrible priorité : limiter autant que possible le désastre. Eviter le naufrage, si cela était encore possible...
Eh bien non ! En ce 14 octobre 2008, la survie de la banque n'a pas été l'unique souci de ses principaux dirigeants. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, une autre question les a occupés une bonne partie de la journée : faut-il que le directoire de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> donne son accord toutes affaires cessantes à un projet prévoyant de financer l'achat par un cheik d'Arabie saoudite d'un jet Falcon 900 EX pour un montant de 45 millions de dollars, une commission de 5% devant aller par ailleurs dans la poche d'un mystérieux intermédiaire ? Et la réponse est tombée dans la soirée : c'est oui !
Quel est donc cet étrange contrat qui alimente, depuis, d'innombrables rumeurs dans les sommets des Caisses d'épargne et aussi maintenant dans ceux des Banques populaires? Et pourquoi une commission a-t-elle été versée, d'un montant considérable de 2,25 millions de dollars, et peut-être plus encore ? L'affaire, en vérité, porte sur des enjeux financiers bien plus importants que ce seul avion. Et elle recèle une seconde commission, portant celle-là, sur des sommes encore plus élevées. Et peut-être même, selon un document interne de la direction des Caisses d'épargne, sur une «escroquerie».
Notre histoire commence au début de l'année <st1:metricconverter productid="2008. A" w:st="on">2008. A</st1:metricconverter> l'époque – nous y reviendrons dans nos prochains épisodes –, <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> bancaire, qui est le gendarme des banques en France, exerce de fortes pressions sur <st1:personname productid="la Caisse" w:st="on">la Caisse</st1:personname> nationale des Caisses d'épargne (CNCE), pour qu'elles respectent toujours leur ratio de solvabilité, qui est le montant des fonds propres qu'une banque doit réglementairement avoir en proportion des crédits qu'elle a consentis, pour avoir le droit d'exercer. Les pressions de <st1:personname productid="la Commission" w:st="on">la Commission</st1:personname> bancaire sur l'Ecureuil sont si fortes que l'établissement, dirigé par Charles Milhaud, et son bras droit, Nicolas Mérindol, explorent en ce début d'année diverses pistes pour augmenter leurs fonds propres.
A la même époque, un proche de Charles Milhaud, Roger Crueyze, qui a comme lui ses racines à Marseille (et se présente sur le site Internet de son entreprise comme «diplômé de Normale Sup» alors que l'école est connue pour... ne pas délivrer de diplôme), a une idée sur la question. Patron d'une cascade de sociétés de conseils (Entreprise et décisions, Eidos...), qui travaillent beaucoup pour les Caisses d'épargne et ses filiales, il a l'idée que, pour reconstituer un peu ses fonds propres, <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> pourrait vendre une fraction du capital de l'une de ses filiales, le Crédit foncier, à un investisseur du Golfe.
Roger Crueyze, que Mediapart a longuement rencontré le 13 octobre dernier dans ses bureaux à proximité des Champs-Elysées, a-t-il à l'époque un mandat explicite de Charles Milhaud, voire du directoire de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> ? Ou bien le mandat est-il seulement oral, comme cela arrive dans la banque ? En tout cas, Roger Crueyze, qui a des contacts en Arabie saoudite, y prospecte confidentiellement pour chercher un investisseur qui pourrait acquérir 20% du Crédit foncier. Selon lui, assez vite Charles Milhaud donne son accord pour que la fraction du capital mise en vente soit non plus de 20% mais de 49%.
Dans le courant des mois suivants, Roger Crueyze, selon le récit qu'il en fait lui-même, entre en contact avec Cheikh Faisal F. Al-ghobain, qui est l'homme de confiance du ministre de l'intérieur d'Arabie saoudite, le prince Nayef ben Abdel Aziz, demi-frère du roi Abdallah. A qui appartient la société Gulf Leaders for Management & Services avec laquelle l'intermédiaire marseillais commence à négocier: au Cheikh Faisal F. Al-ghobain lui-même ou au Prince? En tout cas, c'est avec ce clan très influent de la famille royale d'Arabie saoudite que la négociation s'engage.
Assez vite, la négociation bifurque. Le Cheik fait savoir par la cohorte d'intermédiaires qui l'entourent qu'il aimerait bien dans un premier temps conclure un accord de financement visant à construire un hôpital à Damman, qui est la troisième ville d'Arabie saoudite. Par l'entremise de l'ami de Charles Milhaud, c'est donc le Crédit foncier qui est sollicité pour assurer le financement. Et c'est ainsi qu'avec le concours du cabinet d'audit américain Ernst & Young, un financement de 157,5 millions de dollars est consenti par le Crédit foncier à Gulf Leaders. Selon Roger Crueyze, ce contrat aurait donné lieu à une commission au moins de 3%, soit plus de 4,5 millions de dollars.
Dans un long rapport réalisé plus tard par l'inspection générale du Groupe Caisses d'épargne, en date du 31 juillet 2009, que Mediapart a pu consulter, c'est un chiffre voisin qui est mentionné : la commission versée aurait atteint la somme de «4,5 millions de dollars». Le bénéficiaire serait une société de droit panaméen dénommée Riveroca Associated Corp, dont le gérant serait un proche du Cheik, dénommé Majed Al Rayyes.
A l'époque, pourtant, la direction du Crédit foncier fait savoir à ses cadres que le contrat ne justifie aucune inquiétude et qu'une enquête de la société américaine d'enquête privée Kroll a été réalisée, attestant que l'intermédiaire ne justifie aucune suspicion. Mediapart a pu consulter cette enquête de Kroll, qui arrive en effet à cette conclusion.
En retour, les Saoudiens auraient fait eux-mêmes un cadeau appréciable au Crédit foncier puisqu'ils auraient trouvé une solution pour contourner la loi coranique qui interdit qu'une hypothèque soit prise sur un bien du pays: le Crédit foncier aurait reçu l'habilitation pour créer en Arabie saoudite une banque hypothécaire, avec pour nom de code «Mortgage Company»: de la sorte, le Crédit foncier aurait pu prendre envers et contre tout une hypothèque sur l'hôpital financé par ses soins. Certains, à la nouvelle direction du groupe des Caisses d'épargne, se montrent très critiques à l'encontre de ce projet, dont ils disent ne pas comprendre la cohérence bancaire.
Selon Roger Crueyze, les Saoudiens font aussi le cadeau au Crédit foncier d'accepter pour le financement débloqué pour l'hôpital un taux d'intérêt formidablement avantageux (pour les spécialistes: l'Euribor, plus 600 points). Quoi qu'il en soit, tout finit par être signé au mois de septembre 2008.
A la fin de ce même mois de septembre, Cheikh Faysal F. Al-ghobain vient alors, comme il en a l'habitude, dans sa villa de Divonne-les Bains, au bord du lac Léman, entre Genève et Lausanne. Beaucoup de cadres dirigeants des Caisses d'épargne l'y rejoignent pour une soirée de fête: il y a ainsi notre intermédiaire marseillais, mais aussi les intermédiaires dont le Cheik s'entourent le plus souvent pour traiter ses affaires – nous ne sommes pas parvenus à connaître leur identité –, et également Thierry Dufour, directeur général délégué du Crédit foncier, ainsi qu'un responsable de la direction juridique de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname>
Ce soir-là, plusieurs nouveaux contrats sont évoqués. Les émissaires du Cheik indiquent ainsi qu'ils cherchent des financements pour des achats de câbles au profit de Zain, qui est le France Télécom arabe, contrôlé par des capitaux saoudiens, koweitiens et égyptiens. Dans les jours qui suivront, deux filiales de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname>, Océor d'une part, Natixis de l'autre (filiale contrôlée à parité avec les Banques populaires), seront approchées pour savoir si cela les intéresse, mais comme la seconde, en pleine tourmente, déclinera l'offre, la première fera de même.
Ce contrat qui est évoqué n'est pas le seul. Dans les semaines précédentes, une autre projet a été étudié. Propriétaire d'une entreprise de prétrochimie, en Arabie saoudite, le Cheik caresse aussi l'idée de prendre le contrôle d'une PME installée dans le département de l'Ain, Orapi, qui a une compétence reconnue dans les produits liés à l'hygiène, pour y produire de la pâte dentifrice. Le Crédit foncier suggère donc qu'une autre filiale des Caisses d'épargne, <st1:personname productid="la Banque Palatine" w:st="on">la Banque Palatine</st1:personname>, prenne en main ce dossier et en assure le financement. Mais le dossier finalement n'aboutit pas.
C'est à la même époque que les mêmes intermédiaires du Cheik font savoir que ce dernier aimerait beaucoup pouvoir acquérir pour son usage personnel un avion Falcon 900 EX.
Et c'est ainsi qu'en pleine tourmente financière, en ce milieu du mois d'octobre 2008, quelques jours tout juste après avoir appris que 751 millions d'euros sont partis en fumée dans une spéculation hasardeuse sur les marchés financiers, plusieurs membres du directoire des Caisses d'épargne n'ont rien de plus pressé à faire que de donner leur imprimatur final à un contrat, au terme duquel Financière Océor s'engage à financer, pour 45 millions de dollars, l'achat de cet avion au profit de Gulf Leaders.
Si la décision est délicate, c'est qu'en vérité le contrat est pour le moins inhabituel.
D'abord, ce document (que l'on peut lire, ci-dessous, dans sa version anglaise), affiche un financement de 42,8 millions de dollars pour l'acquisition par Gulf Leaders du Falcon 900 EX. Or, ce prix semble très élevé car un avion de ce type dépasse rarement le plafond de 40 millions de dollars. Mediapart a posé la question au service de communication de Dassault Aviation et en a obtenu confirmation. Quand on consulte le site Internet de Dassault Aviation, aucun prix n'est précisément affiché. Mais de nombreux sites spécialisés dans l'aéronautique (comme celui-ci) font savoir que le prix d'un Falcon 900 EX, en équipement standard, avoisine 31,2 millions de dollars.
Alors pourquoi, hors commission, le projet de financement portait-il sur 42,8 millions de dollars ? Assez vite, les très nombreuses personnes qui géraient le dossier saoudien au Crédit foncier et à Océor ont compris que deux raisons expliquaient cet important écart de prix : d'abord, de luxueux travaux d'aménagement intérieur auraient été commandés pour le Falcon ; ensuite, il aurait été convenu que le projet de financement porte non pas sur 100% du prix de l'avion, mais sur... 110% .
Autre sujet d'étonnement, le montant total du financement ne s'est pourtant pas limité à ces 42,8 millions de dollars. Il a été calibré encore au-dessus, à 45 millions de dollars, pour prendre en compte une commission. De combien ? De 4% comme le mentionne le contrat en anglais ? Voire de 5% comme l'ont compris plusieurs des personnes qui ont géré ce dossier à Océor ? La somme en tout cas a été comprise entre 2,2 et 2,4 millions de dollars.
Or, cette commission a naturellement suscité beaucoup d'interrogations dans les services d'Océor qui ont préparé le contrat, et chez leurs collègues du Crédit foncier. L'affaire s'est ébruitée et a même été connue à la direction des Banques populaires. D'abord parce que depuis la convention OCDE de 1996 de lutte contre la corruption, la loi a beaucoup changé en France, aussi bien en ce qui concerne la prévention de la corruption d'agents publics, que la prévention de la corruption dans le secteur privé. Alors que la convention OCDE prohibe toute commission mais tolère certains financements dits de facilitation, la loi française de transposition du 30 juin 2000 ne fait pas ces nuances : toute commission est prohibée. Et la loi du 4 juillet <st1:metricconverter productid="2005 a" w:st="on">2005 a</st1:metricconverter> étendu cette même rigueur au sein du secteur privé, comme en témoignent les articles 445-1 et 445-2 du code pénal.De surcroît, les cadres d'Océor et du Crédit foncier qui gèrent le dossier comprennent vite que, dans ce projet de financement, on ne peut pas même présenter cette commission comme la rémunération d'un apporteur d'affaires : en l'occurrence, il n'y a pas d'apporteur d'affaires. La relation d'affaires est même à l'opposé, puisque c'est le Cheik qui est demandeur.
Et les interrogations ne se sont pas arrêtées là. Car les services du Crédit foncier avaient évidemment étudié le profil de leur client, pour le contrat portant sur l'hôpital, et avaient élaboré une sorte de mémo sur lui (que l'on peut lire ci-dessous) qui ne laissait aucun doute : l'homme est richissime et est le client d'un grand nombre de banques, en Arabie saoudite, mais aussi à Londres (Arab National Bank) et à Genève (Dresdner Bank). Alors, pourquoi a-t-il fait appel à une petite structure peu connue, Océor, pour le financement de l'avion ?
Autre sujet de perplexité : en 2001, les Caisses d'épargne ont pris la décision de ne plus jamais procéder à des financement dans le secteur aérien, à quelques très rares exceptions près, dont Air France. Quand le projet de financement a atterri à Océor, vivement défendu de l'extérieur par Roger Crueyze, cette exception à la règle a donc surpris.
Et puis évidemment, c'est l'identité de la personne qui a perçu la commission qui a le plus intrigué. Car hormis quelques rares personnes au directoire de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> et d'Océor, l'identité du bénéficiaire n'a pas été connue – on remarquera que, dans notre contrat, le nom est en blanc. En fait, selon un autre rapport de l'inspection générale du Groupe Caisses d'épargne, consacré à Océor, qui a été réalisé également plus tard et que Mediapart a également pu consulter, c'est le même gérant de la société panaméenne Riveroca qui aurait perçu la somme. Concrètement, la commission aurait bien été de 5%, soit 2,2 millions de dollars. Sur ce montant, une première fraction de 4% (soit environ 1,8 million de dollars) aurait été attribuée à Riveroca, et le solde aurait été gardé en frais de dossier par Océor. Là encore, une enquête de Kroll aurait été commandée, attestant que l'identité de l'intermédiaire ne posait aucun problème.
En ce mois d'octobre 2008, le contrat suscite pourtant une cascade d'interrogations. Selon Roger Crueyze, l'histoire, pourtant, est établie: « Il faut être clair, il y a eu une commission sur l'hôpital. Et sur l'avion, il y a eu une commission », nous a-t-il dit. Soulignant qu'il était, pour ce qui le concerne, rémunéré à la fois par le Crédit foncier et par <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> et qu'il a été rémunéré de surcroît sur les apports de financement et sur la création de la banque hypothécaire en Arabie saoudite, il a nié avoir perçu la moindre part des dites commissions, et également nié qu'une partie française ait perçu sa dîme sur ces contrats. Les bénéficiaires, nous a-t-il déclaré, «sont très clairement nos amis arabes », évoquant tout particulièrement l'entourage du Cheik. «Moi, je ne rentre pas là dedans, ce n'est pas mon métier. Moi, j'ai été payé par le directoire de <st1:personname productid="la Caisse" w:st="on">la Caisse</st1:personname> nationale, payé par le Foncier; je ne touche pas à cela», nous a-t-il ajouté.
De source proche de la direction actuelle des Caisses d'épargne, il est exact que Roger Crueyze n'a pas perçu une part de la commission, et qu'il était rémunéré par le Crédit foncier. Mais on conteste qu'il ait été rémunéré par <st1:personname productid="la CNCE." w:st="on">la CNCE.</st1:personname>
Quoi qu'il en soit, une difficulté de dernière minute serait toutefois intervenue, selon Roger Crueyze: aucun avion Falcon 900 EX n'était disponible à l'automne 2008. Il était donc possible de trouver soit un avion d'occasion, solution qui a été écartée; soit de faire appel à un second intermédiaire, pour trouver le fameux Falcon. C'est donc la solution qui aurait été choisie: un Falcon neuf aurait ainsi été trouvé via un second intermédiaire, en Floride. Cela pourrait donc expliquer que le prix total de l'avion ait été supérieur aux tendances habituelles du marché.
Dans tous les cas, l'éviction, le 19 octobre 2008, de Charles Milhaud de la présidence du directoire de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> ne fait pas capoter le projet de contrat auquel il a donné son accord, mais qui n'est pas encore signé. Selon sa version des faits, corroborée par le contrat final de financement, un samedi du mois de novembre 2008, Roger Crueyze accompagne donc à Genève Christian Camus, à l'époque directeur général d'Océor (il est depuis devenu directeur général d'une autre filiale, Meilleurtaux.com), pour rencontrer les dirigeants de Gulf Leaders et signer le contrat de financement de l'avion. Le «facility agreement», dont nous avons obtenu une copie (un très long document de 82 pages), confirme cette version des faits: la page de garde (que l'on peut découvrir ci-contre – Cliquer sur les documents pour les agrandir) porte la date du vendredi 21 novembre 2008. Et la dernière page (que l'on peut découvrir ci-dessous) porte les signatures d'un dirigeant d'Océor et celle du Cheik.
En résumé, le contrat est signé alors que Bernard Comolet a pris la succession de Charles Milhaud à la présidence du directoire de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname> et alors qu'Alain Lemaire est le nouveau numéro deux de la banque; lequel Alain Lemaire est toujours l'un des principaux bras droit de François Pérol. Portant le numéro de série <st1:metricconverter productid="155, l" w:st="on">155, l</st1:metricconverter>'avion est ensuite immatriculé à l'île de Man.
Pourtant, si la nouvelle direction ne bloque pas la signature – mais en entend-elle seulement parler ? –, elle va très vite être intriguée par ces deux contrats, et en tous les cas par celui de l'hôpital. Selon une première version, celle de Roger Crueyze, les querelles intestines au sein des Caisses d'épargne, les rivalités internes et les ambitions se déchaînent, au lendemain de l'éviction de Charles Milhaud. Et du même coup, la nouvelle direction prétexte un vice de forme secondaire dans le contrat de financement de l'hôpital pour ne pas l'exécuter. Le dossier est alors basculé en contentieux, ce qui est absurde, selon l'intermédiaire marseillais, puisque le Cheik n'a jamais interrompu ses remboursements et est même disposé à les effectuer sur un compte séquestre, s'ils venaient à être refusés. D'autant plus absurde, selon lui que dans les jours qui ont suivi ces changements au directoire de <st1:personname productid="la CNCE" w:st="on">la CNCE</st1:personname>, il a enfin obtenu d'un investisseur arabe une lettre d'engagement pour l'acquisition de 49% du Crédit foncier – dossier qui est à l'origine de tout –, à laquelle il n'a jamais été donné suite.
Selon une autre version recueillie par Mediapart, de source proche de l'actuelle direction de la banque, l'histoire serait toute différente. Assez vite, au début de 2009, la nouvelle direction découvre avec étonnement le contrat de financement de l'avion. Mais elle ne prend pas de mesure particulière : observant que les remboursements d'emprunt se passent régulièrement, le rapport de l'inspection recommande juste que ce dossier soit inscrit dans ce que la banque appelle la «watch list 1», c'est-à-dire la liste des dossiers à surveiller en permanence.
Mais c'est surtout le financement de l'hôpital, portant sur des sommes beaucoup plus importantes, qui l'inquiète. Car elle a le sentiment que si sa filiale, le Crédit foncier, débloque progressivement les sommes prévues, les travaux de construction en Arabie saoudite n'avancent quasiment pas – ce que conteste Roger Crueyze. Elle découvre aussi qu'il existerait une grande différence dans l'évaluation du prix des terrains sur lequel l'hôpital a été construit: localement, le prix aurait été évalué à 32 millions de dollars, alors que l'évaluation d'Ernst & Young était de seulement 8 millions de dollars.
Au mois de juillet 2009, la direction des Caisses d'épargne décide donc de bloquer les financements prévus, qui ont alors atteint environ 110 millions de dollars sur les 157,5 millions initialement prévus, et de basculer le dossier à son service du contentieux. Des garanties sont par ailleurs prises sur la propriété du Cheik à Divonne.
Et dans la foulée, l'inspection de la banque épluche le contrat et enquête sur ses suites. Roger Crueyze raconte d'ailleurs lui-même qu'il a été longuement entendu. Selon lui, l'inspection avait l'intuition qu'une partie de l'une ou des deux commissions était revenue en France. En tout état de cause, le rapport final, qui est donc daté du 31 juillet 2009, est très alarmiste. Barré à chacune de ses pages de la mention « confidentiel », il fait en particulier ce constat : « Il existe un nombre inquiétant d'éléments laissant à craindre que le CFF [Crédit foncier de France] soit purement et simplement victime d'une escroquerie.»
La nouvelle direction de la banque BPCE (résultant de la fusion des Banques populaires et des Caisses d'épargne) n'a pourtant pas décidé de saisir la justice ordinaire. Selon de très bonnes sources, elle a préféré choisir, en accord avec la partie saoudienne, une autre voie : la constitution d'un tribunal international arbitral.
Lien : En sept volets, nos nouvelles révélations sur l'Ecureuil
Lien médiapart : CE ces étranges contrats
-
Commentaires